Esprit letton es-tu là ? Les dainas, forme poétique ancestrale, connaissent une nouvelle vie depuis que la Lettonie a conquis son indépendance en 1991. Symbole d'une culture retrouvée et d'un art qui, bien que longtemps caché, ne s'est jamais perdu. Daisy Winling s'est enthousiasmé pour ces poésies brèves, parfois chantées, qui de manière lointaine pourraient s'apparenter aux haïkus japonais.
« C’est ce livre qui m’a donné envie d’apprendre la langue » me confie Emmanuèle Sandron, l’une des rares traductrices du letton en français. Le livre en question est un recueil de dainas, des poèmes lettons populaires très courts généralement chantés en chorale.
Plus que toute autre expression artistique de ce peuple balte, ce sont les dainas qui symbolisent l’esprit letton fait de résilience et de résistance. Jusqu’à son indépendance, le pays était dominé par les puissances voisines : scandinave à l’ouest, allemande au sud, russe à l’est. La Lettonie a été brièvement indépendante de 1921 à 1940 et l’est à nouveau depuis 1991. Linguistiquement, le pays est partagé entre locuteurs de letton (majoritaire à 60%) et russe.
Le daina est à la Lettonie ce que le haiku est au Japon. Poésie brève, populaire, ancré dans le folklore, ces poèmes évoquent le passage des saisons, la relation des hommes à la nature, la vie, la mort. Du berceau à la tombe, les dainas accompagnent la vie des Lettons. La place de la poésie dans ce pays en fait son exception culturelle. Découvrez celui-ci, un brin méditatif et à la résonance bien moderne, dans notre monde aux mille et une frontières :
« Un seul soleil, une seule terre,
Mais pas de langue partagée :
J’ai traversé la rivière
Déjà la langue avait changé »
Krišjānis Barons (1835-1923) n’est pas le premier à entreprendre la collecte et la transcription des dainas, mais c’est lui et son équipe qui en ont rassemblé le plus : plus de 200.000 entre 1895 et 1914 (35.789 chants et leurs 182.000 variantes). Barons a eu l’idée de passer une annonce dans le journal pour demander qu'il lui soit envoyé des transcriptions de dainas par courrier. Tout le pays a répondu.
Barons et ses collègues folkloristes se sont chargés de recopier et classer ces dainas dans une armoire fabriquée sur mesure, « le cabinet de dainas » (dainu skapis), pour ensuite les compiler dans les six premiers tomes de Chants populaires lettons. Ce cabinet est conservé à la Bibliothèque nationale de Lettonie et protégé comme la Joconde au musée du Louvre. S’il venait à périr dans les flammes, c’est le cœur des Lettons qui serait en cendres.
Les dainas ci-dessous sont extraites du livre fort savant Logique de la poésie : structure et poétique des dainas lettonnes (William Blake & Co, 2007) de Vaira Vike Freiberga, qui les a aussi traduites en français. Elle donne aux dainas le genre féminin, alors que tous les articles des médias français lus jusqu’à présent leur attribuent la forme masculine, comme la traductrice Nadine Vitols-Dixon. Étant donné que Vaira Vike Freiberga est une spécialiste internationale des dainas et qu’elle a écrit ce livre directement en français, j’ai également utilisé le féminin pour cet article.
«Qui peut épuiser les chanson en chantant, Kas var dziemas izdzielat,
Qui peut épuiser les paroles en parlant ? Kas valodas izrunat ?
Qui peut compter toutes les étoiles du ciel, kas var zvaigznes izskaitit,
Ramasser tout le sable de la mer ? Juras zvirgzdus salasit ?»
******
«Escarbot tout cornu, Kukaini, ragaini
Ton paletot est splendide ! Tev grezni svarki ;
Ni seigneur, ni boyard, Ne tadi kungam,
N’ont rien de pareil. Ne bajaram.»
******
«Ne me forcez pas, mes frères, Ar varem, mani brali
A partir en mariage ; Man’s projam nedodiet
Ce n’est pas pour un jour, ta nebija viena diena,
C’est pour le jour d’une vie. Ta bij visa muza diena.»
*******
«Un moment, un temps il m’est donné de vivre, Bridi laiku dzivot,
Non pas celui de la vie du soleil ; Nedzivot saules muzu ;
L’eau, la pierre, elles sont destinées à vivre; Udenam, akminam
La longueur du temps que vit le soleil. Tam dzvivot saules muzu !»
*******
«Les portes de la terre se ferment, Aizavera zemes varti
La clef de la terre est tournée ; Aizkrit zemes atsledzina,
Je dois dormir sous la terre; Gulet man zem zemites,
Tant que le soleil demeure au ciel. Kamer saule debesis.»
****
On peut dire que ce sont les dainas qui m’ont amenée des années plus tard dans le sous-sol d’un café pour assister au tout premier concert de The Grand Bay.
Connaissant mon intérêt pour les littératures et cultures européennes, une collègue m’avait parlé de ce nouveau groupe local, dont le chanteur et fondateur est letton. J’écoute, c’est de l’électro pop mélancolique et la voix du chanteur, Lukass Edgars, est très belle. Toutes les chansons sont en anglais, sauf une que je n’arrive pas à identifier mais qui est probablement du letton.
Le 7 juin 2014, j’étais donc au concert de lancement de The Grand Bay dans le caveau du café du 7e Art à Strasbourg. A la fin du concert, je suis allée parler à Lukass Edgar de sa chanson en letton et j’apprends que « Tu un es » reprend en partie un poète majeur letton, Imants Ziedonis (1933-2013).
Il parle des dainas et de leur importance culturelle dans l’entrevue que j’ai menée plus tard avec lui pour Myriades, lectures et des lecteurs en Europe. Tu un es est inspirée du poète letton Imants Ziemandis.
Le Festival de la BD d'Angoulême vient de se terminer. Voici l'ensemble du palmarès.
« Deux Filles Nues » de Luz reçoit le Fauve d'or du meilleur album au FIBD Angoulême.
Après Posy Simmonds en 2024, c’est Anouk Ricard qui est élue par ses pairs Grand Prix de la 52ᵉ édition du Festival International de la Bande Dessi