Prix Femina des lycéens

Laurent Petitmangin: le populisme de «Ce qu’il faut de nuit»

Une famille marquée par l’engagement syndical voit l’un des siens choisir l’extrême. Entre vertiges de la violence et refuge dans le silence, qui est coupable ? Qui ne l’est pas ? Dans Ce qu’il faut de nuit (La Manufacture de livres), Laurent Petitmangin signe un premier roman dérangeant, qui place ses personnages face à la différence. Il a reçu le prix Femina des lycéens ainsi que le prix Stanislas du premier roman au Festival Le Livre sur la Place, deux récompenses bien méritées.

©Pascal Ito. La Manufacture de livres ©Pascal Ito. La Manufacture de livres

Laisser-faire. Se taire. Que dire à un proche qui opte pour des positions extrêmes ? Le héros de Laurent Petitmangin - fils de cheminot, salarié à Air France - est syndicaliste. Engagé selon le terme en vigueur. Face au pire, il choisit de se taire.

Une chronique politico-sociale efficace

Dans une famille éprouvée par la maladie, la faiblesse peut se comprendre. L’habitude de jouer les seconds rôles dans l’ordre des classes sociales vire aisément à l’évitement. La tentation de l’effacement n’est que le second pas. Le narrateur, héros malgré lui, élève seul ses deux fils. Il fait des crêpes. Accompagne « la moman » dans les couloirs blafards de l’hôpital. La douleur de traverser avec le purgatoire d’une « longue maladie », il la tait. Que faire d’autre ? Le pli du silence est pris. Autre forme d’atavisme.

Ce qu’il faut de nuit est une chronique sociale et familiale efficace. Le décor, le huis-clos d’un pavillon de banlieue, est parfait de banalité. En façade, tout est normal. Les voisins s’invitent à l’apéritif. Ils partagent des bières et des barbecues l’été. Prennent des nouvelles. Ici comme ailleurs, les combats, les révoltes intérieurs restent feutrés. Leur violence n’en est pas moins ravageuse.

En coulisses, le virus du populisme infiltre les esprits. La haine est chose facile et la mieux partagée du monde. Inavouable secret que chacun dissimile en son for intérieur. Parmi tous les paumés de la Terre, le poison gagne. Il ratisse large. L’épidémie ainsi gagne du terrain. Elle grignote les esprits sans que personne ne propose réellement autre chose. Jusqu’au jour la vérité éclate au grand jour dans les urnes qui ont la mémoire longue.

Verdict désemparé de l’anti-héros de Laurent Petitmangin : « Putain, il était où le militant facho sûr de son fait ? Je ne voyais qu’un pauvre type comme moi, tout aussi décontenancé (…) Et les conneries dans sa bouche- je ne crois pas me tromper en le disant -, ce n’étaient pas celles de nos enfants, surtout pas, c’était quelque chose de bien plus haut, de plus insaisissable, qui nous dépassait dans les grandes largeurs encore ».

Une histoire d’ amour filial qui finit mal

Peut-on cesser d’aimer son enfant ? Une autre auteure engagée, Constance Debré, tente de répondre dans son dernier livre, Love me tender (Flammarion). Couper les ponts, même bien involontairement, cela arrive !

Laurent Petitmangin, qui a contracté de longue date le virus de l’écriture, a le sens du détail qui tue. Les scènes qu’il esquisse vont à l’essentiel. Elles touchent au cœur pour dire les petits bonheurs et mettre en scène les inguérissables douleurs. « Août, c’est le meilleur mois dans notre coin. La saison des mirabelles. La lumière vers les cinq heures de l’après-midi est la plus belle qu’on peut voir de toute l’année. Dorée, puissante, sucrée et pourtant pleine de fraîcheur. Déjà pénétrée de l’automne, traversée de zestes de vert et de bleu ». Le monde est bleu et vert comme une mirabelle. Avant l’orage.

Adolescents sous influence

Tout l’art du roman est de sonder ainsi le fond des cœurs et des âmes à travers les actes. C’est là que le récit gagne le plus de vie. Ce qu’il faut de nuit a reçu le prix Stanislas, bien mérité, au Festival Le Livre sur la Place à Nancy cet été.

Ce premier roman bien mené épouse avec subtilité les contours de l’amour filial comme la distance qui se creuse lorsque les convictions sont trop éloignées. Ce qu’il faut de nuit est une fable dramatique qui illustre la question de l’influence. Sans trancher dans le vif. Les convictions politiques sont aussi question de nuance. Dans le meilleur des cas.

Et les bons samaritains existent pour mettre un gamin sur la bonne voie. Comme le petit Gillou. Un gosse sans histoire mais non dépourvu de talent. On pense ici à Philippe Claudel écrivain de la même région, qui porte le même regard lucide de grand frère bienveillant sur la jeunesse et le monde qui l’entoure.

Ce qu’il faut de nuit est une fable. Avec une morale. « (…) toutes nos vies, malgré leur incroyable linéarité de façade, n’étaient qu’accidents, hasards, croisements et rendez-vous manqués. Nos vies étaient remplies de cette foultitude de riens, qui selon leur agencement nous feraient rois du monde taulards ».

Taulards. Vous avez dit « taulards » ou (re)confinés ?

>Laurent Petitmangin, Ce qu’il faut de nuit, La Manufacture de livres, 187 p., 16,80 €

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