La Géorgie, l’exil, l’amour, le temps de la vie qui s’en va… La Mer noire de Kéthévane Davrichewy (Sabine Wespieser) est un magnifique texte, qui ourle le récit de cette mer évoquée le temps d’une simple journée à l’occasion des 90 ans d’une dame dont la mémoire ondule avec le ressac des souvenirs. Un très beau récit, inspiré, poétique, ramassé, qui a été couronné récemment par le Prix du Roman 2010 Version Fémina-Virgin et qui nous a aussi enchantés, tout comme les membres du jury présidé par Philippe Claudel. ->Visionner aussi l'interview vidéo de Kéthévane Davrichewy
C’est une femme. Une femme qui attend. Elle est surnommé Babou et va fêter ses 90 ans. Tout le monde s’affaire autour d’elle, qui va être fêtée comme une reine. Une reine déchue, car son ancien royaume dont elle est veuve et inconsolée s’appelle la Géorgie. Exilée, elle est partie dans sa jeunesse pour se réfugier, en France. Sa vie a eu beau s’accomplir sous d’autres cieux, cet anniversaire lui rappelle la trace sans répit de ce passé si loin, si proche
Une journée. Une seule, pendant laquelle nous allons suivre le destin de cette femme. 24h qui concentrent les mouvements instantanés d’une famille rassemblée pour célébrer leur mère et grand-mère. Au fur et à mesure des préparatifs, la journée grandit et fait office de point de convergence des souvenirs. Babou se rappelle la Géorgie de son enfance, les odeurs de la Mer Noire, et le goût des lèvres de son amour de jeunesse.
Elle se souvient aussi de l’exil, cet abandon de soi, qui enfouit les images de son histoire dans une sépulture opaque… Mais en ce jour, elle se prépare car elle attend. Ceux qui vont venir la fêter, mais aussi et surtout celui à qui la lie un serment. Dans la grâce d’un récit qui alterne chapitres sur le déroulement de cette journée d’anniversaire et chapitres sur les souvenirs, Kéthévane Davrichewy écrit un texte d’une grande finesse. Le rythme est aussi ondulant que les pas d’une danse chaloupée. Par la magie des mots, on sent cette Géorgie, on embrasse cette vieille dame et on a le coeur qui bat devant son amoureux.
Le livre de Kéthévane Davrichewy est profondément un récit sur la mémoire, l’enfouissement opaque des souvenirs et l’intensité de leur devenir. Une ode à la rythmique de la vie qui jongle avec l’Histoire. Le style est magnifique, de force et de légèreté, il court comme un murmure, une valse. C’est aussi un livre sur l’immense pouvoir de l’écriture. Kéthévane réussit à nous faire sentir sa terre de Géorgie alors qu’elle ne nous l’a décrit pas et qu’elle-même ne la connaît pas. Et pourtant, le livre est tellement imprégné de son odeur que c’est comme si nous avions fait un voyage par l’intérieur même de cette culture. De même que Babou, la grand-mère, est une femme qui est esquissée, jamais décrite de manière triviale et qui en devient presque universelle parce qu’elle est stylisée. La Mer Noire nous touche au cœur autant qu’à l’âme et Kéthévane tisse un double récit en miroir, celui de la vieille dame et celui de la jeune fille qu’elle fut dans un texte « habité » qui se déroule comme un film. L’espace est concentré comme une essence, le temps est ramassé en quelques heures et c’est une vie qu’il nous ait donné de traverser. Un livre qui à l’image du toast porté par le héros à son héroïne, « à la Géorgie et à toi l’amour de ma vie », est un manifeste pour la trace de l’Histoire, dans l’histoire d’une famille.
Lors de la cérémonie de remise du Prix, Philippe Claudel, président du jury a tenu à souligner combien le choix du livre avait été tant par la beauté de l’histoire du livre que pour ses qualités littéraires. Il nous confie : « L’usage de la langue de Kéthévane, qui réinvente les mots, m’a fait éprouver un vrai choc esthétique. Avec La Mer Noire, nous sommes au cœur de la littérature. Nous tournons autour de l’exil, du présent. Il y a la compression d’une vie et une langue de toute beauté ».
Dominique Bona et Claire Chazal applaudissent et saluent la lauréate avec conviction.
Philippe Grimbert poursuit :
« Ce livre, qui m’a beaucoup touché est un peu une métaphore de la phrase « qu’y a-t-il à l’intérieur d’une noix ?. J’ai aimé que toute l’histoire d’un pays se concentre dans le récit d’une journée. Le personnage est magnifique, cette femme qui attend l’homme aimé. C’est l’histoire d’un peuple, d’une femme. Il y a un suspense et il y a aussi la grande histoire. ».
Très émue Kéthévane Davrichewy a accepté de nous livrer quelques mots à chaud « Bien sûr, ce livre s’inspire de l’exil politique de mes grands -pères qui ont quitté la Géorgie pour venir en France. Mais j’ai voulu dépasser l’histoire familiale pour atteindre une dimension plus universelle et c’est pourquoi j’ai voulu alterner la mémoire de cet exil, un peu irréel, et le présent de narration. Ce livre était pour moi l’occasion de décrire un voyage humain et un voyage géographique. Ecrire la mémoire des lieux et la mémoire des hommes. ». Une mémoire qui a su apporter par la littérature la puissance d’un morceau d’infini. Pour notre plus grand bonheur.
Kéthévane Davrichewy, La Mer noire , Sabine Wespieser;
Légende photo : Jérôme Garcin, Hervé Le Tellier, Rachida Brakni, Marthe Keller, Gaël Faye, Kamel Daoud, Rebecca Dautremer, Emmanuel Lepag
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