Quels sont les grands concepts développés par Sigmund Freud? Qui était Freud? Un lettré, un collectionneur, un passionné de cigares ou encore un angoissé, un être engoncé dans des principes traditionnels? Autant de questions pour brosser les grands traits de la psychanalyse et regarder son évolution de ses origines à nos jours.
L'historienne Elisabeth Roudinesco dans un hors série du journal Le Monde intitulait un de ses articles sur Freud, "Un conquérant des lumières sombres". Tout en étant un conservateur éclairé, héritier du romantisme allemand, Freud est d'abord rappelons-le un médecin. Docteur en médecine en 1882, il devient practicien à l'hôpital de Vienne. Là, le médecin Joseph Breuer lui fait part de sa méthode pour soigner l'hystérie, méthode dite "cathartique", alliant hypnose et parole. Sigmund Freud a 26 ans.
Trois ans plus tard, il obtient une bourse et part à Paris. Là il fait la connaissance de Charcot à la Salpêtrière. A ce propos il note: "Ce que je sais, c’est qu’aucun homme n’a jamais eu autant d’influence sur moi que Charcot. Charcot, qui est l’un des plus grands médecins et dont la raison confine au génie, est tout simplement en train de démolir mes conceptions et mes desseins. Il m’arrive de sortir de ses cours comme si je sortais de Notre Dame, tout plein de nouvelles idées sur la perfection ". Un an après, de retour à Vienne, il ouvre son propre cabinet et se marie. A 30 ans, le voilà sur le chemin de la création de théories novatrices. Des précursseurs de Freud, il y en a eu pléthore. Mais, Freud lui, possède une différence de taille. C'est un homme d'action qui cherche inlassablement, qui ne craint pas le travail et qui se bat.
Son ambition principale souligne Roudinesco était dans un premier temps "de ramener à un modèle neurophysiologique le fonctionnement de la psyché: le désir, les hallucinations,le Moi, le rêve...". Débute ainsi la fondation d'une nouvelle théorie de la psyché. Soulignons que l'ambition est audacieuse à une époque qui maîtrise très peu, voire pas du tout les terres de l'inconscient. C'est en cela que Freud créé une révolution en soi. Il souligne la part obscure de chacun et analyse ce que la raison ne peut voir. Il s'attelle au sujet sensible et très fragile des maladies de l'âme. Il cueille dans chacun de ses patients la part extrêmement féconde des terres du refoulement. La méthode freudienne consiste alors à susciter par des paroles fortes, l'émergence des conflits des désirs et des pulsions.
Grâce à la biographie de Freud par Ernest Jones, on sait assez précisément comment se passait ses journées. Lever 7h, puis douze heures avec ses patients, souper vers 21h, promenade digestive puis à partir de 22h, Freud écrivait. En un mot, on peut dire sans exagérer qu'il ne chômait pas!
Les présences de l'écriture et de la lecture sont fondamentales pour approcher le personnage. L'historien de la littérature Walter Muschg en 1930 souligne: "L'écrivain Freud n'est pas séparable du psychologue, personne ne comprendra celui-là sans celui-ci, et il s'agit à chaque instant de sa doctrine, lorsqu'on examine ses aptitudes littéraires". Cette remarque est fort intéressante car au delà de son goût pour l'écriture et la lecture, Freud utilise l'écriture comme une sorte de méthode pour approcher les mouvements de l'âme.
L'article du Monde parle de ceux qui décrivaient "son amour senuel du mot" et de "son usage somptueux des métaphores". Nous n'avons pas besoin d'aller jusque là pour s'accorder à dire qu'en tant que grand lecteur, il aimait les mots et les maniaient avec délice. Les jeux de mots et autres lapsus le réjouissaient car ils faisaient partie inhérente de ses recherches.
D'une curiosité sans pareille, Freud lit d'autre part énormément et, notamment des auteurs français. Jules Romains, Romain Rolland, Voltaire, Balzac, Dumas, Maupassant, Flaubert, Anatole France, Zola, si bien que plus tard les surréalistes populariseront l'oeuvre du docteur.
Mais, Freud craignait l'art et ne souhaitait pas en parler car il pensait qu'il pouvait décrédibiliser ses théories. Il redoutait de vérifier chez les poètes contemporains ce qu'il redoutait de plus angoissant en l'homme.
Aussi, à l'heure où quantité de traductions fleurissent, utiliser un terme plutôt qu'un autre est d'autant plus important que Freud aimait les mots. Tout choix de traductions induit des enjeux linguistiques, théoriques et conceptuels. Or, comme le souligne Dorian Astor, traducteur chez Garnier Flammarion "cette concurrence des traductions permet un travail critique qui oblige à revenir au texte. Pour François Robert, membre du comité éditorial qui supervise la traduction des oeuvres complètes de Freud aux Presses Universitaires de France, " la diversité oui; l'éclectisme non".
Par ailleurs, Dorian Astor souligne par exemple que "la distinction entre le français opère entre angoisse et peur n'existe pas en allemand". Il a donc préféré peur pour traduire "angst" afin "de garder la généralité du terme". Mais à contrario lorsque le petit Hans dit "j'ai peur du cheval" note François Robert, "Freud explique que c'est de l'angoisse "Angst" et non de la peur "Furcht". C'est pourquoi conclut toujours François Robert "il y a une grande différence entre le sens courant d'un mot et celui que Freud lui donne. Il est piègeant, vous savez".
Freud ressemble donc à un casse-tête chinois pour les traducteurs mais ces nouvelles traductions peuvent aussi donner un nouveau souffle aux théories de la psychanalyse qui comme toute science est dans sa définition même en mouvement.]
Ainsi les théories de Freud ont été à toutes les périodes un vaste foyer de polémiques en tous genres. Aujourd'hui, outre le sujet des traductions, le livre de Michel Onfray fait la une de tous les magazines. Pourquoi?
Michel Onfray est un homme de son temps. Très médiatique et aimant être mis à l'honneur, il publie aux éditions Grasset Le Crépuscule d'une Idôle, l'affabulation freudienne. Le livre n'est pas sorti qu'il déchaîne les débats et Michel Onfray s'en délecte. Il a raison. Une fois encore, son livre et son ton agressif reflètent l'époque que nous vivons. Il faut casser les grands maîtres et prôner plus d'égalité. Freud était élitiste. Les prix qu'il demandait à ses patientts étaient exorbitants. La psychanalyse est une science de riches clame Onfray. Or, combien de millions de personnes consultent?
Le livre d'Onfray décortique la biographie de Freud. C'est un travail conséquent qui ne manque pas d'intérêt pour celui qui s'attache essentiellement à la vie privée. En effet Michel Onfray a lu Freud et sur Freud. On ne le niera pas mais on regrettera qu'il contamine son texte de tant de haine. Oui, parfois, Onfray est injuste et finit par se décrédibiliser. Heureusement, le philosophe est assez subtil pour parler de son livre et de Freud avec plus de distanciation.
Ainsi, lorsqu'il s'entretient avec Philippe Grimbert, il modère ses propos et note "Aujourd'hui, je fais, pour la première fois, une lecture non légendaire de Freud. La psychothérapie m'intéresse toujours. Je ne suis même pas contre garder le divan, mais je pense qu'il faut que, sur ce divan,il se passe autre chose, qu'on y intègre la philosophie, l'éthologie, les neurosciences, Jung, Lacan..".et même Freud dit-il finalement !
Dans une récente émission de France Culture, Michel Onfray s'entretenait avec l'anthropologue Samuel Lézé. Ce dernier, auteur de L'autorité des Psychanalystes, analyse avec précision et un grand souci de méthode, l'analyse psychanalytique et l'évolution de la Pychanalyse notamment entre les années 1990 et 2000 .
L'angle anthropologique est ilumineux car il cherche à rendre concret ce qui n'est pas palpable. Mais, ce qui est encore plus passionnant chez Lézé, c'est qu' il arrive à prendre de la distance par rapport à Freud en ne cessant de souligner à quel point il est nécessaire. Aussi, dit-il très justement "le mouvement freudien fonctionne très bien sans Freud". Enfin, comme l'a souligné Philippe Grimbert à plusieurs reprises, Michel Onfray a raison de dire que la psychanalyse ne guérit pas, elle peut en revanche sauver. Enfin, Thomas Mann dans son texte "Freud et l'avenir "en 1960 soulignait: "On reconnaîtra un jour dans l'oeuvre à laquelle Freud a consacré sa vie une des pierres les plus importantes pour l'édification d'une nouvelle anthropologie".
Samuel Lézé,L'Autorité des Psychanalystes, PUF, 2010
Alain de Mijolla, Freud et la France, PUF, 2010
Elisabeth Roudinesco, Michel Plon, Dictionnaire de la Psychanalyse, Fayard, 2006
Michel Onfray, Le Crépuscule d'une idole, 2010
Hors Série Le Monde, Une Vie, Une Oeuvre, Sigmund Freud, La Révolution de l'Intime, sous la direction d'Elisabeth Roudinesco,
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