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Françoise Héritier: « L'injustice et la violence envers les femmes sont universelles »

Françoise Héritier est morte en 2017. Pourtant, ses cours au Collège de France qui ont fait de la violence envers les femmes un thème central, regroupés en deux volumes dans De la violence édités chez Odile Jacob, sont encore aujourd'hui parmi les plus éclairants. L'anthropologue s'est souvent exprimé dans les médias pour dénoncer la situation envers le deuxième sexe. En cette journée contre la violence envers les femmes, voici les extraits d'une de ses interviews, qui montrent l'ancrage profond de cette situation et l'urgence à sortir de l'universalité de la violence exercé envers les femmes, par des actions politiques et sociales.

Françoise Héritier, morte en 2017, a été professeur honoraire au Collège de France, où elle a dirigé le Laboratoire d’anthropologie sociale. Lorsqu'elle commença ses recherches sur les femmes, la violence est l'un des thèmes majeurs qui est ressorti hélas comme phénomène universel. Ses cours au Collège de France en ont fait le thème central, regroupés dans les deux volumes de De la violence édités chez Odile Jacob. Ces deux ouvrages majeurs sont à relire pour comprendre ce qui se joue derrière les violences dont sont victimes sous des diverses formes, toutes les femmes de toutes les cultures. 
Voici les extraits d'une interview de la grande anthropologue réagissant aux tentatives d'actions sociales et politiques pour les endiguer. En cette journée dédiée à la lutte contre les violences faites aux femmes, relisons ces propos dont l'éclairage reste aujourd'hui toujours aussi pertinent.

Comment jugez-vous le récent accord signé à l’ONU condamnant les violences faites aux femmes ?

-Françoise Héritier : Le point butoir, selon moi, a toujours été le fait que les violences faites aux femmes étaient expliquées et justifiées par des usages, des coutumes, des traditions ou des religions. Ce qui nous renvoie à l’origine des choses, à la question : « Pourquoi les femmes sont-elles victimes de violences ? » (…)

Les injustices et les violences qui frappent les femmes ne sont pas des épiphénomènes culturels mais un phénomène universel. Souvent, on s’abrite aussi derrière l’idée que les violences faites aux femmes traduisent un comportement bestial. C’est tout le contraire : l’homme est la seule espèce animale, parmi les mammifères en tout cas, où les mâles tuent les femelles. C’est donc par un excès d’humanité, j’entends par là excès de conscience, que les hommes en sont venus à violenter les femmes. (…)

Pourquoi cette iniquité initiale ?

-F.H. : Au paléolithique moyen, nos ancêtres – 400 000 individus – doivent créer le monde. Ils se rendent compte d’une constante : partout, il y a un versant mâle et un versant femelle. Deuxième constatation intrigante : les mâles, avec leur corps, ne font pas de petits. Alors que les femelles font des corps semblables aux leurs, mais aussi des mâles. On ne sait pas, alors, qu’il y a des spermatozoïdes et des ovules… En revanche, on sait que sans rapport sexuel, il n’y a pas d’enfants. La conclusion qui en est tirée est que les corps femelles ont été mis à disposition des mâles – par Dieu, les esprits, les ancêtres… – pour qu’ils aient des fruits. Du coup, les femelles deviennent des objets qu’il faut s’approprier. Les femmes sont vues comme de la matière. Sous un angle philosophique, comme chez Aristote où la femme fournit la matière quand l’homme fournit la vie – par le sperme, le souffle (...). Moins philosophique : la femme est considérée comme une marmite, un pot dans lequel l’homme fait cuire sa semence pour en faire un enfant. On retrouve cette idée dans l’idéologie chrétienne. Chez saint Augustin, les femmes sont présentées comme un vase sacré. C’est plus élégant mais l’idée est la même : elles sont considérées comme des contenants et des biens.

Au paléolithique, la prohibition de l’inceste oblige à l’exogamie, donc à l’échange. Le mariage vient se greffer comme institution liant deux familles et s’accompagne au fil des temps d’une série de mesures : l’impossibilité pour une femme de décider de son propre sort, d’accéder au savoir et au pouvoir. (...)

Comment interprétez-vous les coalitions de pays tels que le Vatican, la Russie, l’Iran mais aussi l’Égypte, l’Arabie saoudite, le Nigeria et le Honduras contre certains passages de cet accord ?

-F.H. : Ces pays se retrouvent sur le même fond de maîtrise de l’autorité, de la parole et du père. Pour l’Église, c’est intangible. Ce qui me frappe, c’est qu’ils évoquent toujours bienséance, stabilité morale et familiale quand il s’agit presque uniquement de répondre aux besoins pulsionnels* des hommes. Les sociétés qui s’opposent à l’égalité estiment qu’il est légitime d’assouvir les pulsions masculines. Pour une raison simple : ces pulsions n’ont jamais rencontré d’obstacles.

Certains pays peuvent-ils juger que l’Occident leur impose ses normes ?

I-F.H. : l ne s’agit pas de défendre des normes sociales spécifiques, mais de faire évoluer vers plus de justice un modèle universel. La domination masculine s’est fondée sur une interprétation erronée. La réalité n’est pas que les hommes mettent leur semence dans le corps des femmes – même si on continue à dire « papa met une petite graine dans le ventre de maman » – mais qu’il faut un ovule et un spermatozoïde pour faire un bébé. La responsabilité est partagée. La connaissance de ce fait scientifique est très récente : elle date du début du XIXe siècle. La marche vers l’égalité est une évolution normale des sociétés qui vont passer de l’iniquité à l’équité. Ça n’est pas de l’arrogance culturelle.

>Retrouver les extraits de cette interview dans le site de l'Académie de Nantes
>Pour aller plus loin : Françoise Héritier, De la violence I et De la violence II, Editions Odile Jacob

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