André Glucksmann, le libre penseur

C'est son fils Raphaël qui a annoncé la mort de son père André Glucksmann sur sa page Facebook en ces termes émouvants : "Mon premier et meilleur ami n'est plus. J'ai eu la chance incroyable de connaître, rire, débattre, voyager, jouer, tout faire et ne rien faire du tout avec un homme aussi bon et aussi génial. Voilà, mon père est mort hier soir".

Une vie marquée par les tournants de l'Histoire

Né à Boulogne-Billancourt le 19 juin 1937 dans une famille d'origine juive polonaise, André Glucksmann a été profondément marqué enfant par la tragédie de la Seconde Guerre mondiale. En lutte contre la pensée nazie, il s'engagera auprès du Parti communiste français, pour se rendre compte compte de son erreur après la lecture de L'Archipel du goulag de Soljenitsyne, en 1974. Il deviendra ensuite maoïste come beaucoup d'ntellectuels français influencés par Louis Althusser. Las, les "ruses" du totalitatrisme cachées une fois de plus derrière le petit livre rouge le conduiront à tourner le dos  de nouveau à cette nouvelle idéologie. 

Une oeuvre sur la conscience

Agrégé de philosophie en 1961, André Glucksmann publie son premier livre en 1967 : Le discours de la guerre. Après avoir tourne le dos au stalinisme, et publie en 1975  La cuisinière et le mangeur d'hommes (Seuil), un de ses livres-fondateurs sur l'Etat et la nouvelle forme de totalitarisme héritée du communisme, suivi par Les Maîtres penseurs en 1977 (Grasset). C'est ainsi qu'il initie un cycle de travaux sur la place du philosophe dans l'Histoire et la question de la morale en politique, dont ses ouvrages Le Bien et le mal (1997-Grasset) et Cynisme et passion (1999-Grasset) sont une illustration forte.  
Après les attentats du 11 septembre en 2001, il avait publié Dostoïevski à Manhattan (Robert Laffont), un texte particulièrement éclairant dans le contexte actuel, dans lequel il faisait un parrallèle entre les islamistes et les nihilistes décrits par Dostoïevski. Un livre qui  avait pris la mesure de la spécificité d'un phénomène, l'islamisme, décrit comme le nouveau visage du totalitarisme, alors que d'aucuns n'y voyaient alors qu'une forme de terrorisme. André Glucksmann avait vu juste : c'est bien ce que décrit aujourd'hui Boualem Sansal par exemple dans son livre 2084, co-lauréat du prix du roman de l'Académie Française en 2015. Dans un de ces derniers livres publié en 2006 Une rage d'enfant (Plon), il revenait sur son enfance et notamment sa cache pendant l'Occupation et  en 2009 il livrait dans Les deux chemins de la philosophie (Plon) une forme de testament sur la place du philosophe engagé. En 2009, le philosophe avait aussi fait parler de lui, lui dont les colères et les révoltes étaient légendaires, lors d'une tribune qu'il avait publiée dans Le Monde : Gaza, une riposte excessive ? Dans son dernier livre, Voltaire contre-attaque (Robert Laffont), le philosophe retrouve les racines des Lumières pour éclairer la pensée contemporaine et exprime son engagement européen :  "Face aux  infamies  aux fanatismes et aux nihilismes, quelques injections de lumières voltairiennes peuvent aider." Lis Candide et connais-toi toi-même. ""
Engagé, courageux, André Glucksmann aura suivi les méandres de l'Histoire du XX èsiècle  en essayant toujours avec exigence de penser"juste". L'Histoire aura montré  toute la difficulté de ce "juste". C'est un grand penseur et un grand témoin qui disparaît.