«Snow Queen»

Les nouvelles mythologies de Michael Cunningham

Avec «Snow Queen» (Belfond), Michael Cunningham poursuit son exploration des êtres en quête d'eux-mêmes. Un voyage au coeur des désillusions qui, pour la première fois, emprunte à l’esprit du conte. Quand l’amour et la vie ont déçu, que reste-t-il aux héros fatigués, si ce n'est l'espoir d'une lueur, là, quelque part, au bout du ciel? Nous avons rencontré le romancier américain qui sait mieux que quiconque décrire le vague à l'âme des new-yorkais aux amours éphémères et aux aspirations éternelles.

Dans les contes, il y a souvent une morale. Si Michael Cunningham a emprunté quelques images au vocabulaire du merveilleux dans son dernier livre « Snow Queen », il n'a pas voulu pour autant se plier à la règle. Dans la réalité du romancier, il n'existe ni morale, ni happy end. Juste, «The show must go on » sur la scène de la vie. Au cœur de son récit, se trouve un trio : deux frères et la femme de l’un d’entre eux. Le premier est un homosexuel, qui n'a pas su accomplir le destin auquel ses brillantes études de Yale le promettaient et qui n'arrive pas non plus à construire le couple stable auquel il aspire avec ses amants passagers. Le deuxième est un musicien raté et cocaïnomane, dont la principale frustration est de ne pas réussir à écrire une chanson à succès, qu'il aimerait dédier à sa femme malade du cancer. La femme traverse la maladie comme une initiation, qui l’élève ou l’enlève, elle seule le sait. En toile de fond, il y a le temps, séquences photographiques qui rythment les années : 2004, 2006 et 2008. Autour, le ballet resserré des amis. Au-dessus, le ciel de New York, transpercé par une lumière, un moment fugitif, une lueur presque surnaturelle. Au-dedans, les interrogations de chacun, leurs petits arrangements avec « les choses » et leurs renoncements. 

On a tous en nous quelque chose de Michael Cunningham

Michael Cunningham signe avec « SnowQueen » un livre qui aborde l’amour, la vie, la mort avec ce mélange d’humour et de mélancolie qui le caractérise. Avec pudeur aussi. Ici, l’intimité se pénètre  comme par effraction, et l’auteur ne s’attarde jamais avec lourdeur dans son évocation. Le lecteur se sent interpellé, car les sentiments des personnages résonnent toujours à un moment avec les siens. Aurions-nous tous une part de « snow queen » en nous ? Cette part de rêve, d’émerveillement, d’espoir peut-être qui est le mystère de chacun? Le miroir déformant ou transfigurant. Nous allons à la rencontre de Michael Cunningham pour l’interroger.

« Snow Queen » est un jeu de miroirs

Le romancier américain semble très en forme, sanglé dans son jean noir. Son sourire éclaire la pièce avec une énergie communicative. Il est rompu aux exercices de l’interview. Il piaffe comme un étalon dans son boxe. La caméra se met en place. Derniers réglages. Nous commençons. Michael Cunningham parle avec de grands mouvements du corps. Il s’échauffe. Reprend sa respiration.

Qui est cette « snow queen » qui a donné le titre à son dernier livre ?  « J’ai voulu puiser dans l’imaginaire des contes, car ce sont les premières histoires que nous entendons, elles s’inscrivent dans nos mémoires. ’Snow queen’ est fascinant, car il est question d’un miroir, de l’idée qu’on se fait des choses. Le message est très universel ». Miroir, mon beau miroir ? Le livre de Michael Cunningham joue beaucoup sur les décalages de représentation entre les personnages. Le romancier s'explique :  «  Il y a souvent une distorsion entre la manière dont les personnes vivent  une situation identique. C’est tout le mystère des relations. » Représentation des relations, mais aussi de sa propre vie. On se souvient de la phrase de Marcel Proust : « Il vaut mieux rêver sa vie que la vivre, encore que la vivre ce soit encore la rêver » (in Les plaisirs et les jours). « Ce lien entre réel et imaginaire dans la vie, c’est une tension avec laquelle nous naviguons. Mais pour un romancier, tout est imaginaire. Tout est un jeu. Le miroir existe dès le début. C’est cela qui est amusant. »

L’amour fraternel et l’amitié éternelle

Personnages imaginaires qui semblent réels, les deux frères du récit incarnent une belle relation. L’amour fraternel, un thème rare en littérature ? « J’ai une sœur que j’adore et je trouve qu’on n’accorde pas assez à d’importance aux liens entre les frères et sœurs. Les psychanalystes commencent à les prendre en compte après  s’être surtout concentrés sur les relations enfants-parents. Explorer une relation entre deux frères était pour moi une intention forte. En littérature, il existe des milliers d’histoires d’amour, mais très peu de textes sur l’amour dans une fratrie». A côté de cet amour fraternel, se trouve aussi dans le livre une évocation de la frontière floue qui existe entre les amis, les amours, la famille. Une idée très contemporaine, souvent abordée par le romancier. « De plus en plus, les amis composent notre famille. J’ai connu à New York les débuts de l’épidémie de Sida. J’ai vu une génération entière décimée. On a dû s’organiser, s’entraider, inventer de nouveaux liens et de nouvelles solidarités. Je ne dis pas que c’est mieux ; je dis juste que c’est autre chose. Une autre forme de famille qui se met en place ».

La maladie, la mort et la liberté

La maladie de l’héroïne est l’autre point d’ancrage du récit, celui autour duquel tous les personnages se positionnent. Pour autant, cette héroïne n’est à aucun moment présentée comme une victime. Elle est digne, forte et libre. Elle prend son envol, avec un besoin de s’éloigner des autres, à un moment qu’elle choisit elle-même. On sent que l’écrivain a laissé passer beaucoup d’émotion contenue au travers de ce personnage. « Ma mère est morte récemment. Peut-être y a-t-il un peu de son souvenir dans le personnage de Beth ? J’ai constaté que la plupart des gens meurent à un moment où ils sont seuls, même si cela n’a été que pour quelques minutes. Comme s’ils avaient besoin d’un instant privé, pudique. Je ne voulais pas aborder la mort en direct. Simplement la suggérer comme un cheminement ».

La tentation de la désillusion ou la sagesse retrouvée

On l’aura compris, le monde de Michael Cunningham n’est pas celui de Walt Disney. Il ne va pas proposer une morale à son histoire : « C’est un roman, pas un conte. J’ai imaginé l’idée du conte, emprunté quelques attributs. Mais non, nous sommes bien dans la vie réelle. Il n’y a pas d’’eternal susnshine’». Les héros sont fatigués. Ils ont vu passer la première partie de leur vie. Et savent que certains de leurs rêves sont définitivement enfuis. Michael Cunningham, nous livrerait-il son interprétation de la désillusion au mépris de sa culture américaine ?  « C’est vrai qu’aux Etats-Unis, il existe une sorte de lavage de cerveau  en faveur de la pensée positive. Tout le monde doit penser qu’il peut devenir président. Mais ce n’est pas vrai. Souvent mes personnages n’ont pas ce qu’ils veulent. Et même pire encore, s’ils obtiennent ce qu’ils veulent, ils sont déçus ». Alors que faut-il espérer ? « Je confesse que je ne peux pas m’empêcher, peut-être parce que je suis américain justement, de laisser la porte ouverte à un espoir ! ». Cette fameuse lumière évoquée dans le livre? Une transcendance ? « Nul ne sait. Moi, je ne crois pas aux certitudes, mais je serai furieux si je découvrais que Dieu était décevant! Ce qui me semble clair est que nous vivons la fin d’un monde. Peut-être que nos enfants le verront disparaître … ». Un nuage passe. Michael Cunnigham, lui, est bien vivant. Il sait que le bonheur qui s’approche parfois, s’éloigne aussi vite qu’il est apparu, surtout s’il est guetté avec trop d’insistance. Qu’il n’est jamais là où on l’attend. Comme le texte du romancier qui emmène son lecteur faire un tour au pays de la reine des neiges et le surprend au détour des pages à dilapider le temps pour mieux le retrouver.

 

>Michael Cunningham, Snow Queen, Traduit par Anne Damour (Belfond)

>Découvrir ci-dessous une interview vidéo de Michael Cunningham qui parle de son livre dans un club de Washington.

En savoir plus

Retrouvez l'interview intégrale en vidéo:

Michael Cunningham évque son livre dans une rencontre avec les lecteurs

5
 

En ce moment

Du 27 novembre au 2 décembre 2024 : Montreuil devient la capitale du Livre Jeunesse

Du 27 novembre au 2 décembre 2024 Montreuil accueille le Salon du Livre et de la Presse Jeunesse en Seine-Saint-Denis.

Inquiétude et mobilisation : arrestation de Boualem Sansal en Algérie

L'écrivain Boualem Sansal d'origine algérienne qui a obtenu récemment la nationalité française, célèbre pour ses critiques en profondeur des d

Festival International de la BD d'Angoulême 2025 : les ouvrages en sélection et les lauréats du prix Goscinny

Les organisateurs du Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême viennent de faire connaître leurs sélections d'ouvrages et o

Le TOP des articles

& aussi