Le célèbre roman de John Steinbeck, Des souris et des hommes, ne cesse d'inspirer le théâtre, come le cinéma. Dernière adapatation, celle de Maurice Duhamel au théâtre du Palais-Royal, à Paris. Une occasion bouleversante de revisiter le texte de l'auteur américain. Et de plonger dans un texte qui n'a pas pris une ride.
Des souris et des hommes (Of mice and men) paraît en 1937 et reste aujourd’hui l’un des romans les plus célèbres de l’écrivain John Steinbeck, avec Les Raisins de la Colère (paru en 1939 sous le titre The Grapes of Wrath).
Le roman s’ouvre sur la discussion entre deux amis d’enfance, George et Lennie, au milieu d’une forêt non loin de Soledad (en Californie). Travailleurs saisonniers, ils sont en route pour un nouveau ranch où louer leurs bras. C’est dans la précipitation qu’ils ont dû quitter le dernier ranch où ils étaient employés car Lennie y avait fait de « vilaines choses », comme le lui rappelle George en bougonnant. Il est question d’une jeune fille, d’une robe douce, de cris et d’accusations… Pourtant, Lennie n’est en rien un criminel. Il a simplement ce goût étrange de « toucher » les choses, de sentir et de caresser tout ce qui et doux. Comme la robe d’une petite fille... Comme le pelage d’une souris… Tout d’instinct et de sensations, incapable de voir le mal, il ne comprend pas pourquoi son comportement dérange.
Alors que les deux amis se chamaillent, le calme revient quand ils évoquent leur futur. Car oui, Lenny et George ont un grand projet : avoir une ferme à eux. Chacun y projette son désir le plus cher. Pour Lenny, ce sera le plaisir de s’occuper des lapins. Pour George, la satisfaction d’avoir enfin un lopin de terre à lui où il pourra vivre libre.
Le titre du roman s’inspire d’un poème de Robert Burns : « les plans les mieux conçus des souris et des hommes souvent ne se réalisent pas ». L’ombre est dès le titre jetée sur le beau rêve des deux amis. Que va-t-il arriver à leur projet ? Qui va y nuire ? L’horrible Curley et son gant de cuir, la (trop) belle épouse de Curley, le patron mécontent ? Au fil du roman, le lecteur sent le rêve de la petite ferme s’éloigner inexorablement. Pas de place au rêve dans le monde des souris comme dans celui des hommes : il y a juste les grosses mains qui vous attrapent et vous écrasent.
Mais ne reste-t-il vraiment rien après l’effondrement du rêve ? Et bien si, il restera toujours celui avec qui vous l’avez construit.
Le roman de Steinbeck se prête particulièrement bien à la mise en scène. Il est très bref, divisé en six grandes parties qui semblent autant d’actes. Les personnages sont une dizaine environ, répartis en personnages principaux et secondaires. Chaque personnage est rapidement identifiable par un attribut ou une caractéristique qui fonctionne comme une métonymie : Lennie et sa stature de géant, Curley et son gant de cuir, Candy et son vieux chien…
La majorité du roman est dialoguée et met en scène des duos ou des trios de personnages. Les courtes descriptions fonctionnent comme des didascalies, apportant seulement les informations utiles à l’action.
Ce roman semble destiné à être joué ! Et il l’a d’ailleurs été de très nombreuses fois depuis 1945. La version de Maurice Duhamel (adaptation) et de Jean-Philippe Evariste / Philippe Ivancic (metteurs en scène et acteurs) créée en 2002, revient régulièrement sur les scènes parisiennes avec toujours le même succès !
Créée en 2002 au Théâtre 13, la pièce connaît alors un record de fréquentation. Elle reprend en 2010 au Théâtre du Petit-Saint Martin puis en 2012 au théâtre 14. Depuis janvier 2015, c’est au théâtre du Palais-Royal que le roman de Steinbeck reprend vie encore une fois, avec le même succès à la clé. Pendant une heure vingt environ, bien assis dans son siège en velours, le spectateur est transporté dans l’univers à la fois plein de rudesse et de poésie de George et de Lennie. Mais comment s’opère cet incroyable voyage, mis en scène par le duo Ivancic / Evariste ?
Le choix de mise en scène repose sur le minimalisme et le réalisme. Les décors sont sobres : pour les scènes d’intérieur, des panneaux de bois figurent les murs et permettent de ménager les entrées et sorties des personnages. Des caisses de marchandises en bois font office de tables et de chaises. Pour les scènes d’extérieures, rien, juste la scène, laissée à l’imagination du spectateur.
Quelques objets, rares mais méticuleusement choisis, meublent l’espace : un seau d’eau placé à l’avant de la scène, une bougie qui crée l’intimité de la chambre de Crooks le palefrenier, un jeu de cartes… Ces quelques objets fonctionnent un peu à la manière de ce que Barthes nommait les « effets de réel » dans le roman réaliste du XIXème siècle : selon lui, certains objets étaient décrits non pour leur utilité ou leur intérêt mais pour leur capacité à créer l’illusion de la réalité.
Et quand le chien de Candy arrive sur scène, parfaitement calme et serein aux pieds de son maître, l’effet est immédiat ! Quelle surprise de voir un réel animal sur scène ! Le spectateur est saisi.
Toujours dans cette recherche de réalisme, Evariste et Ivancic n’hésitent pas à faire se rencontrer les corps et faire ainsi ressortir la rudesse des hommes. Scènes de bagarre, de lutte…Corps qui se heurtent, s’écroulent, se traînent... Le spectateur entre de plain-pied dans le monde des travailleurs saisonniers, dans cette Amérique des années 30 en pleine dépression. Les hommes sont en sueur, épuisés par les journées de travail et minés par leur solitude. Car oui, la solitude est bien le dénominateur commun de tous les personnages du ranch : Crooks est isolé du reste du groupe du fait de sa couleur de peau, Candy s’accroche désespérément à son chien, son seul ami, la femme de Curley, derrière ses robes affriolantes, cache la frustration d’avoir dû tirer un trait sur ses rêves de jeunesse… Certes les corps se heurtent, mais ils se cherchent avant tout.
Dans la ferme, l’arrivée du duo Lennie-George fait l’effet d’une bombe. Pourquoi George parle-t-il toujours à la place de Lennie ? De quoi tente-t-il de le protéger ? Ce lien étrange qui unit les deux hommes dérange immédiatement Curley. Quelque chose cloche ! Qu’est-ce qui pousse deux hommes, qui ne sont même pas de la même famille, à se serrer ainsi les coudes ? Si ce lien si particulier surprend certains, il en touche d’autres. Le beau projet de la ferme en particulier motive les troupes ! Quelle idée ! Une ferme rien qu’à eux ? C’est vrai que ça ressemble à un rêve... Là-bas, ils pourraient enfin goûter à la tranquillité et à la propriété. Mais surtout, ils découvriraient l’amitié. Le roman de Steinbeck est une réelle ode à l’amitié capable de transcender les différences et les jugements. Sur scène, Evariste (George) et Ivancic (Lennie) arrivent à exprimer la force de cette relation, par les regards, les gestes, la voix… Le spectateur, qui devient complice de cette amitié hors-norme, ne peut rester indifférent.
Car oui, comment ne pas parler de la performance des acteurs ? Tous interprètent à la perfection leur partition et transmettent des émotions à l’état brut. La belle Dounia Coesens est réellement lumineuse. Son arrivée sur scène est un souffle d’air ; elle apporte couleur et légèreté dans ce monde d’hommes rudes et bourrus. La scène centrale, où elle parvient à communiquer avec Lennie, est réellement bouleversante. Et bien sûr, Jean-Philippe Evariste et Philippe Ivancic portent à merveille le duo mythique. Coup de chapeau pour Philippe Ivancic qui incarne à la perfection le rôle de Lennie, le géant qui rêvait des souris.
Un spectacle puissant, plébiscité par le public, qui nous touche et nous bouleverse. A voir absolument. Et une occasion de relire le roman inoubliable de John Steinbeck.
>John Steinbeck, Des souris et des hommes
>Plus d'informations sur le spectacle sur le site du Théâtre
>La bande annonce qui présente la pièce au Théâtre du Palais Royal
>Une analyse graphique du roman
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