Depuis les années 80, la critique s’intéresse au retour du récit après plusieurs décennies de déconstruction voire de rejet du genre. En cette rentrée littéraire, ce retour se précise et se distingue en plusieurs mouvements. A travers eux, les relations entre fiction et réalité. Si certains auteurs trouvent dans la réalité matière à explorer les imaginaires, d’autres, écoutent les faits résonner dans le monde contemporain. Petite analyse de l’air du temps.
Qui dit retour du récit suppose rupture ou divorce avec le texte classique qui s’est amorcé au début du XXème siècle avec les grands modernistes parmi lesquels Eliot, Joyce, Kafka, Proust, ou encore plus tard Michel Butor et Nathalie Sarraute.
Au début des années 80, on a pu constater le développement d’une littérature où il était question en priorité de soi. Retour du sujet. L’écrivain se livrait, impudique, et nourrissait les mondes de l’autofiction. « J’écris pour comprendre, connaître, approfondir, mieux percevoir ce qui se déroule en moi » notait Charles Juliet dans Lambeaux. Trente ans après, le temps de l’auto-fiction semble s’être épuisé au profit d’un regard plus large sur le monde. Du sujet, le regard s’est porté vers l’objet et le monde plus généralement.
Avec le récit, l’écrivain s’inscrit dans la réalité et convoque une voix qui va porter l’ensemble du texte. Le retour au récit peut aussi se lire comme l’expression de ce qu’Antoine Compagnon définit à travers « le ras le bol de l’hyper-intellectualisme ». Retour qui prône le plaisir de la lecture. L’écrivain s’adresse à un lecteur et partage avec lui l’histoire. Il veut en quelque sorte l’emmener avec lui, lui raconter une histoire.
Comment cette réconciliation avec la forme narrative se développe-t-elle ?
L’écrivain écoute l'écho des faits anciens résonner dans le monde contemporain.
Une quinzaine de romans s'inspirent ainsi de la Seconde guerre mondiale pour cette rentrée littéraire. A priori, on pourrait penser que l’Histoire est là pour combler un manque d’imagination.Or, l’intérêt historique est loin d'être un frein à l'exploration de l'imaginaire selon Emmanuel Bouju. La préoccupation du formalisme s’affaiblit au profit d’un nouveau regard sur l’histoire et un engagement de la part de l’écrivain. Concernant particulièrement la Seconde Guerre Mondiale, Bouju souligne : « la littérature française ne s’est pas donné de repère historique aussi fort (...) contrairement à l’Allemagne, avec la chute du Mur ou au Portugal avec la révolution des œillets. » Pensons au texte surprenant de Claro CosmoZ qui revisite les cinquante premières années du XXème siècle en reprenant les fils tissés par Le Magicien d'Oz de Baum. La guerre d’Agérie est aussi la grande inspiratrice des récits d’Alice Ferney Passé sous Silence et de Jérôme Ferrari Où j'ai laissé mon âme en cette rentrée 2010.
Pour les deux écrivains, le roman s’est écrit après la confrontation d'une certaine réalité puisée dans le documentaire . Alice Ferney, aurait-elle eu l’idée d’écrire Passé sous Silence sans L’Ennemi Intime, un documentaire de Patrick Rotman sur la guerre d’Algérie ?
Emmanuel Carrère dans un interview accordé à Nathalie Crom pour Télérama, le 25 Mai 2009 va plus loin encore en revendiquant le fait de puiser dans ses textes la réalité la plus précise. Il s'éloigne de la pure fiction, ressentant la non fiction comme "plus aventureuse". Il souligne que "dans un travail d'enquête ou de reportage, on laisse faire le réel." et trouve du plaisir "à ce qu'un livre m'emmène loin" de lui". Dans le cas qui occupe l'écrivain, il s'agit d'entreprendre une désacralisation du roman et de garder dans l'esprit que le texte doit respecter strictement les faits et refuser l'invention. Néanmoins, cette attitude d'écriture ne souhaite pas s'opposer à la fiction mais plutôt proposer une autre direction proche de la notion de« roman vérité » développée par Truman Capote.
Dans un genre diamétralement différent, les romans d'Antoine Volodine confrontent histoire et littérature en livrant, note Bruno Blanckeman dans Les Fictions Singulières « une littérature imaginaire venue de l’ailleurs et allant vers l’ailleurs, une littérature qui revendique son statut d’étrangeté » Auteur de trois titres pour cette rentrée 2010, Ecrivains, Les Aigles puent et Onze Rêves de Suie Volodine surprend, brouille les cartes. Si le lecteur croit reconnaître la réalité, chaque fois, le référent historique se dérôbe. Jeux de cache cache avec le réel, les textes de Volodine interpellent. Le lecteur est prévenu. Le monde mis en place par la narration ne renvoie qu’à lui-même. De la même manière, même si les trois récits présentés par Volodine pour cette rentrée, sont signés chaque fois sous un nom différent: ils renvoient tous en bout de course au même auteur. La dispersion des identités est un leurre. Au lecteur de trouver son chemin dans les dédales du monde "post-exotique".
En 2007, sous la direction de Michel Le Bris et Jean Rouaud, Gallimard publie un texte intitulé Pour une Littérature Monde. Véritable manifeste sur ce que peut la littérature, ce texte résonne comme un formidable espoir.
Car clame Michel Le Bris « Allons ! La littérature reste la plus belle des aventures, pour peu qu’on ait encore l’audace de créer des mondes où se risquer le cœur battant, pour peu qu’on garde l’ambition de le dire le monde, d’en restituer la parole vive en la portant jusqu’à l’incandescence, pour peu qu’on ose encore des livres-mondes, vastes, généreux et terribles comme la vie ».
Le Bris montre l’émergence d’un mouvement, soulignant le regard vers l’ailleurs comme la mise en place de nouveaux territoires créatifs. Réjouissons-nous de ce basculement d’époque salvateur. Alain Mabanckou, auteur également de la rentrée avec Demain j’aurai vingt ans soulignait encore dans Pour une Littérature Monde le virage pris par notre époque et la responsabilité qu'a l’écrivain de s'interroger sur ces nouveaux rapports au monde : « il s’agit de rappeler que le monde bouge, que les cultures se croisent, que l’heure est à l’inventaire de nos propres connaissances, et surtout à l’inévitable interrogation qui ne cessera de nous hanter, de nous obnubiler tant que nous ne nous serons pas prononcés, Qu’apportons-nous au monde ou que devrions nous apporter au monde, nous autres écrivains qui avons en partage la langue française? ».
La littérature prend de l'ampleur et de la puissance. En témoigne comme un symbole le dernier roman de Michel Houellebecq dont les livres n'arrivent jamais par hasard dans le paysage littéraire. Son dernier ouvrage dépasse le principe provocateur, centré sur un monde décadent. La Carte et Le Territoire conforte notre propos. Houellebecq a atteint un nouveau stade, ouvert de nouvelles voies. Dans la mise en scène qu'il fait de son propre personnage, il déplace l'angle de vue du sujet à l'objet. Houellebecq devient personnage du roman et avec nous, il regarde le monde avant sa propre personne. La distance prise par le texte est indéniable. La force qui en émane d'autant plus électrique.
Nous vivons une période importante pour la littérature. Des champs de possibles se sont ouverts. Certains écrivains s'y sont lancés. La rentrée littéraire 2010 en est un témoignage visible. Fascinante diversité comme autant de fictions d'un récit à lire et à vivre pour mieux regarder le monde et trouver encore et toujours matière à s'émerveiller.
Pour une Littérature Monde, Gallimard.
Alain Mabanckou, Demain j'aurai vingt ans, Gallimard.
Jérôme Ferrari, Où j'ai laissé mon âme, Actes sud.
Claro, CosmoZ, Actes Sud.
Antoine Volodine, Ecrivains, Seuil.
Antoine Volodine, Les Aigles puent,Verdier.
Antoine Volodine, Onze Rêves de Suie, Olivier.
Nathalie Crom, Et le réel comment ça s'écrit, Télérama, 25 Mai 2009.
http://www.telerama.fr/livre/l-invention-du-roman-verite,43020.php
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