Velibor Čolić a été l'une des stars du festival Étonnants Voyageurs 2024 en étant doublement primé par les Prix Ouest-France Étonnants Voyageurs et Joseph Kessel pour son livre « Guerre et pluie » (Gallimard). Agnès Séverin revient sur ce texte du romancier francophone d’origine bosniaque. L'auteur d’Archanges, Sarajevo Omnibus et Manuel d’exil (Comment réussir son exil en trente-cinq leçons) prend le détour du roman du réel pour témoigner, avec art, de la réalité de ce qu’il a vécu comme soldat en Bosnie.
C’est assez rare à Saint-Malo pour le signaler. Velibor Čolić, romancier francophone d’origine bosniaque, a fait coup double en recevant, le 19 mai, le prix Ouest-France Étonnants Voyageurs et le prix Joseph Kessel. L’auteur d’Archanges, Sarajevo Omnibus et Manuel d’exil (Comment réussir son exil en trente-cinq leçons) prend le détour du roman du réel pour témoigner, avec art, de la réalité de ce qu’il a vécu comme soldat en Bosnie.
Dans un dossier spécial publié en 2018, les journalistes de The Economist se posaient la question du début de ce qui peut se qualifier comme guerre (1). Cette analyse portait sur tous les méfaits, les actes illégaux que multiplient « démocrature » et franches dictatures pour déstabiliser l’Occident, sans aller jusqu’au conflit ouvert. Alors que, selon un article plus récent du Financial Times (2), les services de renseignements européens s’inquiètent des actes de sabotage qu’ils attribuent à la Russie, la question de la limite à franchir pour se considérer, de part et d’autre, en guerre, est posée.
Comment commence la guerre ? Velibor Čolić, romancier francophone né en Bosnie-Herzégovine, désormais installé à Bruxelles, le sait. Par une forme d’inconscience. Durant l’hiver 1992, l’auteur de Sarajevo Omnibus et Manuel d’exil (Comment réussir son exil en trente-cinq leçons), a enfin la vie rêvée d’un rêveur doublé d’un amoureux de mots :
« Être grassement payé pour l’oisiveté et les plaisanteries ». La fête ne dure guère. Déjà sa petite amie Milena regarde le journal télévisé avec un regard plus inquiet que le sien, il est vrai embrumé par l’alcool, le
rock n’roll et les records d’audience dans un ancien pays communiste. « Tu sais, me dit-elle, que nous avons la guerre en Croatie. » Curieuse amnésie, nous avons entendu parler en 2022, du retour de la guerre en Europe… Comme s’il ne s’était rien passé en Bosnie-Herzégovine il y a trente ans.
Un alinéa plus loin, Velibor et Milena sont « installés dans [leur] bistrot favori. Je suis déjà un peu ivre mais la magie n’opère plus. », avoue l’ancien soldat avec la verve tragi-comique qui fait la saveur de ce roman d’inspiration autobiographique. « Tout le monde est devant l’écran de télé. On voit un village croate en flammes, une route ordinaire et le cadavre d’un vieillard au milieu de la route. Le malheureux est habillé en blouse bleue d’ouvrier, un pantalon de velours usé et des chaussures sans véritable forme, avachies, mille fois mordues par les caprices du temps. »
Trente ans, c’est le temps qu’il aura fallu à Velibor Čolić pour faire de la guerre un roman et raconter comment il l’a vécue. A sa manière « tragico-comique », comme le souligne le président du prix Joseph Kessel, Olivier Weber lors de la remise de prix. L’ancien lauréat de ce prix, et de l’Albert Londres, évoque le lauréat 2024 à travers « [ses] romans caustiques, précis, plein d’humour, qui racontent votre exil, qui
racontent aussi la guerre. Remarquables comme narration sur la guerre ». L’auteur du Dictionnaire amoureux de Joseph Kessel, suivi d’un Dictionnaire amoureux de l’aventure, qui sort cette semaine, loue l’« humour de l’absurde » de ce récit romanesque. Et « cette volonté de survivre, au-delà du combat » qui a aussi séduit le jury. « Vous êtes assez détaché grâce à l’écriture de tout ce qui s’est passé sur le terrain. Avec cette manière, pour nous assez nouvelle de raconter la guerre et de la dénoncer. »
Á quoi ressemble la guerre ? Anti-héros enrôlé à son corps défendant dans une armée croate de Bosnie qu’il décrit comme « désorganisée », perpétuellement ivre, celui qui a décidé à son arrivée en France de devenir un écrivain Français, souligne son envie de témoigner du quotidien de la guerre. D’évoquer la peur de ces hommes si jeunes, comme la cuisine de guerre (des macaronis et du riz trop cuit) ou le sort des animaux (le cerf rouge qui toise les soldats de fortune; les chiens qui se laissent mourir de faim sans comprendre leur sort, puisqu’ils n’ont rien fait qui mérite une telle punition : ne pas recevoir leur os). Les odeurs, de vomi, de diarrhée, de cadavres. Le bonheur de retrouver, tout à coup, celle de l’herbe coupée. Les ruses pour survivre.
Et la chance, parfois, qui n’en est pas toujours une, car elle suppose de rester en enfer, sur terre. Ce don pour la survie, le double lauréat de ce prix et du prix Ouest-France, décerné par les lycéens, en témoigne lors de la remise du prix Joseph Kessel au Festival Étonnants Voyageurs de Saint-Malo, évoque ses rêves de « migrants » dépouillé de son passé. Et sa volonté, à son arrivée à Rennes, d’apprendre le français pour
obtenir le Goncourt.
- « Quel concours ? », lui demande son professeur bénévole.
- « Non, pas un concours. Le Goncourt ! J’apprends le français pour écrire en français et recevoir le Goncourt.», lui rétorque le jeune réfugié plein d’aplomb.
Le comique est, semble-t-il, dans ses réponses sur la scène du grand auditorium du Palais du Grand Large, une forme de pudeur. Comme elle l’est dans son dernier roman qui rend la guerre palpable à travers un témoignage à peine voilé par la fiction. La justesse des images, la force de leur simplicité, est toujours frappante. « La mort n’est que cet espace, ce vide entre deux respirations. C’est comme plonger dans l’eau. C’est pourquoi j’essaie de me sauver à l’aide de la littérature. D’échapper à mes souvenirs. J’ai cinquante-sept ans. Je pense souvent qu’il est trop tard. Parfois, je suis déterminé. Si je ne raconte pas notre guerre, quelqu’un viendra la raconter. C’est toujours comme ça. Si vous ne parlez jamais de rien, il y a toujours
quelqu’un qui prendra la parole à votre place.»
L’un de ses ouvrages, paru chez le petit éditeur Gaïa en 2008, Archanges, voilait la violence d’une autre manière, largement aussi brillante et plus poétique encore peut- être. Ce court roman intense et dérangeant évoquait de manière violemment lyrique les viols collectifs en temps de guerre, mis en scène ici comme une manière de dérober l’innocence. Cette nostalgie de la pureté au milieu d’un cauchemar sans fin était sans doute un rêve de poète.
Avec Guerre et pluie, Velibor Čolić réussit cette prouesse de narrer la guerre pour en faire un évènement du quotidien. Incidemment, il parvient à montrer comment la guerre devient ainsi quelque chose de normal. La banalité de la guerre n’étant, entendons-nous bien, que le pendant de la « banalité du mal » qu’évoquait Hannah Harendt. Celle à laquelle on s’accoutume si bien lorsqu’on en est loin. Ou qu’on croit l’être.
L’art de voiler, par la littérature, une réalité par trop insupportable, tout en la livrant dans toute sa vérité, fait de ce livre comme un art croate de la guerre, pour paraphraser le titre du Goncourt 2011 d’Alexis Jenni, L’art français de la guerre. Soit un art très personnel de faire de la guerre un sujet littéraire qui suppose, en effet, beaucoup de distance. « La littérature est toujours vraie. », prévient l’auteur, placé sur scène au milieu du jury. « Même les fictions les plus fantastiques sont toujours vraies. Ce roman, Guerre et pluie, a été dans mon corps pendant trente ans et j’ai mis quatre ans pour l’écrire. J’ai contourné le sujet, évoqué l’exil, la période d’avant la guerre. Le temps était venu pour que j’emmène le lecteur dans les tranchées ». Même les serpents, « détestaient les vibrations des bombes » (…) « tous les oiseaux partaient du ciel. »
Sa définition de la guerre aussi est simple : « Comment vous armez des cons ». Son observation dans les tranchées : « combien la nature est majestueuse ». Ses premiers écrits de guerre sont ainsi, dans des carnets, pour noter « tous les dégâts faits dans la nature par la folie de l’homme. »
Il rejoint le jury du prix Joseph Kessel de la SCAM pour l’édition 2025, prenant le relais de l’autrice et éditrice Sibylle Grimbert, couronnée l’an dernier pour Le dernier des siens. La prochaine remise de cérémonie ne devrait pas non plus manquer de saveur.
> Guerre et pluie, de Velibor Čolić, Gallimard, 285 pages. >> Pour acheter le livre, cliquer sur ce lien
1 ‘Neither war nor peace. The uses of constructive ambiguity’, The Economist, 25 janvier 2018
2 Russia plotting sabotage across Europe, intelligence agencies warn
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