Alors que l'épidémie de coronavirus-Covid 19 bouleverse le monde, rappelons que de tout temps la maladie contagieuse avec sa part inconnue est devenue objet de fantasme littéraire. Lorsque la raison n'a pas de réponse, l'imaginaire prend le dessus. Et lorsque la société cède à la peur, la littérature apporte son lot de mots et de personnages emblématiques. Que cherchent les lecteurs dans ces textes ? En quoi les livres loin d'être futiles constituent-ils des refuges primordiaux ? Quelques exemples de ces livres fondateurs du lien entre maladie, épidémie et humanité.
En pleine pandémie de coronavirus-Covid 19, la lecture est la meilleure manière de rester dans son chez soi et de méditer sur la situation en cours. La maladie et l'épidémie sont en effet au coeur de la littérature. Ombres planant sur l'humanité, les épidémies ont souvent par le passé été associées à la colère divine, surtout lorsqu'il sagissait de la peste. Les écrivains ont saisi dans le sillage épidémique le ferment d'une interrogation sur la peur et la souffrance, mais aussi le sacrifice ou l'héroïsme. L'épidémie est une tragédie qui montre le pire et le meilleur. Elle est aussi et surtout objet de fantasme. Sourde, elle ressemble à un ennemi invisible qui inquiète autant qu'il stimule un imaginaire sans limite. Tout est permis quand tout semble perdu ? Ou plutôt tant qu'il y a des mots à mettre sur les maux, il y a encore de la vie. D'où ce besoin d'une littérature qui interroge, glorifie ce qui sème et laisse "sans voix". D'où aussi de nombreux textes qui posent la dimension morale et éthique en arrière plan. Comme toute situation limite, l'épidémie est révélatrice. Et comme dans ue tragédie, elle réunit souvent la concentration des trois unités : action, temps et lieu. Voici une sélection non exhaustive de quelques livres classiques dont le sujet central évoque une maladie épidémique.
L'épidémie est une tragédie. Rien d'étonnant à ce que la Grèce, ne voit s'épanouir des textes qui donnent à l'épidémie une dimension mythologique. Le plus célèbre est Œdipe roi, de Sophocle qui montre comment Oedipe doit définir le sens son destin alors que la peste se répand à Thèbes. Violence, parricide et choix moraux sont au coeur de ce texte forcément tragique.
La peste sévit à Florence en 1348. Le livre commence avec une description de fin du monde. Sept jeunes filles et trois jeunes hommes se réfugient dans la campagne pendant dix jours pour tenter d'échapper à l'épidémie. Dans ce lieu clos, les protagonistes vont chercher à se raconter des histoires pour passer le temps et oublier l'apocalypse qui rôde à leurs portes. Des histoires courtes qui se succèdent entre contes et récits écrits dans l'urgence d'une vie en suspension.
La Fontaine y fait référence à la peste de Thèbes et à l'Achéron, le fleuve des Enfers, frontière du royaume des morts, qu'il faut payer pour traverser. Afin de sauver son peuple de la peste, le roi propose le sacrifice du "plus coupable". Ce sera le plus honnête, l'âne. L'épidémie est ici allégorie du mensonge et d de l'injustice du monde politique : "Selon que vous serez puissant ou misérable,/Les jugements de la Cour vous rendront blanc ou noir".
De Daniel Defoe tout le monde connaît Robinson Crusoé. Lécrivain a aussi écrit un Journal de l’Année de la Peste, un texte entre Histoire et fiction, qui évoque de manière très documentée la Grande Peste en 1665, dans laquelle 20% de la population de Londres périt, soit environ 100 000 personnes. La Peste est ici à la fois maladie de mort mais aussi révélatrie de la sociologie de la ville et des destins de chacun, pauvres ou riches confrontés à leurs plus extrêmes penchants pour survivre. Et petit à petit la banalisation de la mort et de ses diversions. « Dans presque chaque demeure, ce n’étaient que pleurs et lamentations, surtout au début de la calamité ; car vers la fin, les cœurs étaient endurcis, et la mort se trouvait si constamment exposée aux yeux que les gens ne s’émouvaient plus autant de celle des proches, chacun s’attendant à être lui-même appelé dans l’heure suivante ». Ce livre, docu-fiction avant l'heure, est aussi riche sur le plan narratif qu'éthique et historique. Albert Camus a puisé son inspiration dans ce texte qui mérite d'être relu, surtout aujourd'hui.
« C’est LE roman de la tuberculose, à la fois noir et lumineux, une beauté froide », selon la formule de Pierre-Jean Rémy. Nous suivons dans ce roman que Thomas Mann écrivit pendant 10 ans la vie de plusieurs pensionnaires d'un sanatorium, dans lequel le héros principal atteint de tuberculose reste pendant sept ans. Ce lieu clos est à la fois prison et rédemption, au sein duquel la maladie devient vecteur d'une transformation physique et psychique. La tuberculose fut "la grande " maladie du début du XXe siècle. Elle fauchait souvent les jeunes dans la fleur de l'âge. Mais pas seulement. Cette longue épidémie fut interrompue par la découverte des premiers antibiotiques. Le livre de Thomas Mann est certainement le texte le plus emblématique lié à cette maladie qui s'attaquait aux poumons.
San Francisco a connu de terribles épidémies de peste, comme d enombreux ports. Dans ce roman, un ancien professeur d'université erre en compagnie de ses petits-enfants, revêtus de peaux de bêtes, dans le pays dévasté de la baie de San Francisco, ravagée soixante ans auparavant par ce terrible fléau… Comme une empreinte, un retour à l'essentiel. Les survivalistes d'aujourd'hui voient dans ce livre une sorte de récit visionnaire.
Il s'agit d'un essai faisant partie du recueil Le Théâtre et son double, qui comprend ausssi le Théâtre de la cruauté. Antonin Artaud y revisite toutes les formes d'épreuves qui poussent l'humain à sortir de son quotidien , on dirait aujourd'hui sa zone de confort, comme un effort nécessaire pour nourrir la création. Car à chaque fois que l'humanité est confrontée à ses limites, elle se réinvente. Ainsi de la peste. Cruelle et expériementale, elle oblige chacun à jouer un autre rôle. Artaud conçoit un parrallèle audacieux avec le théâtre lui-même : "De même que la peste, le théâtre est fait pour vider collectivement des abcès", (....) "par la mort ou la guérison". Une approche singulière sur le "sens" des épidémies et la proximité de la mort pour mieux nourrir l'intensité créative de l'artiste.
Dans les années 40 la peste s'abat sur Oran. La ville est placée en quarantaine et chacun doit faire face à la mort qui rôde. Albert Camus y décrit les différentes réactions humaines. La peste devient le révélateur des instincts les plus primitifs et aussi des héroïsmes, aavec en son centre la figure du docteur Rieux qui doit affronter la terrible maladie et aussi la mort de sa femme. Incarnation de la philosophie exposée par Albert Camus dans Le mythe de Sisyphe, le docteur Rieux se bat parfois sans espoir mais juste parce que là est son rôle. La Peste est une oeuvre majeure qui se relit à la lumière d'un événement ou d'un autre. Albert Camus l'avait écrit en écho au nazisme cette "peste brune" qui s'était abattue sur l'Europe. Les ventes de ce livre s'envolent depuis le début de l'épidémie de coronavirus-CO19.
En 1832, le choléra fait des ravages en Provence. Angelo Pardi, hussard italien exilé en France est poursuivi par les Autrichiens qui le soupçonnent de complot révolutionnaire. Le jeune soldat s'arrête pourtant sur son chemin pour soigner les victimes, sans craindre la contagion et observe depuis les toits l'agitation du monde. Angelo représente l'ange immortel au-dessus des bassesses des hommes. Symbole de la pureté qui rend fort par opposition aux petits arrangements qui apportent leur lot de malheur. Un roman sombre et lumineux à la fois.
Comment les écrivains ont-il appréhendé la syphilis, ce mal qui rongeait les hommes (et femmes) au XIXe siècle ? Les œuvres de fiction des plus grands écrivains de l'époque furent généralement ébranlées, creusées, couvertes par la hantise de l'effroyable maladie, dont le ferment de pourriture était à la fois physique, intellectuel, moral, mental. À travers les textes, la syphilis apparaît comme témoin de l'enfer et de la décomposition. Wald Lasowski nourrit son analyse en citant et en commentant les œuvres de Balzac, Stendhal, Daudet, Gautier, Baudelaire, Flaubert, Barbey d'Aurevilly, Zola, Maupassant, Huysmans, les Goncourt... La violence émanant de ces extraits est tout à fait saisissante. Elle montre combien toute maladie potentiellement mortelle et épidémique est illustratrice d'une époque, mais aussi de l'humanité en général. C'est pourquoi les écrivains s'emparent souvent de cette danse entre la vie et la mort, le bien et le mal.
Les maladies contagieuses sont au cœur de l'œuvre littéraire de l'auteur colombien et nobellisé, Gabriel Garcia Marquez. "J'ai toujours aimé les épidémies", affirmait-il dans un entretien au Monde en 1995. C'est la peste qui existe en toile de fond dans La Mala Hora (1961) et dans Cent ans de solitude (1967) et, comme son nom l'indique, le choléra dans L'Amour au temps du choléra (1985). Garcia Marquez fait un parallèle entre un amour déçu qui consumme son récipiendaire Florentino Ariza pour la belle Fermina Daza et l'épidémie de choléra contre laquelle lutte le docteur qui a épousé la dite Fermina. La passion amoureuse se répand et croît comme le virus épidémique. Maladie d'amour, donc, qui attaque le corps comme l'esprit de l'amoureux isolé. Maladie, amour, mort, un triptyque souvent évoqué dès qu'il s'agit d'épidémie. Eros et Thanatos, un grand classique illustré de manière flamboyante par Gabriel Garcia Marquez.
La Quarantaine est inspiré par la vie du grand-père maternel de l'auteur, qui a été contraint en 1891, alors qu'il rentrait à l'île Maurice de vivre pendant plusieurs mois sur l'île Plate, avec la totalité des passagers, mis en quarantaine pour cause de cas de variole à bord. «Que reste-t-il des émotions, des rêves, des désirs quand tout disparaît ? L'homme d'Aden, l'empoisonneur de Harrar sont-ils les mêmes que l'adolescent furieux qui poussa une nuit la porte du café de la rue Madame, son regard sombre passant sur un enfant de neuf ans qui était mon grand-père ? Je marche dans toutes ces rues, j'entends le bruit de mes talons qui résonne dans la nuit, rue Victor-Cousin, rue Serpente, place Maubert, dans les rues de la Contrescarpe. Celui que je cherche n'a plus de nom. Il est moins qu'une ombre, moins qu'une trace, moins qu'un fantôme. Il est en moi comme une vibration, comme un désir, un élan de l'imagination, un rebond du cœur, pour mieux m'envoler. D'ailleurs je prends demain l'avion pour l'autre bout du monde. L'autre extrémité du temps.» Un texte lyrique, poétique qui porte en creux la mémoire de l'auteur et évoque une page de l'Histoire.
Newark, États-Unis, 1944. Une épidémie de polio sévit dans cette ville de près de 450 000 habitants. D'abord épargné, le quartier juif de Weequahic connait ses premiers malades, puis la propagation de l'épidémie. Face à cette épidémie de polio, Philip Roth décrit le vécu d'une communauté d'hommes avec tous les sentiments qui s'y mêlent : peur, culpabilité, colère, douleur, mensonge, égoïsme... Il montre aussi comment chacun réagit en fonction de son histoire personnelle. Ainsi du héros central du livre, Bucky Cantor, 23 ans, directeur du terrain de sports, qui se sent coupable de ne pas être parti au front en Europe à cause de sa mauvaise vue. L'épidémie est pour lui comme une tentative de rédemption. Philip Roth réussit à illustrer toute la complexité de l'âme humaine dans un contexte de maladie et de peur. Que reste-t-il de chacun ? Quelle révélation de lui-même la maladie est le témoin ? Comme dans La Tache, Philip Roth dresse le portrait d'une société et de ses peurs cachées.
Le roi du suspense imagine une France touchée par une gigantesque épidémie de grippe, sur fond d'attaque terroriste. La menace sourde du virus résonne avec la peur des attentats. Une double violence qui tient le lecteur en haleine jusqu'au bout du livre. Ce n'est qu'un récit imaginaire. Et pourtant....
Légende photo : Jérôme Garcin, Hervé Le Tellier, Rachida Brakni, Marthe Keller, Gaël Faye, Kamel Daoud, Rebecca Dautremer, Emmanuel Lepag
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Légende photo : Abnousse Shalmani, lauréate du prix Simone Veil 2024, entourée de Pierre-François Veil (à gauche sur la photo) et Jean Vei