En septembre 2022, Augustin Trapenard a pris la suite de François Busnel pour présenter chaque mercredi soir, La Grande Librairie sur France 5. Le jeune normalien, spécialiste de littérature victorienne, qui est passé par la radio sur France Inter avec le fameux Boomerang ou la télévision à Canal + avec Le Cercle, a toujours su jongler avec audace sur la culture et l'air du temps. Six mois plus tard, il a imposé son style avec panache. Rencontre avec un présentateur qui a su relever le défi de conduire une émission renouvelée, sans jamais déroger à sa qualité.
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Augustin Trapenard a l'œil rieur et le verbe rapide. Ce bateleur des lettres, incontournable aujourd'hui à la tête de La Grande Librairie, connaît autant ses classiques que la littérature des marges. Cet éternel enthousiaste, qui ne cesse de découvrir de nouveaux auteurs, ne recule devant aucune curiosité. Même s'il sait se conformer aux exigences d'une émission grand public. Lorsque François Busnel, à la tête de l'émission littéraire pendant 15 ans, a choisi de lui passer les commandes en septembre 2022, il avait déclaré : « Je tiens à ce lien invisible qu'on appelle la confiance... Et je sais qu'Augustin sera à la fois dans une forme de continuité et d'inventivité. » Confiance, inventivité, renouveau dans la continuité... François Busnel ne peut que se féliciter de son choix. Augustin Trapenard, six mois après, a pris ses marques. La Grande Librairie en sort ragaillardie. Une transformation réussie, toute en douceur.
Si Augustin Trapenard s'est lancé dans le monde de la radio et de la télévision, plutôt que dans celui de l'enseignement universitaire ou de l'édition, comme nombre de ses anciens amis de Normale Sup, c'est avant tout, pour pouvoir partager sa passion des livres avec le plus grand nombre. Mais attention, derrière cette apparence de joyeuse convivialité, se cache un bourreau de travail. « Augustin Trapenard est doué, très doué. Mais cela ne suffit pas. C'est aussi un grand bosseur. Il a toujours un train d'avance sur les autres. » nous confie un membre de son entourage. Digne descendant d'un Bernard Pivot qui a démocratisé les lettres à la télévision, Augustin Trapenard sait qu'il doit relever un défi de taille: conduire une émission d'une heure et demie en prime time sur une télévision nationale, sans jamais tomber dans le formalisme académique. L'un de ses secrets ? Savoir suivre une idée, la conceptualiser avec un sens du spectacle, hérité de l'esprit Canal +. Un jeu entre abstraction et art de la formule qui fait mouche. Bref, une agilité, que des années de pratique du direct (on se souvient de ses improvisations pendant le festival de Cannes) ont su transformer en maestria.
Nous partons rencontrer Augustin Trapenard à France Télévisions. Avant de l'interviewer, nous assistons aux répétitions du plateau et au tournage de son émission. Une équipe s'anime dans l'ombre. Augustin Trapenard est partout. Il vérifie les derniers réglages, répète son conducteur (le texte de son émission, préparé auparavant avec son équipe de production), réfléchit au rythme de l'échange futur entre les invités, en imaginant les scénarios des réponses. Plusieurs répliques ont été prévues pour rebondir en cas de flottement. L'animateur se montre à la fois acteur, chef d'orchestre, organisateur... Concentré, un peu tendu, comme un sportif avant l'épreuve, même si toujours souriant. Ses fiches soigneusement préparées sont par inadvertance poussées par terre par un invité. Il grimace. Le stress monte d'un cran. La régisseuse les ramasse et les remet en place tout de suite. Chacun a ses rituels. Celui des fiches bien rangées et des micros de secours sous la table en font partie.
Puis, Augustin Trapenard s'installe, bardé de son oreillette, fil invisible qui le relie à son producteur et à son réalisateur en régie. Les invités s'installent. Musique du générique. L'émission commence. Une heure et demie sans pause. Quatre invités, des surprises, des lectures... Augustin Trapenard tient les rênes. Il lance ses questions, met en valeur ses invités, part à la rescousse de ceux qui sont mal à l'aise devant les caméras. Les idées fusent. Les écrivains s'expriment. La glace se brise. Il faut conclure. L'émission touche à sa fin. Le Droit dans les yeux annonce la dernière séquence. Le rideau tombe. Tout le monde se lève. La tension diminue nettement, mélange entre fatigue et soulagement. Nous retrouvons Augustin Trapenard dans sa loge. Il est en réunion avec le producteur Emmanuel Perreau, pour le traditionnel debrief d'après émission. Prêt pour une interview ? Il s'installe sur le canapé de cuir noir un peu défraîchi, près de ses boots, de son jean et de sa veste de rechange. C'est parti. Les rôles s'inversent. Cette fois-ci, c'est lui qui répond aux questions.
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Légende photo : Augustin Trapenard très concentré pendant son interview dans sa loge
- Augustin Trapenard : Je ne dirais pas costume. Je dirais plutôt que j'ai apporté mon style à l'émission, je lui ai donné ma couleur. C'était un grand honneur pour moi de venir à la suite de François Busnel. La barre avait été mise très haut. Il me fallait respecter un format et une continuité. Mais petit à petit, j'ai pris mes marques de manière plus personnelle. Avec ses encouragements d'ailleurs.
- A.T. : L'éclectisme, peut-être. J'aime composer un plateau avec des touches différentes. De plus en plus souvent, par exemple, nous osons inviter un auteur de premier roman, à côté de stars des lettres. Cela crée une curiosité et un effet de découverte qui tient le spectateur en haleine. Dans une émission comme celle-ci, nous ne devons jamais oublier, que nous nous adressons au grand public, qui aime retrouver ses repères et les auteurs qu'il connaît. Mais notre rôle est aussi de l'amener à découvrir d'autres talents.
- A.T. : Il est clair que l'ADN de La Grande Librairie, ce sont les livres. Regardez notre décor : il y a toujours plein de livres sur la table basse. Mon but est de faire partager une vision du monde à travers ces livres. Cette vision est portée par des romanciers, des philosophes, des illustrateurs.... Qu' appelle-t-on actualité ? Une résonance avec les débats et les mouvements de la société ? Les livres qui viennent d'être publiés en sont souvent une illustration. Mais parfois, nous célébrons un anniversaire notable, lié à une pérennité exemplaire, comme lorsque nous consacrons une émission à Colette par exemple. Parfois, il y a un thème qui s'impose, lorsque plusieurs livres paraissent par coïncidence sur le même motif. Il y a des lignes qui se dessinent. Elles sont contrastées. La semaine dernière nous avons parlé de guerre et de résistance avec Andreï Kourkov, Frédéric Gros, Dominique Bona et Andreï Makine. Ce mercredi 29 mars, nous consacrons notre émission au Petit Prince qui fête ses 80 ans. Nous recevrons un grand plateau avec notamment Alban Cerisier, Michel Bussi, Joann Sfar, Thomas Rivière, Marie Desplechin... Les semaines se suivent et ne se ressemblent pas !
- A.T. : Une émission, c'est un rythme. Il est vrai que j'aime ces moments qui composent des discontinuités, des surprises. Tout d'abord, quand cela a du sens, nous essayons de proposer davantage d'images ou de documents d'illustrations, qui explicitent ou servent de support à la présentation d'un livre. Ensuite, nous proposons toujours une visite à un libraire avec ses recommandations. C’est une pause hors du plateau, un lien entre les invités et le public que François Busnel avait mise en place et qui est importante.
Enfin, il y a deux rendez-vous qui me tiennent particulièrement à cœur, et qui touchent à la lecture et à l’écriture. Parler de livres sans entendre le texte ne me semblait pas concevable. C’est pourquoi, il y a de plus en plus souvent un texte lu ou chanté. C'est le moment inattendu qui permet de faire venir des artistes différents. Lorsque Yael Naïm a chanté le Chant des partisans la semaine dernière, nous avons tous été très émus. Et, il y a ce moment ultime, en fin d'émission que nous avons appelé Droit dans les yeux, où un écrivain nous offre un texte qu'il a écrit pour nous et qu'il lit en direct. Lire, écrire, expliquer, échanger... les différents versants du monde qui compose les livres.
Légende photo : La porte d'entrée de la loge d'Augustin Trapenard
- A.T. : Proposer une émission littéraire en prime time sur une chaîne nationale est unique au monde, je vous le confirme! Une exception française, reflet d'une longue tradition. Nous assumons de ne recevoir qu'un petit nombre d'invités et de prendre le temps de parler avec eux de leur livre, de les amener à échanger ensemble, de partager une conversation, dans laquelle le spectateur se sent partie prenante. Je suis un fervent partisan du dialogue et contre la censure - c'est pourquoi je suis attaché au direct, qui est le reflet d'une liberté. Le temps long, c'est un vrai luxe aujourd'hui. L'intelligence du dialogue, aussi.
- A.T. : Lire est une résistance et un plaisir. J'irais même plus loin, une jouissance. Comme le disait Roland Barthes : «Le texte jouit». J'ai un plaisir tactile, sensuel à toucher un livre. Sentir son parfum. Effleurer le papier. Il y a une sensualité puissante attachée au livre qui relève d'une alliance de tous les sens.
- A.T. : J'ai dit à plusieurs reprises que Fragments d'un discours amoureux de Roland Barthes était le livre que j'offrais souvent. Une bible pour comprendre les ressorts du sentiment amoureux et ses contradictions. Je me le suis offert aussi, parfois ! Un autre livre qui m'a beaucoup marqué est Retour à Rheims de Didier Eribon. Il m'a permis de porter un autre regard sur le fait culturel. Il existe un lien entre culture et liberté. La culture entraîne un apprentissage, une exigence, une forme de violence, aussi. Plus récemment, j'ai été frappé par le premier roman d'un jeune auteur américain : Vie animale de Justin Torres. L'histoire d'un petit garçon qui vit au milieu d'une fratrie, bousculé par une famille brutale, animale. De cette meute, qui est d'abord nommée par un on originel et indifférencié, l'auteur va trouver sa différenciation et exister par un je. C'est un livre fort sur l'émergence d'une personnalité. Et une voix à suivre. J'attends avec impatience son prochain livre qui est annoncé pour parution prochaine.
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La Grande Librairie, sur France 5, chaque mercredi à 21.00
Présenté par Augustin Trapenard, ce magazine littéraire créé par François Busnel, est le grand rendez-vous de l'actualité littéraire sous toutes ses formes : romans, essais, histoire, polars, bandes dessinées, jeunesse... Replay disponible sur France.tv
Maison de production : Rosebud Productions / France Télévisions
Réalisation : Adrien Soland
Producteur : Emmanuel Perreau
Journalistes: Victoire Boutron, Dorothée Fries, Inès de la Motte Saint-Pierre
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Prochaine émission : Mercredi 29 mars à 21h sur France 5. Emission spéciale pour fêter les 80 ans du Petit Prince. Avec Alban Cerisier, Michel Bussi, Joann Sfar, Laurence Vanin, Thomas Rivière, Marie Desplechin et Eliott Bonduelle.
> Voir et écouter Yaël Naim chanter Le chant des Partisans lors de l'émission de La Grande Librairie du 22 Mars 2023 :
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