Fin de journée, fin de semaine, le rendez-vous est pris avec Alain Mabanckou dont le dernier ouvrage publié en 2015 Petit Piment (Le Seuil) ravit les lecteurs. L'écrivain d'orgine congolaise vient d'inaugurer son cycle de conférences au Collège de France. Une consécration pour celui qui voit dans la littérature un prisme du monde et qui revient avec nous sur son livre et l'écriture. Rencontre.
>visionner aussi une vidéo où Alain Mabanckou parle de son entrée au Collège de France.
Direction "Le Colonel Moutarde", un café du boulevard Haussmann fraîchement né à l'atmosphère un rien surrané et propice aux vagabondages. Ce nouveau roman, Petit Piment sonne comme le troisième volet d'un triptyque commencé avec Demain j'aurai vingt ans et suivi par le si beau et émouvant Lumières de Pointe Noire. Retour sur l'oeuvre d'un écrivain qi se voit confier une chaire au Collège de Franc et qui n'a pas fini de nous fasciner, de nous interroger et d'aiguiser avec un charme fou les contrées infinies de l'Imagination. Rappelons que le titre de sa leçon inaugurale au Collège de France est : De la littérature coloniale à la littérature négro-africaine.
Petit Piment renoue avec le grand roman d'aventure. On suit ce jeune orphelin de Pointe Noire au cours de ses années d'apprentissage. De l'institution où il est plaçé, il vivra la révolution socialiste. De ses errances, il nouera des amitiés, jouera toutes sortes de tours et de détours aux coquins jumeaux. A la fois réjouissant par un souffle jamais rompu d'inventivité, Petit Piment se lit aussi comme un roman grave sur l'errance, les désillusions et la perte de soi ou des autres.
Mais souvenez-vous ou découvrez-le, Petit Piment avait déjà fait son apparition dans Demain j'aurai vingt ans. Le narrateur raconte à Geneviève son histoire avec ce personnage qui l'aidera à trouver la clé. Avec ces trois livres, Alain Mabanckou a réalisé un triptyque lumineux qui regarde avec bienveillance, mélancolie et interrogation l'Afrique, ce pays qu'il a quitté, retrouvé, découvert peu à peu et qui l'étonne toujours. De livre en livre, le lecteur est emporté par cette soif d'aventures et ce goût particulier et jouissif pour l'amour des mots dans ce qu'il a de plus pur, de plus simple, d'innocent ou de plus truculent.
Avec Mabanckou, le lecteur part à l'aventure. Il suit des personnages très dessinés, de vraies personnalités. Maman Fiat 500 que croise Petit Piment au détour d'une rue en est un exemple parlant. A la fois protectrice, conseillère, elle guide les pas du jeune Petit Piment et lui donne sa chance. Elle est la mère de substitution. Elle fait écho au sourire de la femme triste du tableau de Lumières de Pointe noire: "J'ai regardé pendant longtemps le tableau accroché au mur: la femme triste m'a souri. Du moins, c'est de que j'ai cru au moment où je me suis approché d'elle et que j'ai senti son visage se détendre, ses yeux s'illuminer avec la lueur du jour. Elle avait tout à coup les traits de ma mère..."
Maman Fiat 500 rappelle aussi Sabine Niangui des débuts de Petit Piment, "l'image de la femme qui avait été là en permanence lorsque j'étais en difficulté, peut-être parce qu'elle se sentait quelque peu responsable de ma destinée pour m'avoir "ramassé" devant l'orphelinat".
Mais la femme, c'est encore la jolie Caroline qui porte de belles chaussures rouges neuves et une robe blanche avec des fleurs jaunes dans Demain j'aurai vingt ans et dont Michel est amoureux. Tandis qu'elle danse et voyage très loin plus loin qu'en Egypte, Caroline lui sussure à l'oeille: "Michel, tu es toujours mon mari et je veux habiter dans le grand château qui est dans ton coeur".
Si la femme est beaucoup la mère qui donne vie, qui apaise; elle suit les dualités entre les mondes mythologiques et ceux de la réalité. Elle fait le lien entre ces deux univers qui forment un tout dans chacun des livres. Dans Petit Piment remarquons simplement ce jeu des deux parties qui passe de Loango à Pointe Noire. Loango est le royaume ancien du Congo. Le principe historique intervient comme un nouveau jeu qui donne à la réalité plus de puissance parce qu'il ouvre les portes de l'Imaginaire. C'est encore ce même phénomène qui porte à définir Petit Piment comme un roman d'aventures qui flirte avec agilité avec la fable et le conte. On retrouve cette même idée à travers le passage de la rivière Tchinouka, limite après laquelle tout bascule vers la folie.
Aussi le roman pour Mabanckou c'est avant tout une histoire comme un écrivain c'est avant tout un lecteur.
Lorsqu'on lui pose une question sur les classiques et notamment sur les rapports de son dernier texte avec Defoe, Robinson Crusoe ou encore sur la présence du livre d'Olivier de Serres, il souligne:
"Il faut lire ou relire les classiques pour observer une humilité. Ces livres sont mes béquilles, et le plus souvent mes boussoles. J'écris aussi parce que je suis un lecteur. Au fond, mes livres sont à la fois des réponses que j'adresse à ces auteurs que j'admire et des couronnes que je leur tresse afin de leur manifester ma révérence..."
C'est aussi en partie pour cela qu'il a choisi d'enseigner aux Etats Unis à Los Angeles dans l'université de UCLA.
Définissant son métier de professeur, il nous dit aussi ce que la France aurait à apprendre de cet enseignement en ces termes:
"Je définis mon métier de professeur de littérature francophone comme le prolongement de ma passion pour l'écriture. Cependant j'aime à rappeler que je ne suis pas un professeur qui est devenu un écrivain, mais un écrivain qui est devenu professeur. Ce que j'enseigne est d'ordinaire peu enseigné en France où il y a encore de grands efforts à faire dans la vulgarisation des littératures en français venues d'ailleurs. Il manque de ce fait à la France une bonne partie de sa propre histoire, cette histoire qui l'a liée à l'Afrique, et plus globalement à ses anciennes colonies. La littérature africaine d'expression française par exemple, dans une certaine mesure, est née en réaction à la littérature coloniale française..."
Parmi les textes qu'il enseigne, qu'il a enseignés et qu'il aimerait enseignés, il souligne sa curiosité et ses désirs d'ouverture:
"J'enseigne les oeuvres de Camara Laye (L'Enfant noir), celles de Kourouma, de Sony Labou Tansi, de Senghor, d'Aminata Sow Fall, d'bdourahman Waberi entre autres. Mais il y a aussi des textes theoriques d'Achille Mbembe, de Catherine Coquio et ceux de l'espace anglophone que j'utilise dans une sorte de démarche comparatiste. Cependant je m'ouvre : le dernier cours que j'ai enseigné cette année était une introduction aux grands courants de la littérature française (Parnasse, romantisme, réalisme, surréalisme etc.). J'aimerais un jour enseigner les textes d'auteurs africains de l'espace hispanique et lusophone (je pense à Mia Couto ou à Eduardo Agualusa par exemple) ."
Enfin, un des traits caractéristiques de l'auteur réside dans sa générosité face à la littérature en marche. Il ne craint pas de faire l'éloge et d'aider les auteurs qu'il aime. Grand lecteur des classiques et de littérature contemporaine, il offre un discours optimiste très salvateur en ces temps sombres. Mabanckou est bel et bien cet écrivain qui croit profondément en la puissance de la littérature.
"La littérature contemporaine est de plus en plus portée par le souffle de la rencontre et de la complexité de l'individu. J'aime ce qu'elle apporte, et je suis persuadé que les marges bougent, le centre n'est plus dans les capitales des anciennes puissances coloniales. Il suffit de lire les écrivains insulaires (Haïti par exemple) pour comprendre cette rumeur du monde qui nous demande de plus en plus de nous effacer afin de convoquer notre imaginaire. J'aime un auteur comme Gary Victor (Haïti), Juan Pedro Guttiérez (Cuba), Mathias Enard et un Zimbabwéen George Makana Clark qui a, à mon avis, publié chez Anne Carrière "Les douze portes de la maison du sergent Gordon", un des plus grands romans de cette rentrée littéraire, et j'aimerais sincèrement que les lecteurs le découvrent... "
Propos recueillis par Philippine Cruse
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