Samuel Lézé, auteur de l'Autorité des Psychanalystes a répondu à nos questions. Son approche anthropologique est passionnante car elle se fonde sur des faits concrets et sur une méthode très élaborée. Si son sujet dépasse Freud, il n'en demeure pas moins qu'il souligne "l'espèce des freudiens", comme "une élite intellectuelle et médicale qui a su s'imposer en s'appuyant sur une base solide de practiciens".
J'ai tenté de résoudre une énigme. La psychanalyse est une institution sociale qui est systématiquement louée ou dénigrée. J'ai donc voulu en rendre raison très précisèment à travers une étude empirique. Loin des textes et des discours, j'ai voulu comprendre un univers. Le livre qui en résulte n'est pas seulement l'écriture d'une aventure intellectuelle s'étalant sur une dizaine d'années, c'est aussi l'aventure d'une écriture qui accompagne pas à pas le lecteur qui ne connaitrait rien à la psychanalyse sur les traces de l'anthropologue sur le terrain. Le livre vise donc à instruire agréablement, sur ce qu'est la psychanalyse aujourd'hui.
Il y a dix ans, j'étudiais la philosophie des sciences en m'intéressant à la logique, aux neurosciences et à la psychologie cognitive. Mais je suis tombé sur un os : des camarades entreprenaient une psychanalyse et mes objections, souvent dures, ne fonctionnaient pas. Ils invoquaient une « expérience » que je n'avais pas. J'étais donc confronté à une « boite noire » un peu étrange qui ne rentrait pas dans mon « cadre ». C'est la genèse de l'énigme. Je me suis donc tourné vers l'anthropologie sociale, connue d'un large public grâce à l'oeuvre de Claude Lévi-Strauss, car elle s'occupe de deux grands problèmes : la diversité des sociétés et la rationalité des pratiques. Comme rien de ce qui est humain ne peut être totalement étrangé à l'anthropologue, je suis parti à la rencontre d'une pratique qui, pour un observateur naïf, présente certes les formes extérieures de l'irrationalité, mais pour les acteurs revêt une grande évidence. Tout le travail de l'anthropologue consiste justement à montrer en quoi cette pratique est rationnelle en pensant la « structure » de cette évidence.
La psychanalyse s'est développée et implantée dans le champ médical en général, et en psychiatrie en particulier. C'est la profonde transformation de ce champ qui a aujourd'hui une conséquence sur la psychanalyse. D'abord, la médecine (et donc la psychiatrie) est devenu e une science qui relègue au second plan les questions cliniques des patients au profit d'une clinique statistique. Ensuite, la médecine a fait l'objet d'une réforme économique pour controler les dépenses : la encore, c'est la gestion de population et l'usage de technique standarisée qui prime sur la clinique et le soin en général. Dans ce cadre, la psychiatrie se trouve noyée dans la santé mentale en devant négocier avec de nouveaux acteurs : les psychothérapeutes, les psychologues comportementalistes, les associations de malades ou de familles de malade qui mettent en question la psychanalyse. Enfin, c'est la globalisation et l'harmonisation de ces mesures qui détruit a petit feu la psychiatrie française qui manque de moyen et de personnel.
L'anthropologue est un étranger professionnel. Il tente de se familiariser avec un univers inconnu en hasardant sa personne dans divers lieux. L'important, surtout sur un sujet aussi polémique que la psychanalyse, c'est de multiplier les rencontres et d'accroitre la très longue durée du terrain afin de ne pas être « encliqué » par une école, une expérience ou une définition. De même, loin des textes ou des figures du milieu, j'ai passé mon temps avec des anonymes, ceux qui pratiquent en cabinet, mais aussi en institution psychiatrique. Mais comme c'est aussi un professionnel, l'anthropologue ne cesse d'écrire sur un carnet les étapes de son éducation morale et, en particulier, les impaires qui l'amènent à être constamment corrigé par les membres de cet univers. Le premier objet de l'anthropologue, c'est donc lui-même. La méthode, comme disait Gaston Bachelard, c'est avant tout l'histoire d'une démarche. D'où l'usage du « je » qui raconte une aventure intellectuelle plutôt que le « nous » de majesté, académique, qui prétend avoir définitivement le dernier mot. Ainsi, ce livre n'est qu'une étape dans ma recherche : je serais certainement amené à corriger ou préciser certaine de mes vues. Les anthropologues consacrent parfois toute leur vie pour comprendre la complexité d'une institutions sociale... Ce livre est aussi une des multiples contributions au domaine de l'anthropologie de la santé mentale qui attire de plus en plus de jeunes chercheurs aujourd'hui.
Le concret est en effet le point de départ de la démarche anthopologique, car il faut partir des évidences ou des préoccupations d'un univers sans pour autant utiliser le même langage que les psychanalystes. Mais en lui-même, le « terrain » est incomplet. Il familiarise, mais il faut aussi en sortir. Encore faut-il dire comment l'anthropologue se familiarise et pour résoudre qu'elle énigme ? Le cas particulier n'intéresse en effet l'anthropologue que s'il donne à penser concrètement un mécanisme général. Bref, l'anthropologie vise à penser le général dans le particulier à travers des descriptions. Dans mon livre, je tente ainsi de décrire une relation d'autorité spécifique à travers divers situations.
Justement, le mouvement freudien fonctionne très bien sans Freud. Ma recherche soulève la question du fondement d'une autorité et j'ai fais ma recherche sans quasiment en lire une ligne... On s'imagine que le freudisme a un pouvoir un peu arbitraire sur tout et n'importe quoi. On conclut rapidement ou ironiquement que le freudisme est une religion, les analysants des croyants et les psychanalystes des prêtres malveillants... Or, les acteurs sociaux que j'ai rencontrés sont intelligents, ce ne sont ni des escrocs ni des gogos. La question de l'autorité, et donc de la légitimité, renverse ce cliché. Si la psychanalyse a une autorité, c'est bien parce qu'on lui reconnaît, dans le champ de la santé mentale par exemple, une place et une fonction essentielle. C'est le fondement de cette autorité et son fonctionnement que j'ai voulu étudier pour elle-même.
Tout dépend de ce que l'on entend par « critique ». S'il s'agit de présenter un portrait équilibré qui intégre les apports d'une oeuvre comme ses limites et ses critiques, alors « Les critiques de la psychanalyse » de Renée Bouveresse (Puf, Que Sais-Je ?, 1992), aujourd'hui épuisé, pouvait remplir ce rôle. Mais, au delà du simple manuel d'introduction, je crois que Le siècle de Freud d'Elie Zaretsky (Editions Albin Michel, 2009) est celui que je recommanderais chaleureusement, car c'est un ouvrage à la fois rigoureux et vraiment passionnant.
Le B.A.BA, c'est le contexte. Commencer par l'ouvrage d'Elie Zaretsky est là encore de bonne méthode. Ensuite, il y a au moins quatre genres de texte chez Freud :
les écrits de « valorisation » (les introductions et les récits de son histoire)
les écrits cliniques (qui exposent l'histoire d'un cas et l'analyse d'un trouble)
les écrits théoriques (qui fondent une démarche générale à travers l'étude de divers cas, comme l'interprétation des rêves)
les écrits sur la culture (de la religion aux phènomène de masse en passant par l'art).
C'est la curiosité du lecteur débutant qui le portera sur un genre plutôt qu'un autre. Savoir s'y perdre fait aussi partie du plaisir de la lecture, non ?
Représentante « officielle », car analysée par Freud en personne et mandatée pour suivre le développement du mouvement à Paris. Dans le contexte de l'époque, la position de cette femme talentueuse non médecin est tout à fait remarquable. C'est donc une figure attachante de l'histoire du mouvement freudien en France qui présente toute les caractéristiques d'une « grande » freudienne, car elle est à l'interface de plusieurs univers (littéraire et médical), de plusieurs figures importantes (Janet, Freud, Frenczi, Jung, Laforgue) et, faut-il le souligner, de plusieurs pays (France, Pologue, Allemagne, Hongrie). L'une de ses idées fortes, qui n'allaient pas de soi, est d'inaugurer la pratique de la psychanalyse pour les enfants. Idée qui se développera pleinement après la seconde guerre mondiale.
« Nous », je ne sais pas. C'est plutôt « Freud » qui nous revient, car il est désormais un objet culturel détaché du mouvement freudien. En janvier 2010, son oeuvre est entrée dans le domaine public, même si c'est un classique qui n'a jamais relégué définitivement ces critiques en « notes de bas de page ». Car, en effet, ceux qui ne cessent de revenir toujours à Freud dans la polémique, ce sont bien les antifreudiens. Je me demande même dans quelle mesure se ne sont pas des machines à créer encore plus de freudiens ?
Il y a d'abord les Etats Généraux de la psychanalyse (mais aussi de la psychologie, de la psychiatrie et de la psychiatrie), puis la polémique sur la réglementation d'un titre de psychothérapeute, enfin, la publication du livre noir de la psychanalyse. Dans mon ouvrage, j'analyse l'autorité de la psychanalyse à partir des coulisses, mais aussi à l'aune de ces épreuves sur un théatre très médiatisée.
C'est pour cette raison que j'ai choisi cette sculpture de l'artiste contemporain David Cerny en couverture de mon ouvrage. La psychanlyse n'a pas besoin qu'on lui dresse une sculpture avec un piedestal. La psychanlyse a une autorité, car elle repose sur une légitimité que les membres de cet univers lui reconnaît. A force de la critiquer, on ne comprend plus une chose pourtant simple et élèmentaire : les psychanalystes ont une éthique et, face à leurs tâches, une profonde gravité. C'est pourquoi, même avec un bras, ils tiennent fermement et sereinement à un fil, la main dans la poche, en contemplant souverainement le vide. Quel autre figure affronte notre vide ainsi ? Mais en même temps, l'autorité de la psychanalyse est d'une grande fragilité : les psychanalystes ne cessent pas de remettre indéfiniment en jeu, dans la pratique et dans l'espace social, une autorité toujours provisoire (les analyses se terminent un jour ! Les critiques sociales sont interminables ! Les conflits entre psychanalystes également !), mais depuis un siècle elle se perpétue pourtant au cas par cas, un par un. Original, non ?
Hier comme aujourd'hui, le freudisme est un objet culturel. Tout le monde est freudien, car sur le plan anthropologique, la psychanalyse rentre dans la définition des composantes d'une personne. On entend dire que nous avons des « complexes » ou un « inconcient », certains font des « lapsus révélateurs » ou s'échinent à « faire un travail de deuil » en se faisant un devoir « d'en parler », à un « psy » qui va les « écouter »... De ce fait, le freudisme ce n'est pas le mouvement freudien, mais une forme d'évidence de la psychanalyse, une dissolution dans la culture générale. Le freudisme, ce n'est évidemment pas la psychanalyse, car les psychanalystes se battent contre cette version qui dénature le tranchant d'une « expérience » qu'ils tentent de protéger plutôt que de cacher.
Attention de ne pas succomber aux illusions du freudocentrisme ! S'il existe une histoire du mouvement freudien et, même, une histoire des théories psychanalytiques, c'est que la psychanalyse n'est pas sortie d'un seul coup de la tête de Freud. Il faudrait citer tous les cliniciens talentueux qui ont participé au mouvement et au renouvellement des thématiques, de Sandor ferenczi à Emilio Rodriguez...
La question est plutôt, pour qui est-ce nécessaire de faire ce procès maintenant et publiquement ? Ce qui pose problème en effet, ce n'est pas la critique des limites de Freud, qui sont de longue date connues des spécialistes et des lecteurs qui vont au delà des textes prescrits. C'est le procès public qui vise à ternir une réputation en faisant rimer Freud avec Fraude. N'est-ce pas le chemin le plus court pour jeter l'opprobe sur tous les praticiens ?
Aucuns bien au contraire. Il faudrait plutôt formuler une devise dont seuls les shadocks ont le secret : « plus on tape dessus, plus ça dure »...
Samuel Lézé, L'Autorité des Psychanalystes, PUF.
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