«Inconsolable»

Rencontre avec Adèle Van Reeth : « Il existe des épreuves sans consolation »

La philosophe et directrice de France Inter Adèle Van Reeth, revient avec Inconsolable (Gallimard), un livre très personnel qui évoque la mort de son père. Un deuil qui conduit à un chemin vers une vie transformée, certes inconsolable, mais aussi ouverte vers tous les autres lendemains. Adèle Van Reeth répond à quelues questions au sujet de son livre.

Portrait d'Adèle Van Reeth © Éditions de l'Observatoire Portrait d'Adèle Van Reeth © Éditions de l'Observatoire

« Que signifie “perdre son père” ? Rien ne change, et pourtant, le monde n’est plus le même. Il faut s’habituer à vivre dans un monde sans l’autre. La vie continue, les matins se succèdent, les cigarettes aussi, les enfants grandissent, un nouveau chat rejoint la maison, et après la grande tristesse, c’est la peur de l’oubli qui survient. Les tentacules de la vie ordinaire se referment sur la plaie béante, le trivial l’emporte sur le drame, insolence suprême. Le drame ne serait-il donc qu’une suspension provisoire de nos soucis ? Mais alors, nous autres, être inconsolables, avons-nous la possibilité de jouir de l’existence en connaissance de cause ? » C'est ainsi qu'Adèle Van Reeth présente son dernier livre Inconsolable. La mort d'un père, le roc, la racine d'un ciel familial. L'autrice ne s'en consolera pas. Et pourtant, elle va continuer de vivre, et même jouir des choses de tous les jours. Alors que reste-t-il du deuil ? Que reste-t-il du père ? Que reste-t-il de la vie ? Adèle Van Reeth répond à quelques questions.

Inconsolable… comment comprendre ce titre ?

-Adèle Van Reeth : Le premier enjeu du livre est de montrer qu’on peut vivre certaines épreuves, alors qu’on sait qu’il n’y aura jamais de consolation – ce qui va à contre-courant de nombre d’ouvrages, de travaux et de propos autour de la notion de consolation. Le deuxième enjeu consiste à dire qu’être inconsolable n’est pas forcément une mauvaise nouvelle. C’est peut-être ce qui fait de nous des êtres en perpétuelle évolution. Ce mouvement est notre chance, parce qu’il nous fait créer, désirer autre chose, au-delà des besoins élémentaires d’eau et de nourriture. Il nous fait vivre plutôt que survivre. Faire le deuil, non de la personne qui meurt, mais de la possibilité d’une consolation totale, apaise dans la mesure où nous cessons d’être en quête de quelque chose que nous n’aurons jamais. Si nous acceptons une fois pour toutes cette tristesse en nous, nous pouvons aller bien malgré elle, et même retrouver de l’appétit pour la vie.

À la mort du père succède une naissance. Vient-elle combler le vide de la disparition ?

-A. V. R. : Le livre raconte d’abord la mort d’un père, dans toutes ses conséquences, les plus quotidiennes comme les plus inattendues. La naissance arrive ensuite, et même si la grossesse et la mort sont concomitantes, les deux sont très différents, l’une ne guérit pas de l’autre. Au point qu’une question se pose alors avec acuité : « Que me reste-t-il pour accueillir un enfant ? »

Comment cet événement extra-ordinaire parvient-il à s’inscrire dans la banalité du quotidien ?

-A. V. R. : J’ai voulu saisir au plus près le caractère spectaculaire de la fin de vie, puis de la mort, d’un père, tout en restituant les conséquences de cette mort, annoncée puis vécue, dans la vie quotidienne. Cette rencontre entre l’exceptionnel et l’ordinaire est indicible au sens propre, elle laisse sans voix. On a l’impression qu’aucun mot ne pourra dire ce qui est, que pour le décrire nous devons l’écrire, et pour l’écrire il faut le ramener à quelque chose de très quotidien. C’est cette rencontre qui fait sens pour la pensée.

Vous affirmez « Écrire, c’est trahir, car on n’est jamais vraiment seul » et, un peu plus loin, « La trahison s’est transformée en haute fidélité ». N’est-ce pas paradoxal ?

-A. V. R. : Je pense que toute écriture est une trahison, parce qu’on écrit toujours avec ce qu’on est et avec ce qu’on vit. Nous sommes faits, aussi, des relations que nous avons avec les autres, et de tous les non-dits et éléments tacites qui nous permettent de tenir bon ensemble. Dès lors qu’on met des mots sur les choses, on embarque les autres dans un récit qu’ils ne souhaitent pas forcément. En ce sens l’écriture est toujours un acte de trahison.
En revanche, un jour, j’ai vu mon père mourir. Et je me suis rendu compte que la trahison que je redoutais, qui m’empêchait d’écrire, était secondaire. Cette mort a provoqué un point de bascule, l’urgence et la nécessité de restituer l’ont emporté sur la peur de la trahison. Écrire devenait la seule possibilité de conserver ce qui n’était plus, et devenait un acte de fidélité.

Jusqu’à quel point l’expérience d’un seul peut aider des milliers d’autres ?

-A. V. R. : Je crois que c’est quand on creuse au plus profond de soi que l’on touche le plus de monde. L’intime est peut-être ce qu’il y a de plus universel, il faut oser remuer ce qui est un peu enfoui, recouvert par la bienséance. Une expérience est toujours singulière par définition : si nous buvons tous deux un verre d’eau au même moment, nous ne vivrons pas la même expérience, mais si je décris très précisément ce qui se passe, vous reconnaîtrez ce qui se passe pour vous aussi. Analyser une expérience en revendiquant sa singularité est, je crois, la meilleure façon de toucher le plus de monde possible, ce qui est le but.
>© Gallimard. Lire l'interview dans son intégralité dans le site Gallimard

>Adèle Van Reeth, Inconsolable, Gallimard, 208 pages, 18 euros >> Pour acheter le livre, cliquer sur ce lien
>A lire aussi les livres de la collection La Relève, dirigée par Adèle Van Reeth (éditions de l'Observatoire) qui donnent la parole à des philosophes contemporains.

 

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