Prix de la langue française et Prix Décembre

« Le Bastion des larmes » d'Abdellah Taïa : retour en terre d'enfance

Son dernier livre « Le Bastion des larmes » vient de recevoir le Prix de la langue française, ainsi que le Prix Décembre 2024. Abdellah Taïa, écrivain et cinéaste marocain est plus que jamais sur le devant de la scène. Son œuvre littéraire, qui montre sans fard les ombres d'une société marquée par l'exclusion des différences, est aussi portée par la poésie et la beauté de l'écriture. La chroniqueuse Littéraflure a été séduite par ce dernier texte, dont les larmes évoquées savent refléter les lumières de la vérité.

Portrait d'Abdellah Taïa ©Abderrahim Annag pour Julliard Portrait d'Abdellah Taïa ©Abderrahim Annag pour Julliard

Je me souviens d’un voyage à Tanger, d’un thé à la menthe siroté sur la terrasse du café Hafa. À quelques tables de moi, un groupe de jeunes hommes obligeait un enfant à se trémousser comme une danseuse du ventre, tel un bacha bazi. Le spectacle était obscène, il me hanta jusque dans les rues de la médina où j’interrogeais du regard les gamins que je croisais.

Les destins contrariés par les lâchetés familiales

Abdellah Taïa a fait revivre mon malaise, rappelant, page 137, que : « Nous sommes au Maroc. Ici, les enfants appartiennent à tout le monde ».  Comme Najib et Youssef, les protagonistes de son roman, que leur caractère efféminé, leur innocence et la lâcheté de leurs familles condamnent au viol et à l’humiliation. L’un s’exile à Paris, où l’homosexualité n’est plus une tare. L’autre devient l’amant d’un militaire corrompu (le zamel de Hay Salam), que le trafic de drogue a enrichi. Tous deux reviendront à Salé, pour enterrer leurs souvenirs et se venger d’un entourage étouffé par l’hypocrisie et la cupidité.

Quand la pauvreté s'incline devant le vice

Le récit d’Abdellah Taïa est poignant, sans fard, parfois choquant (p.56, p.138), mû par la volonté d’exposer les plaies d’une société où les pauvres n’ont d’autre choix que de s’incliner devant le vice et l’autorité.

Le voile de la honte sur les âmes pures

Dans le roman d’Abdellah Taïa, celles et ceux qui portent le visage de la honte ont l’âme pure et fracassée. À n’en pas douter, les putes et les pédés valent mieux que les imams et les gradés.

Petite tendresse pour le passage où Youssef découvre aux côtés de ses cinq sœurs l’acteur Omar Sharif, désirable et charismatique dans un mélo égyptien pur cru. 

A propos  du « Bastion des larmes »  : le mot de l'éditeur

À la mort de sa mère, Youssef, un professeur marocain exilé en France depuis un quart de siècle, revient à Salé, sa ville natale, à la demande de ses sœurs, pour liquider l’héritage familial. En lui, c’est tout un passé qui ressurgit, où se mêlent inextricablement souffrances et bonheur de vivre.
À travers lui, les voix du passé résonnent et l’interpellent, dont celle de Najib, son ami et amant de jeunesse au destin tragique, happé par le trafic de drogue et la corruption d’un colonel de l’armée du roi Hassan II. À mesure que Youssef s’enfonce dans les ruelles de la ville actuelle, un monde perdu reprend forme, guetté par la misère et la violence, où la différence, sexuelle, sociale, se paie au prix fort. Frontière ultime de ce roman splendide, le Bastion des Larmes, nom donné aux remparts de la vieille ville, à l’ombre desquels Youssef a jadis fait une promesse à Najib. « Notre passé… notre grande fiction », médite Youssef, tandis qu’il s’apprête à entrer pleinement dans son héritage, celui d’une enfance terrible, d’un amour absolu, aussi, pour ses sœurs magnifiques et sa mère disparue.

> « Le Bastion des larmes » d'Abdellah Taïa, Julliard, 224 pages, 21 euros >> Pour acheter le livre, cliquer sur le lien
>Lire aussi notre critique de son livre « Le Jour du roi » qui avait reçu le prix de Flore en 2010 en cliquant sur ce lien

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Littéraflure est le pseudonyme de critique littéraire d'une auteure qui a déjà publié cinq romans et dont l'identité est inconnue. Prochainement elle fera paraître ses Confessions d'une chroniqueuse littéraire.
Son credo : « Je porte aux nues et souvent j’érafle pour que vive la littérature ! »

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