"Les rêveurs" et "S'aimer quand même"

Isabelle Carré et Isild Le Besco : deux actrices, à la plume très prometteuse

D’ordinaire devant la caméra, les acteurs s’invitent de plus en plus en librairie. Si ce phénomène existe depuis une dizaine d’année, la nouvelle génération d’acteurs/écrivains, à la différence de leurs ainés, préfère produire des œuvres romanesques plutôt que d’écrire sur leur vie professionnelle. Viabooks s’est penché sur deux de ces nouvelles auteures, Isabelle Carré et Isild Le Besco, à la plume très prometteuse. 

Isabelle Carré, Les Rêveurs, (Grasset)

Quand l’enfance a pour décor les années 70, tout semble possible. Mais pour cette famille de rêveurs un peu déglinguée, formidablement touchante, le chemin de la liberté est périlleux. Isabelle Carré dit les couleurs acidulées de l’époque, la découverte du monde compliqué des adultes, leurs douloureuses métamorphoses, la force et la fragilité d’une jeune fille que le théâtre va révéler à elle-même. Une rare grâce d’écriture.

Entre réel et fiction

Hormis son talent, qui fait l’unanimité dans le milieu cinématographique, Isabelle Carré dévoile très peu d’informations en ce qui concerne sa vie privée. Dans cette œuvre l’actrice se raconte, nous parle d’elle, enfant perdue, de son père, qui mettra des années à s’assumer, de sa mère, fragile et épuisée par son travail, de ses frères, de sa maison, le tout dans un décor situé dans les années 70. Le lecteur suit cette enfance pleine de rêves qui cache néanmoins de la tristesse et beaucoup d’incompréhension. Elle révèle sa part de fragilité dissimulée au quotidien sous un sourire. C’est une véritable découverte, cette jeune fille désemparée, nous confie ses angoisses existentielles, ses rêves contrariés et même sa tentative de suicide qui l'obligera à séjourner dans un hôpital psychiatrique. C’est à ce moment que la rencontre avec le cinéma et le théâtre se fera. Ce livre qui oscille entre fiction et autobiographie est, avant tout, un roman d'apprentissage, c’est l'étude d'une enfance dramatique, d’une vie qui a fait d'Isabelle Carré l'actrice pétillante que l'on connaît. Le but de se livre n’est pas de raconter des faits, mais plutôt de faire passer des émotions.  «Je ne voulais pas faire une radio du passé, mais me laisser du champ, de la liberté. Ce livre n'est pas une enquête ni un témoignage mais une vraie histoire avec ses aspects les plus romanesques. (...) Je voulais me laisser la possibilité d'explorer plusieurs pistes, de jouer au ‘'jeu des si'', d'inventer des choses que je ne savais pas. Je souhaitais remplir tous les vides et les trous par l'imaginaire.» confie-t-elle au Figaro.

Un style qui dénote avec l’atmosphère de l’œuvre

Pour une première œuvre, Isabelle Carré fait mouche et dévoile au lecteur une plume délicate, sensible, légère, fluide et poétique. La narration navigue entre les époques, les personnages, les points de vue, sans que jamais le lecteur ne soit perdu. Sans chronologie, elle laisse à sa mémoire le soin de guider le fil du récit. A défaut de suivre une échelle du temps le lecteur suit l'échelle d'intensité des émotions, des ressentis. Ainsi on se laisse envahir par les brides, et flash dont la narratrice se rappelle. Les confidences de l’auteure sont touchantes, écrites avec une grande simplicité de ton. Elle ne cherche pas à créer de la pitié ou de la complaisance chez le lecteur, on ressent chez elle une véritable sincérité. Les ateliers d’écriture qu’elle a suivis auprès de Philippe Djian, lui ont permis de puiser la force pour publier une œuvre qui murissait au fond d’elle depuis de nombreuses années, et le tout de manière qualitative. Son style si naturel et léger permet au lecteur de refermer le livre avec le sourire malgré une histoire, pas toujours très rose. 

Extraits : « Elle continue sa route, la tête bien droite, elle avance vers ce point mystérieux qu’elle fixe toujours, elle s’éloigne d’une marche régulière, presque mécanique, elle avance invariablement, sans enthousiasme ni détermination, sa trajectoire se dessine toute seule, elle n’espère rien, elle se déplace simplement vers autre chose, là où elle est censée se rendre, et ce rendez-vous, ce but quel qu’il soit, la laisse indifférente tout autant que ma disparition. Ma panique, mes efforts pour attirer son attention sont inutiles, aucun de mes hurlements ne l’alertera… Elle poursuit sa route, la poussette à la main, sans s’inquiéter de moi. Elle n’a pas senti ma main lui échapper, elle n’était que de l’eau ou du vent dans la sienne. J’ai six ou sept ans, et ce rêve revient de plus en plus souvent. Je sais bien que ce n’est qu’un cauchemar, mais il semble contenir une vérité que je ne saurais ignorer : ma mère ne me voit pas, elle ne me sauvera d’aucun danger, elle n’est pas vraiment là, elle ne fait que passer, elle est déjà passée. Elle s’en va. »

Isabelle Carré, en quelques mots

Isabelle Carré est une actrice française, née le 28 mai 1971 à Paris. Elle a obtenu le César de la meilleure actrice en 2003 pour son rôle dans "Se souvenir des belles choses" ainsi que le Molière de la comédienne à deux reprises, en 1999 pour "Mademoiselle Else" et en 2004 pour "L'Hiver sous la table".

Isild Le Besco, S’aimer quand même, (Grasset)

Une femme qui raconte son amour fou pour l’homme qui a failli la tuer ; un petit garçon qui se sent petite fille ; une jeune Indienne qui se remémore la nuit où elle avait encore un visage, et même Marilyn Monroe  qui fuit l’Amérique pour retrouver celle qu’elle était… Dans ce livre hybride, écrit et dessiné, entre journal intime et journal de voyage, entre Chine et Afrique, la surprenante Isild Le Besco, actrice et réalisatrice précoce, nous parle des femmes, de l’amour et de l’enfance. Elle dit, dans une langue vive et canaille, naïve et crue, la difficulté de communiquer quand les mots manquent, mais aussi le bonheur à découvrir que le langage ne sert pas qu’à se comprendre. A s’aimer peut-être ?

Des émotions à brut

Dans son œuvre Isild Le Besco parle des femmes, et à la fois de la simplicité et de la complexité d’être une femme. Entre journal intime et journal de voyage, on va de la Chine à l’Afrique pour découvrir des fragments de vie, des histoires incroyables et des fractures amoureuses. L’auteur nous parle d’amour et des différentes formes qu’il peut prendre. Dès le début de l’œuvre, avec Résonance, le lecteur comprends qu’ici, les joies, les peines, les moments heureux ou malheureux seront tous mis en avant pour parler de la vie, et des émotions qu’elle nous transmet et nous inflige. A travers tous ces écrits instantanés on découvre l’amour et ses multiples facettes, qu’il soit amer ou doux. L’auteur pose un œil juste et féminin sur les relations humaines en générale. Isild Le Besco a fait le choix de produire une œuvre hybride, qui regroupe l’écrit et le dessin. Cette proposition artistique originale éveille les sens du lecteur. Les images attirent les yeux, le grain du papier de qualité, et le son des pages qui se tournent à grande vitesse. En une soirée, il est possible de dévorer le texte de cette jeune auteure. Néanmoins si on veut vraiment apprécier le livre, on s’y replonge pour une nouvelle lecture, encore plus attentive et pour se laisser dériver entre tous ces continents et l’histoire de ces femmes et de leur amour.

Extraits : « Franchement ton livre, il parle de choses carrément perso !

- Oui…

- Ce n’est pas un roman, c’est ta vie quoi ?

- Des moments de vie.

- Ta vie quoi !

- Non, des moments de vie.

- Franchement, joue pas avec les mots, c’est quoi la différence ?

- La différence, c’est que je parle de moments de vie qu’on traverse tous.  »

« On ne peut donc jamais guérir de cela? Du désamour? Dois-je vivre éternellement avec? Quelle fatalité! Si on n'a pas été aimée tôt, on ne le sera jamais? Quel fardeau... »

Isild Le Besco en quelques mots 

Isild Le Besco, née à Paris le 22 novembre 1982, est une actrice, scénariste et réalisatrice française. Fille de l'actrice Catherine Belkhodja, elle est la sœur de l'actrice et réalisatrice Maïwenn et de Jowan Le Besco. Devenue comédienne très jeune dans un film d’Emmanuelle Bercot, La Puce, Isild Le Besco a souvent incarné des personnages insaisissables, à vif. En tant que réalisatrice elle met en scène des personnages perdus, comme dans Demi-tarif avec des enfants abandonnés, ou dans La Belle Occasion avec des forains marginaux.

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