Un homme, une œuvre

Alain Fournier, la fulgurance et le vertige

Alain Fournier mort prématurément au champ d'honneur lors de la Première Guerre Mondiale n'est pas que l'auteur d'un seul livre, Le Grand Meaulnes. Une édition La Pléiade vient de lui être consacrée qui permet de prendre la mesure d'une écriture entre lettres, documents et esquisses, dont le style évoque le vertige de l'absolu et la fulgurance de la vie.

Alain Fournier en 1905. Capture d'écran du film de "Le grand Meaulnes, le roman d'une vie" de Valérie Esposito Alain Fournier en 1905. Capture d'écran du film de "Le grand Meaulnes, le roman d'une vie" de Valérie Esposito

Au printemps dernier, on a vu l’entrée en Pléiade de l’œuvre d’Alain-Fournier, œuvre d’une maîtrise accomplie qui rachète sa brièveté. De quoi raviver notre intérêt pour un auteur qui apposa son sceau brûlant sur plusieurs générations littéraires. De quoi retourner une fois encore « aux sentiers / Où les herbes, ce soir ont d’étranges allures, / Où les herbes sont folles et meurent de rêver !... »

« Sous le soleil ancien de mes après-midi »

Henri-Alban Fournier, dit Alain-Fournier, naît le 3 octobre 1886, dans la campagne du Cher, de parents instituteurs. Il y connaît une enfance émerveillée qui lui inspirera le cadre du Grand Meaulnes, comme le « son d’une musique perdue ». A la suite d’études parisiennes, il échoue au concours de l’Ecole normale supérieure, après avoir rêvé de celui de l’Ecole navale. Le jeune homme persiste néanmoins dans la voie littéraire où son ardeur lancinante et toujours insatisfaite trouve à s’abreuver, et travaille comme chroniqueur. Ce sont alors les riches années d’amitiés intellectuelles et artistiques : au « presque frère » Jacques Rivière, se joignent bientôt l’incandescent Péguy, ou encore Marguerite Audoux. Et lorsque Fournier publie quelques vers et nouvelles, aujourd’hui assemblés dans le recueil intitulé Miracles, c’est sous l’égide de Claudel, Gide et Laforgue.

« Mon amie / O demoiselle / Qui n’êtes pas ici »

On sait ce que fut l’éblouissement de ce jour de juin 1905 où Fournier croisa Yvonne de Quiévrecourt sur les marches du Grand Palais : « Vous êtes venue : / tout mon rêve au soleil / n’aurait jamais osé vous espérer si belle ». A peine maquillé sous les traits d’Yvonne de Galais dans Le Grand Meaulnes, le souvenir incurable de celle avec laquelle il n’échangea que de rares paroles domine désormais ses écrits comme sa vie amoureuse, marquée ensuite par deux liaisons tumultueuses.

« Nous avons eu la fièvre / de tes marais. / Nous avons eu la fièvre et nous sommes partis. »

En 1913 paraît enfin l’œuvre qui embrasse et ciselle les impressions peu à peu ébauchées, toujours reprises dans ses premières publications : c’est le coup de tonnerre du Grand Meaulnes, qui frôle le Goncourt et vaut à Fournier la reconnaissance unanime de ses pairs. La mobilisation de 1914 trouve pourtant le jeune écrivain de 27 ans résolu et content. Il tombe au front le 22 septembre, espérant «  trouver enfin la joie, la joie qui ne finit pas ».

Le Grand Meaulnes : un roman d’écoliers ?

On a souvent destiné Le Grand Meaulnes aux écoliers, et bien sûr, on y retrouve avec bonheur, et toujours un peu d’étonnement, les sensations exactes de l’enfance, si bien attentives à « l’heure où l’on entend tirer de l’eau au puits / et jouer les enfants rieurs dans les sentes fraîchies » (Miracles). A ce réalisme sobre, tout français parce que tout classique, Fournier a su mêler l’extraordinaire et l’étrangeté au point qu’un lecteur lui reprochera dans une lettre sa tendance « anglaise ». Certains se contenteront d’y approuver l’exploitation du versant imaginatif de l’enfance, versant qui semble faire contrepoids à la dernière partie de l’ouvrage, aussi désenchantée que le veut l’immanquable passage à l’âge d’homme.

« L’antichambre du pays dont nous avons perdu le chemin »

Et pourtant la grâce du Grand Meaulnes réside toute dans ce fait que les valeurs de l’enfance y sont reconnues comme valeurs définitives. La fantaisie merveilleuse d’un « royal enfant en guenilles », où le rêve étreint la nostalgie des temps passés, ne se prolonge certes pas à l’âge adulte. Mais il en subsiste, intact, le principe, qui est ce « désir exaspéré d’aboutir à quelque chose et d’arriver quelque part ».

Meaulnes n’est pas victime de la déception mais du remords. Parce qu’il a « sincèrement et délibérément » cru nécessaire « un jour de faire comme les autres » alors qu’il était de la race « gauche et sauvage » de ceux qui sont bâtis pour l’absolu, il a connu « ce goût de terre et de mort » qui lui interdit désormais le « Pays perdu » où demeure Yvonne.

Douloureusement tendu vers la pureté, ne renonçant à aucune des aspirations qui font le cœur de l’homme infini, Fournier nous laisse « une prière, une supplication au bonheur de ne pas être trop cruel, un salut et comme un agenouillement devant le bonheur ». Et de soupirer, comme en frère : « De tous les hommes qui geignent ici, […] je suis le seul à connaître notre mal, qui est l’attente du jour. »

>Alain Fournier, Le Grand Meaulnes, suivi de choix de Lettres, documents et esquisses, La Pléiade, 640 p., 48 euros

En savoir plus

Visionner un extrait du film éponyme adapté du livre Le Grand Meaulnes, réalisé en 1967 par Jean-Gabriel Albicocco avec Brigitte Fossey, Jean Blaise et Alain Libolt.

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