Festival Belles Etrangères

Cap sur la littérature colombienne

Jusqu'au 20 Novembre prochain, partons à la découverte de la littérature colombienne à travers le festival des Belles Etrangères qui célèbre aussi cette année le Bicentenaire des indépendances d'Amérique latine. Des auteurs qui partagent une terre et une histoire mais aussi des souffrances et des espoirs. Autant de moyens de découvrir la pluralité d'un pays mais aussi de tout un continent. Douze auteurs ont été sélectionnés par la traductrice française du grand Gabriel Garcia-Marquez, Annie Morvan. Regard sur un pays où la littérature mène le combat pour la liberté.

Depuis 1987, la manifestation des Belles étrangères est une invitation à découvrir les littératures du monde en accompagnant l'aide à la traduction, à la publication et à la diffusion menée par le Centre National du Livre.
Pendant deux semaines, sont organisés des événements avec des libraires, des bibliothèques, des universités dans divers lieux culturels partenaires du CNL dans des villes françaises et belges. De Dunkerque à Montpellier en passant par Liège, la littérature colombienne va faire parler d'elle passant des terres du roman noir à celles de la poésie. Plus de quarante villes concernées, près de soixante rencontres publiques, de vastes horizons à découvrir...

 

Parmi elles, nous étions hier soir à Paris à l'institut Cervantès où était organisée une rencontre entre Tomas Gonzales, Juan Manuel Roca et Antonio Ungar. Le personnage de l'écrivain Tomas Gonzales est haut en couleurs, traversant l'existence de Bogota à Miami en passant par New York, de barman, traducteur et écrivain. Auteur du très récent Au commencement était la mer paru au Carnet du Nord, il nous a donné la délicieuse envie de se plonger dans son livre. Mais plus encore à travers le dialogue entre ces trois écrivains, nous avons pris conscience que la littérature colombienne était une des plus fécondes d'Amérique latine.

 

D'ici et d'ailleurs

Car, pour beaucoup d'entre nous en France, la littérature colombienne s'arrête à quelques noms. Or, aux côtés des grands maîtres que sont Gabriel Garcia Marquez ou Alvaro Mutis, se trouve toute une génération d'auteurs qui regarde un pays pluriel et fascinant. Fédérés par l'exil, les écrivains colombiens sont sortis de leur pays pour mieux l'écrire. La rencontre avec d'autres cultures littéraires étrangères est source de création pour ces auteurs contemporains fort cultivés. Si certains vivent ou ont vécu hors de leur pays, ils ont une culture en matière de littérature étrangère que de nombreux Français peuvent envier. Ce regard vers l'ailleurs est ainsi une caractéristique forte et très riche de cette littérature particulière.

 

Violence et perte de repères

Marquée par les thématiques de l'exil et de la violence, la littérature colombienne contemporaine comme le note Annie Morvan," reflète ce sentiment de perte des repères et de désespoir, qu’il s’agisse de l’assassinat du père dans le livre d’Hector Abad Faciolince, L’Oubli que nous serons, de l’errance dans Bogotá du héros d’Antonio Caballero, du drame du village évoqué par Evelio Rosero dans Les Armées, de l’exil chez Jorge Franco et Santiago Gamboa ou de la poésie lyrique et visuelle de Juan Manuel Roca."
Selon l'écrivain José Manuel Fajardo, la littérature de Santiago Gamboa est encore "l'expression d'un tournant intellectuel: celui des écrivains latino-américains qui proclament leur droit non seulement à raconter la réalité de leur pays mais aussi à nommer le monde". Dans son dernier ouvrage Nécropolis 1209 qui se passe en Israël, Gamboa ne cherche pas à parler du conflit israelo-palestinien mais plutôt le dépasser en faisant dialoguer les mots et les histoires. Rassembler, se raconter des choses pour protéger les aspects de la vie, voilà une des grandes finalités de cette littérature.

 

L'auteur d'un livre: Antonio Caballero

Ecrivain mais aussi très grand journaliste se trouvant parmi les créateurs de Diario 16, Antonio Caballero a plus d'une corde à son arc passant des terres de l'esthétique à la politique avec une agilité déroutante. Dans un entretien accordé au Point, cet auteur parlait de la situation colombienne et soulignait le rôle de l'écrivain et  journaliste dans une époque trouble. Dans son unique et vastel livre, Un Mal sans Remède, (Belfond), il tourne en dérision le réalisme magique, rappelant l'importance de la caricature, "cette façon hyperréaliste de voir le monde".
Cet écrivain dit encore écrire sur la laideur et dépasser à travers ses textes d'écrivain le rapport politique engagé dans ses articles de presse. Son oeuvre d'écrivain passe aussi par une passion: celle d'écrire sur les taureaux qu'il décrit encore comme un plaisir incroyable et une source inépuisable de beauté. Antonio Caballero sera vendredi 12 Novembre à Bordeaux pour une rencontre avec le poète Juan Manuel Roca animée par Thierry Bayle, journaliste et romancier attaché culturel de l'ambassade de France en Colombie.

Roman historique

Inventer les motifs littéraires de l'histoire et non pas plaquer l'histoire dans le roman est une des volontés de l'écrivain Juan Gabriel Vasquez qui dans Histoire Secrète du Costaguana, explore son pays avec Joseph Conrad. Vasquez a vécu à Paris de 1966 à 1999, choisissant cette ville pour faire comme beaucoup de ceux qu'il admire  parmi lesquels James Joyce, Ernest Hemingway ou encore Mario Vargas Llosa. Son rapport à l'histoire est intéressant car il suppose d'être vivant et surtout pas fixe.

Dans un genre parallèle, William Ospina est aussi l'invité de ces belles étrangères.  Ses livres nous emportent dans de vastes mythologies. Des livres sur le voyage qui regardent le rapport moderne à la nature, son oeuvre n'en est pas moins engagée. Il souligne à quel point la Colombie est terre de violence, de guerre et d'insécurité, liée notamment aux problèmes du narcotrafic. Dans les textes d'Ospina et notamment dans Le Pays de la cannelle, (JC Lattès) le lecteur part à la découverte de toute la magie de la forêt amazonienne. Ospina convie à la redécouverte de toute une part de l'histoire. Du roman historique au roman d'aventure, la prose de cet auteur émerveille par son côté baroque et parle de végétation, de beauté et d'arbres qui méditent, se rappelant les lunes qu'ils ont vues.

Un pays qui doit regarder en avant.

Hector Abad Faciolince porte quant à lui un regard où l'on peut percevoir des lueurs d'espoir dans un horizon pourtant profondément inquiétant. La littérature peut-elle permettre une issue comme au jeune Andrès dans son dernier roman Angosta qui arrive à trouver dans le lieu minuscule où il vit des éclairs de liberté. Ce texte souligne encore les contrastes et les paradoxes de cette ville, métaphore de l'angoisse où dans un vieil hôtel se cotoient aussi bien les espérances que les amertumes.

La littérature, de l'engagement à l'évasion

Notons encore parmi les événements à ne pas manquer du festival, la rencontre à Paris au théâtre de l'Odéon le 15 Novembre prochain entre Fernando Vallejo et Mathias Enard, ce dernier qui vient de recevoir le Prix Goncourt des Lycéens avec sa fable en prose, Parle leur de batailles, de rois et d'éléphants.
Fernando Vallejo, quant à lui est présenté comme le mauvais garçon des lettres colombiennes. On se souvient notamment qu'il provoqua l'opinion en affirmant son amour des jeunes garçons. Son oeuvre ample et baroque donne encore l'image d'un pays torturé, violent et corrompu. A l'occasion de la parution de son texte La Rambla Paralela en 2004, Myriam Perfetti évoquait "ses phrases violentes, ses prises de position assassines sur la déconfiture d'un monde voué à la perversité" et encore "une oeuvre inclassable, scandaleuse et hallucinée". La rencontre de ces deux écrivains sonne comme la confrontation de la littérature engagée de la prose de Vallejo et du souffle poétique des textes d' Enard.

Une mise en abyme de la littérature

Ces belles étrangères nous font goûter une littérature contemporaine qui vit en ce moment un moment très intéressant associé à une période de crise politique sévère dans le pays. Or, les grandes générations d'écrivains ne sont-elles pas liées à des moments de conflits où les auteurs cherchent à expliquer et témoigner des réalités sociales et politiques? Enfin, les oeuvres choisies portent toutes en creux une réflexion sur ce qu'est et peut la littérature.

En savoir plus

Antonio Caballero, Un Mal sans Remède, Belfond.

Santiago Gamboa, Necropolis 1209, Métaillé.

Fernando Vallejo,  La rambla paralela, trad. par Michel Bibard, éd. Belfond, 2004

 

>Découvrez tout le programme des Belles Etrangères 2010

>Lire aussi notre article sur Mathias Enard, Prix Goncourt des Lycéens 2010

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