Paru en mars 2009, La Solitude des nombres premiers est l'histoire d'une rencontre entre deux adolescents, solitaires et insulaires comme les nombres premiers, qui ne sont divisibles que par 1 et par eux-mêmes. L'adaptation cinématographique du livre de Paolo Giordano semblait destinée à Gus Van Sant, l'américain épris de ces jeunes gens torturés par la recherche de leur identité. Mais c'est l'italien Saverio Costanzo qui a réalisé le long-métrage, dans lequel il retranscrit la sensibilité si particulière du roman, entre distance narrative et intrusion dans l'intimité des personnages.
La Solitude des nombres premiers commence comme un récit sans interactions: les personnages principaux, Mattia et Alice, deux adolescents solitaires malgré eux, semblent coupés du monde, incapables de comprendre, d'entendre, de réagir aux stimulis de l'extérieur. "Elle détestait le réveil à sept heures et demie du matin y compris pendant les vacances de Noël et son père qui l'observait pendant le petit déjeuner, agitant nerveusement la jambe sous la table comme pour signifier allez, dépêche-toi." Pas de dialogue entre les personnages: le discours indirect libre est le seul moyen de retranscrire leurs quelques maigres échanges. Alice et Mattia, tous deux victimes de graves traumatismes pendant leur enfance, se sont constitués une sorte de bulle qui les protège des agressions de l'extérieur, aux dépens de leur sociabilité. L'écriture de Paolo Giordano impressionne beaucoup par sa capacité à détailler les pensées de ces deux personnages: entre monologue intérieur et discours narrativisé, la phrase de l'auteur s'infiltre dans cette carapace.
Puis survient la rencontre: Alice apparaît devant Mattia, suscite des interrogations. Les deux solitaires ont l'impression commune de se trouver devant un miroir: leur corps reflète celui de l'autre, tous deux sont marqués par le mal-être (Alice est anorexique et Mattia se scarifie). Mattia, par ailleurs passionné par les mathématiques, est fasciné par les nombres premiers, des nombres qui ne sont divisibles que par 1 ou par eux-mêmes, "des nombres soupçonneux et solitaires" comme il le fait remarquer. Mais il découvre aussi que ces nombres premiers disposent d'un jumeau, avec lequel ils forment "des couples de nombres premiers voisins, ou plutôt presque voisins, car il y a toujours entre eux un nombre pair qui les empêche de se toucher vraiment." Les deux adolescents vont alors partager leurs intériorités, franchir l'invisible frontière qui les séparait de leurs semblables. En somme, tenter de poser l'addition qu'ils n'ont jamais réussi à formuler.
En appliquant cette théorie mathématique à ses personnages, Paolo Giordano injecte dans son récit la puissance dramatique du destin dans son oeuvre littéraire. Le couple formé par les personnages était déterminé, inscrit dans les chiffres, résultat invariable d'un calcul de la fortune. "Ils ne souriaient pas, leurs regards suivaient des trajectoires différentes, mais on aurait dit que leurs corps coulaient l'un dans l'autre à travers leurs bras et leurs doigts joints." écrit Paolo Giordano lorsqu'il fait le portrait d'une étrange amitié complémentaire qui s'installe très vite entre les deux crucifiés de la jeunesse. L'électrique bande-originale de l'adaptation, composée par Mike Patton (chanteur des Faith No More), renforce l'étrangeté de ces êtres et toute la violence rentrée en eux, que l'on sent vibrante et farouche.
La Solitude des nombres premiers recoit le Prix Strega (l'équivalent de notre Goncourt) en 2008, fait rarissime pour un premier roman, d'autant plus que l'auteur n'est âgé que de 26 ans. Une ligne de la biographie de Paolo Giordano ne surprend pas: le jeune homme a suivi des études de physique à l'Université de Turin, ce qui peut expliquer son talent particulier pour la description méthodique et son approche pragmatique de l'existence. Ainsi, les deux personnages principaux ne parviennent jamais totalement à se défaire de leur carapace protectrice, qui devient peu à peu étouffante, les accompagnant dans toutes les étapes de leur vie (le roman se déploie de l'enfance à l'âge adulte des personnages, offrant un panorama de l'enfermement progressif et semi-volontaire). Cette "malédiction" tenace est retranscrite dans le film de Saverio Costanzo qui acquiert ainsi un statut de quasi-film d'horreur, rendant des hommages - parfois un peu trop appuyés - aux maîtres de l'horreur et du thriller: Brian De Palma ou Dario Argento, entre autres. La force invisible, mais efficace, impose un isolement qui n'est jamais totalement aboli: le danger est présent, mais n'a pas de nom. La Solitude des nombres premiers est une équation de l'inconnu.
Paolo Giordano, La Solitude des nombres premiers, Points
Saverio Costanzo, La Solitude des nombres premiers, avec Alba Rohrwacher, Luca Marinelli, Isabella Rossellini, en salles depuis le 4 mai
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