Dan Franck prolonge son voyage au coeur des intellectuels et artistes du XXème siècle, en abordant la triste période de l'Occupation française avec son dernier opus: Minuit. Troisième tome d'une oeuvre entamée avec Bohèmes et Libertad!, qui abordaient respectivement la période du début du XXème siècle à Paris, puis celle de la Révolution espagnole, Dan Franck exhume les faits et gestes des écrivains emblématiques tels Céline, Sartre, Drieu La Rochelle ou Cocteau. Un roman engagé, fruit d'une longue investigation, qui lève le voile sur la place des intellectuels et leur éternel dilemme face aux grands rendez-vous de l'Histoire.
Alors que les toiles de maître brûlent dans les jardins du Jeu de Paume, que les statues se transforment en canons et que les Allemands pilotent les maisons d’édition, chacun prend parti à sa manière, mais la confusion règne et les voix sont multiples. Laquelle écouter? L'ode de Paul Claudel au Maréchal Pétain ou l'appel à la résistance du Général de Gaulle?
Virevoltant de personnage en personnage, l'auteur nous apprend que Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir ont la velléité de s’engager mais ne le feront que de façon « symbolique » et trop tardive aux yeux de nombreux. Quant à Picasso, le neutre, il veille sur ses femmes et ses toiles pendant que Cocteau se fait assister des Allemands pour jouer ses pièces.
Nombreux sont ceux qui luttent avec leur plume. A l’exemple de Jean Bruller, qui fonde dans la clandestinité avec Pierre de Lescure les Editions de Minuit. Une maison à laquelle Dan Franck rend d’ailleurs hommage à travers le titre de ce dernier ouvrage. Des auteurs engagés comme Aragon, Paul Eluard, Elsa Triolet, John Steinbeck, Jean Guéhenno et de nombreux autres y seront publiés sous pseudonyme.
Animateur de la Nouvelle Revue Française, Jean Paulhan brouille les pistes et revendique sa position d’agent trouble pour ne pas « être en évidence ». Sa collaboration n'est qu'une couverture qui camoufle ses activités de Résistant. Quant à l’écrivain Drieu la Rochelle, sa première femme est juive, et il avoue qu’il « n’a jamais pu la baiser à cause de cela ».
L’atmosphère du roman s’assombrit à la lecture des actes commis par les « crapules », ainsi nommées par Dan Franck lors d’une interview accordée à France Culture. Et de citer Marcel Jouhandeau qui s’enorgueillit d’avoir écrit Le péril juif pendant que son épouse dénonce Jean Paulhan auprès des Allemands. Autre couple dérangeant: Céline, délateur antisémite zélé, et son épouse Lucette Destouches pardonnant bien vite cette manie, parce qu’ « il est comme ça ».
Les plus affreux côtoient les plus lâches. Ainsi, le collaborateur Brasillach regrette que la déportation des juifs ne s’étende pas aux enfants. Sacha Guitry, lui, refuse de sauver la sœur de Max Jacob, la jugeant « israélite quelconque ».
Au cœur de ces démêlés historiques, l’auteur se garde de juger, mais ne manque pas de chambouler nos convictions. Il n’hésite pas à énumérer ceux qui vivent la collaboration confortablement tels Colette, Jean Anouilh, Jean Giono, René Barjavel, Tino Rossi, Arletty, Derain, Marguerite Duras… pendant que d’autres résistent dignement comme Joséphine Baker, Marc Bloch, Jean Prévost, Camus et Robert Desnos, qui n’avait pas peur d’affirmer : « il est des époques où même un poète ne peut pas ne pas prendre parti ». Il mourra en déportation.
Au fil des pages, on est happé par la vivacité du style, tout autant que par l’humour noir délectable.
Les chapitres sont ponctués de citations caustiques et les anecdotes des mondains sont croustillantes comme les mets raffinés qu’ils dégustent dans les grands restaurants ! Dan Franck trempe sa plume dans l’acide lorsqu’il décrit Coco Chanel partageant ses nuits avec un officier nazi ou Sacha Guitry qui « commet un acte de résistance » en plaçant un buste de Clémenceau dans son hôtel particulier…
Sur le tournage des Visiteurs du Soir de Marcel Carné, les décors des banquets sont dévorés par les comédiens affamés alors que Cocteau se « réfugie au Ritz » pour pleurer la mobilisation de Jean Marais ! Autres pointes d’ironie ; Pétain devient le « Maréchal-le-voilà » et Goebbels est accueilli à Paris par « moult courbettes ». Les accommodants sont des « esprits ni-ni » alors que les lâches sont excusés car « il fallait bien manger ». Observateur faussement candide, Dan Franck murmure : « tout allait bien dans le presque meilleur des mondes ».
Minuit est un roman populaire, le tableau vivant, féroce et palpitant d’une époque encore trouble pour le lecteur d’aujourd’hui. L'auteur nous dévoile que les créations des artistes et intellectuels ne sont jamais neutres. Aux yeux de Dan Franck, leurs couleurs offrent une palette multicolore. Et face à tous ces personnages dont on trouve certaines photos dans les pages centrales du livre, on ne peut que s’interroger : et nous, qu’aurions-nous fait à leur place ?
Les lauréats du Prix Mare Nostrum 2024 vient de livrer la liste de ses lauréats. Chaque lauréat recevra une dotation de 2 000 € pour sa c
Légende photo : en haut de gauche à droite : Deloupy (Les Arènes), Carole Maurel (Glénat), Pierre Van Hove (Delcourt/La Revue Dessinée), Sébast
La Centrale Canine décerne chaque année son Prix Littéraire aux 3 meilleurs ouvrages mettant à l'honneur la relation humain-chien.