Ecrire et enseigner

La double vie de Régine Nobécourt-Seidel

Le professeur de français écrivain à ses heures perdues est presque devenu un topos en littérature comme au cinéma (par exemple dans Le Garçon du dernier rang ou La Vie d'artiste). Régine Nobécourt-Seidel, écrivaine en chair et en os et anciennement enseignante, confie à Viabooks sa propre expérience de cette double vie...

Viabooks : Comme beaucoup d'écrivains (Ionesco, Daniel Pennac, Annie Ernaux et j'en passe...) vous avez exercé le métier de professeur de français. Viviez-vous ces deux facettes de votre vie comme des éléments complémentaires, ou les sentiez-vous séparées ?

Je ne me prétendrais jamais écrivaine comme tous ces auteurs que j’ai fait lire, étudier tels que Pennac, Ernaux, encore moins Ionesco. Je n’ai jamais pensé que raconter des histoires ou sa vie puisse être un métier. Mes élèves de tout âge ont raconté des histoires, ont écrit de superbes contes ou poèmes qui pouvaient parfois être aussi beaux, aussi admirables que certains des auteurs du programme. Et cela je l’affirme. Je crois que chacun doit avoir beaucoup de modestie dans le rapport qu’il peut avoir avec l’écriture. On sait raconter, on sait écrire, on sait gagner l’écoute de l’autre ou on ne le sait pas. On peut apprendre certes mais il faut absolument à la base, une envie chevillée au corps, d’aucuns diraient le don. Il en est qui en font profession parce qu’un jour, ils ont fait la rencontre qu’il fallait, avec un public, un lecteur, une conjoncture et qu’enfin ils ont pu en vivre. Ils l’ont parfois cherché longtemps avec obstination, opiniâtreté, mettant toutes leurs forces dans ce projet de marchandisation de leurs écrits. Moi, jamais. Mon écriture « à côté de celle du travail » était écriture plaisir. Ecrire m’était naturel et un besoin. Quand j’étais en classe de sixième je me faisais des « rédactions » sous le choc d’une émotion devant un paysage. Je pouvais imaginer une vie plus riche en événements que ma terne existence. Le fameux sujet « racontez vos vacances » me faisait feuilleter un de ces livres que j’avais reçus en prix : la Côte d’Azur en images par exemple et j’imaginais… et la lettre à une amie, à votre grand-mère ?… des rêves. J’ai enseigné. Ecrire m’était naturel, raconter aussi mais raconter la vie, la vraie vie parfois telle que je l’aurais souhaitée. Et je voulais surtout transmettre mais dans le contact avec le vivant. Ma vocation eût été, je crois le théâtre.

Viabooks : Votre manière d'écrire a-t-elle changé depuis que vous n'enseignez plus ?

Il est sûr que plus on écrit sans balises, plus on prend de libertés. Mon écriture évolue, je pense, mais ce sont les autres qui le disent. Je sais que dans les ateliers d’écriture que j’anime avec les adultes, on casse volontiers toutes les habitudes acquises en classe. Nous nous créons d’autres contraintes ludiques, libératrices. Les phrases deviennent plus courtes, de plus en plus proche du langage parlé.

Viabooks : Selon vous, le goût pour la littérature s'apprend-il ? Si oui, comment ?

Le goût pour la lecture se donne, se prend, ne s’apprend pas. C’est par mimétisme qu’un enfant lit. Quand il est d’un milieu où les livres sont présents partout, c’est naturel. Si l’enfant ne sait pas ce qu’est un livre chez lui, c’est à l’école (et dans les bibliothèques) que le contact se fait et comme l’affectif est ce qui prime, c’est aussi la rencontre de la personne qui lui fera rencontrer le livre, l’environnement du moment de la rencontre qui sont primordiaux. Quant à parler de littérature, depuis que je suis rayée des cadres de l’éducation nationale, j’y renonce ! Qu’est-ce que la littérature ? Plus j’avance dans la lecture moins je le sais. La littérature porte les valeurs universelles intemporelles.

Viabooks : Quels sont les auteurs, les livres qui ont révélé la littéraire en vous ?

Si je dis que la comtesse de Ségur, les contes de Perrault, de Grimm, d’Andersen ont été des déclencheurs, j’imagine tous les haussements d’épaules de ceux qui s’affirment véritables écrivains, que je déclenche. Il faut se trouver une référence à la mode, dans l’air du temps. Il est de bon ton de nommer Rilke pour la poésie avec ce sourire d’extase nécessaire, et pourquoi pas Aragon. Ou mieux un bon latin. Mieux encore Homère, c’est pas mal non plus ! Je n’ai jamais eu de révélation véritablement, c’est mon côté subversif, n’entrer dans aucun moule. J’ai aimé Zola à 18 ans aussi bien que Flaubert ! J’ai toujours préféré tout de même les livres écrits par des femmes, ça c’est sûr ! Je me souviens de Pearl Buck ! Pourtant j’ai passé de superbes été en compagnie de Troyat.

Viabooks : Y-a-t-il des choses que la littérature ne peut pas nous apprendre ?

La littérature et ça j’en suis de plus en plus certaine, aide à vivre, aide à s’affirmer, nous enrichit malgré nous dans notre relation avec l’autre, invite à une distanciation de plus en plus grande avec les événements de la vie et avec soi-même. La littérature c’est la vie. Sans elle, je ne serai pas ce que je suis actuellement. La littérature m’est nécessaire. Sans elle, je ne peux pas imaginer ce que serait ma vie. Je ne sais pas ce qu’elle n’apporte pas. Ce que je peux dire c’est qu’elle a, je pense, annulé en moi toute spontanéité. En effet j’avais lu tout ce que je pouvais ressentir, les actes de la vie, l’amour aussi avant de le vivre. En fait je me voyais agir. J’ai toujours eu l’impression de jouer un rôle dans ma vie. Je me regarde être. La littérature tuerait donc le naturel. La littérature ne nous apprend pas à être nous-mêmes. Elle révèle trop ce qu’est l’humaine nature.

En savoir plus

Régine Nobécourt Seidel, Convenances et préjugés, Edilivre

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