Si L'Attrape-Coeurs se balladait à Central Park aujourd'hui, que ressentirait-il? Son regard amer et nostalgique sur notre monde aurait-il changé?
Retour sur un phénomène littéraire dont le personnage principal n'a pas perdu un seul centimètre de gouaille.
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Quand le jeune héros de L'Attrape-Coeurs de Salinger, Holden Caulfield, observe les canards du lagon de Central Park, il en garde un tourment qui l'obsède. A travers le souvenir de ses jeunes années et sa conscience d'une frontière qui le sépare du monde adulte, il se pose des questions sur l'avenir des oiseaux quand l'hiver arrive et que le lac gèle. Il demande à un chauffeur de taxi New Yorkais: "J'veux dire est-ce que quelqu'un arrive avec un camion ou un truc comme ça pour les emmener ailleurs, ou est-ce qu'ils s'envolent d'eux-mêmes - pour aller dans le sud ou quelque part comme ça?"
Holden Caulfied a peur de grandir. Il se mêle pendant trois jours, à New York, à la misère sordide du monde adulte et observe avec amertume son enfance s'éloigner de lui. Il a été une fois de plus renvoyé d'un pensionnat, par manque de discipline. Il va par la suite vivre dans un monde urbain sans harnais et tenter de batailler, à poings perdus, contre le désespoir. Dans son récit, son regard oscille entre rejet et nostalgie. Rejet de la violence humaine car il s'acharne à garder près de lui un monde innocent, vierge de tout abus. Il efface les tags sur les édifices public de son enfance, et rentre dans une béatitude de bonheur qui le paralyse quand il voit sa petite soeur chérie Phoebe tourner en rond, dans un carroussel.
Toujours à Central Park, ce sont aujourd'hui des chevaux et leurs calèches qui risquent de disparaître. Un cheval, effrayé par les percussions d'un groupe de Break Dance, s'est blessé en percutant un arbre et a dû être achevé. Une polémique a ressurgi par la suite, vieille de quelques années, proposant de supprimer les quelques soixante-dix calèches du parc. La Societé américaine pour la prévention de la cruauté envers les animaux (Aspca) s'est mobilisée, selon elle les chevaux seraient menacés par des conditions de travail difficiles, par la pollution et par l'environnement urbain.
Si Holden Caulfield voyait New York autant changer aujourd'hui, avec ses chevaux menacés par une technologie urbaine perçue comme violente et menaçante, il en serait "sore as hell", ou "hyper dérangé", comme il le dit. Il constaterait que l'homme avance vers sa propre fin: à utiliser l'animal pour faire revivre aux enfants et aux touristes le charme d'une autre époque par ses calèches du dix-neuvième siècle, il verrait la ville progresser paradoxalement. Car des animaux s'y perdent aujourd'hui tout comme l'homme se retrouve coincé dans des embouteillages et conflits d'intérêts, transformés par exemple en manifestations de fiacres devant l'entrée sud du parc. Nombre d'écuries historiques de l'Upper West Side sont rentrées sur le marché de la spéculation immobilière, et les cochers passent depuis de longues heures dans les embouteillages pour rejoindre des écuries plus excentrées, moins chères.
A la fin de son récit, quand il s'apprête à quitter la ville, Holden Caulfied note l'absence des canards du parc qui ont volé vers le sud quand l'eau a gelé. Il prend conscience de la nécessité de savoir s'adapter à son environnement, de changer de rapport au monde extérieur pour pouvoir survivre. Les canards se sont envolés d'eux-mêmes vers des pays plus chauds, pour ne pas être victimes de la glace. Holden Caulfield conclut pourtant brièvement, sans rentrer dans les détails, sur son internement dans un hopital psychiatrique. Rempli d'une béatitude heureuse quand il aura vu sa soeur Phoebe sur le manège de leur enfance, mêlée à un rejet violent de la discipline absurde d'un monde qu'il ne comprend pas, Holden se sera retrouvé coincé entre les murailles de son désespoir. Au récit de sa fin amère vient s'ajouter une touche d'humour, remplie d'amour "Ne dites jamais rien à personne. Si vous le faites, tout le monde vous manque".
Le monde urbain évolue aujourd'hui au fur et à mesure d'un progrès matériel et économique contesté. Comment s'y faire sa propre place quand la technologie respecte de moins en moins l'individu qui s'y retrouve effrayé, coincé?
Le système d'éducation et l'entreprise de l'art sont directement critiqués par J.D. Salinger à travers Holden qui ne peut pas supporter le monde superficiel d'Hollywood ainsi que la rigidité de la societé américaine des années cinquante. Contre cela, une voix sort, universelle malgré tout, car elle reflète un malaise toujours présent, image de l'enfermement du cheval d'aujourd'hui dans des écuries investies. Cette voix nous raconte une histoire que nous comprenons parfaitement, à travers les édifices d'une société où l'individu n'est pourtant pas entendu.
J.D.Salinger, L'Attrape-Coeurs, Pocket
J.D. Salinger, Nouvelles, Pocket
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