Qui était Gérard de Nerval ? Un formidable écrivain et un amoureux de nouveaux horizons ? Gérard de Nerval, le voyageur solitaire qui a souhaité si vite parcourir l’Orient et s’abandonner au hasard. Son attitude était avant tout poétique avant d’être esthétique. Voyager dans le cas de Nerval, une fuite ou la recherche profonde de son moi intérieur ? Le récit de voyage dépasse le souhait de connaître le monde et tend davantage à ce qu’il aimait avant tout « conduire sa vie comme un roman ».
La formule troublante de Nerval "Je suis l'autre "sous son propre portrait est l'expression du double avec lequel l'écrivain vivait perpétuellement. Gérard Labrunie a choisi son nom de plume Nerval un automne tandis qu’on transférait les cendres de sa grand-mère et de sa tante Eugénie dans un lieu-dit Nerval à Mortefontaine. « Un arpent, cinquante et un ares, sept centiares, dit encore Noival à cause de l’ombre portée par les feuillages de la forêt ». Le poète Gérard Macé dans son texte publié au Promeneur, "Je suis l'autre" reprend la formule de Nerval et interroge à travers un texte très raffiné le portrait changeant qu'a laissé Nerval dans son oeuvre.
L'une des clés de l'oeuvre de Nerval se trouve au coeur d'un personnage: une actrice dont Nerval est tombée éperdument amoureux: Jenny Colon. Mariée deux fois, maîtresse d'un banquier hollandais, elle a fasciné Nerval dès leur rencontre en 1833. Ses nombreux voyages tendent à transcender la passion. En Egypte,Nerval développe le mythe féminin,incarné à travers la divinité Isis, la vierge éternelle, l'être à aimer au delà du doute. Dans "Aurélia",très certainement inspirée par Jenny Colon, Nerval se lance dans la quête du paradis perdu. Les femmes ont fasciné et obsédé Nerval. Dans son introduction au "Voyage en Orient", Nerval note: "Dans les îles frecques, toutes les femmes qui sortent sont voilées comme si l'on était en pays turc. J'avouerai que je n'étais pas fâché, pour un jour que je passais en Grèce,de voir au moins un visage de femme."
C'est au lycée Charlemagne que Nerval rencontre Théophile Gautier. Dès l'âge de 13 ans, Nerval écrit des poèmes et à 18 ans, à l'automne 1827 il traduit Faust de Goethe. Après la mort de Nerval, Théophile Gautier rappelle dans "La Presse" du 30 Janvier 1853 les mots de Goethe, ému au jeune traducteur de son oeuvre Faust, Nerval: "je ne me suis jamsis si bien compris qu'en vous lisant". Nerval si modeste pourtant, ne pouvait que s'enorgueillir à bon droit de ce beau compliment.
Nerval et Gautier avaient en commun leur définition du but de l'art. Gautier dans "Le Moniteur Universel" à propos du peintre Eugène Delacroix notait: "Le but de l'art n'est pas la reproduction excate de la nature, mais la cré-ation au moyen des formes et des couleurs qu'elle nous livre, d'un microcosme où puissent habiter et se produire les rêves, les sensations et les idées que nous inspire l'aspect du monde".
Parmi les nombreux voyages de Nerval à partir de 1834, l'Orient reste probablement le plus fécond et celui qui l'a le plus marqué. Avant le XIXème siècle, les récits de voyages consistaient en une relation objective rédigée par des explorateurs, des missionnaires ou des diplomates. Nerval quant à lui classe le récit de voyage parallèlement au compte rendu théâtral. Il note à ce propos: "le goût des voyages n'est pas aujourd'hui moins répandu que le goût du spectacle et l'on tient même à recueillir plusieurs avis, car chacun voit à sa manière, et les impressions sont plus diverses encore entre les voyageurs qu'entre les critiques". Nerval s'intéresse particulièrement à la vision du monde propre à chacun, parlant "de la façon particulière et fantasque de voir et de sentir". En effet, Nerval dans son poème Vers doré extrait du recueil "Autres Chimères" écrit: " Tout est sensible! Et tout sur ton être est puissant."
Nerval propose un monde empreint de mythologie où les lieux sont des écrins de signes. Traversés par le rêve, les récits du voyageur donnent plus de profondeur au présent. Ils tendent à injecter de la substance au temps. L'Orient, pour Nerval est une étape dans la recherche thérapeutique et littéraire. L'Orient chez notre écrivain s'identifie à un territoire de folie. Le voyage serait alors le moyen de se soulager un peu de la terrible souffrance, de "s'arracher à des souvenirs". Plus loin dans "Voyage en Orient", Nerval écrit: "J'ai la pudeur de la souffrance, comme l'animal blessé qui se retire dans la solitude pour y souffrir longtemps ou pour y succomber sans plainte". Le voyage de Nerval est ainsi essentiellement littéraire.
Dans le début d' "Aurélia ou le Rêve et la Vie", Nerval écrit: "Le rêve est une seconde vie. Je n'ai pas pu percer sans frémir ces portes d'ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible"
Le rêve chez cet écrivain est selon Yves Bonnefoy « une première tentative de réponse au néant de la condition humaine ». Or, cette thèse est bien reprise plus tard par les surréalistes.
Dans le premier "Manifeste du Surréalisme", André Breton est très clair: "Nerval possède à merveille l'esprit dont nous nous réclamons". Dans "Les Filles du Feu", Nerval de son côté parle de "cet état de rêverie supernaturaliste". On peut supposer que Nerval avait un côté dalinien (on rapporte qu'il se promenait avec un homard en laisse) et de fait, Dali un côté nervalien. "Le téléphone homard" de Dali en 1936 serait alors un clin d'oeil troublant! Un crustacé aux longues pinces menaçantes rougeoie à la place de l’écouteur, association incroyable qui éveille notre imagination. « Les appareils téléphoniques seront remplacés par des homards, dont l’état avancé sera rendu visible par des plaques phosphorescentes, véritables attrape-mouches truffières » notait Dali! Nerval annonce ainsi les explorations de la psychanalyse. Son apport dans la littérature moderne est certainement immense et serait encore à étudier.
Mais plus que tout peut être, les textes de Nerval célèbrent l’Art et comme écrit merveilleusement Proust dans "Le Temps Retrouvé" : « Grâce à l’art, au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous le voyons se multiplier, et, autant qu’il y a d’artistes originaux, autant, nous avons de mondes à notre disposition, plus différents les uns des autres que ceux qui roulent vers l’infini ».
Gérard Macé, Je suis l'Autre, Le Promeneur, 2007
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