Dans Les amants du Lutetia (Albin Michel), Emilie Frèche revient sur un fait divers de 2013 : le suicide organisé dans une chambre du Lutétia par Maud et Ezra Kerr, stars de la publicité dans les années 1980. Sarah Sauquet a été bouleversée par ce récit qui traite du droit à une mort digne et choisie, avec panache et bulles de champagne. Un des livres forts de la rentrée littéraire 2023, qui figue déjà sur la sélection du prix du roman Fnac.
2018. Les cadavres de deux personnes âgées sont retrouvés dans une chambre du Lutétia. Maud et Ezra Kerr, qui ont régné sur le monde de la publicité dans les années 1980, ont orchestré leurs suicide, funérailles et legs testamentaires, et cette disparition semble tenir de la farce noire et grotesque.
Éléonore, la fille unique d’Ezra et Maud, va devoir affronter l’absence de ses parents, les reproches et questions qu’elle ne pourra plus formuler, et la transmission de la propriété familiale « Les Bulles », qui lui rappellera ce que Maud et Ezra ont été.
Doit-on forcément connaître la longue angoisse de vivre et de mourir ?
Après avoir fini « Les Amants du Lutétia » d’Emilie Frèche, les derniers mots de « Belle du Seigneur » me sont revenus en mémoire : « dire le dernier appel, ainsi qu’il était prescrit, car c’était l’heure ».
Doit-on forcément connaître la longue angoisse de vivre et de mourir ? Tirer sa révérence avant l’inexorable déclin devrait-il être un droit ?
« Les Amants du Lutétia », qui traite avant tout du droit à une mort digne et choisie, m’a bouleversée, parfois fait pleurer, peut-être parce qu’il m’a fait penser à la joie dans laquelle ont tenu à vivre mes grands-parents maternels.
Nouveaux Ariane et Solal, nouveaux Marianne et Jean-Paul de « La Piscine », Maud et Ezra sont des heureux du monde, pressés de vivre, qui ont dédié leur vie à l’image, ont eu le sens de la fête, et nous apparaissent comme des influenceurs d’autrefois.
Emilie Frèche pointe du doigt notre incapacité à gérer le vieillissement de nos proches
Avec délicatesse et justesse, Emilie Frèche pointe du doigt notre incapacité à gérer le vieillissement de nos proches, et la façon dont nous ostracisons les personnes âgées en les laissant dans des Ehpad. La romancière s’empare habilement du réel le plus proche, à travers la création d’un compte Instagram ou une savoureuse allusion au Covid.
L’œuvre raconte l’orgueil et l’inconscience de ceux qui, en pleine possession de leurs moyens et de leur beauté, ne connaissent aucun des traumatismes qui tannent le cuir des diminués. Les bulles de champagne qui s’échappent des coupes bues par Maud et Ezra en sont pourtant un signe avant-coureur.
>Les amants du Lutetia d'Emilie Frèche, Albin Michel, 384 pages, 21,90 euros >> Pour acheter le livre, cliquer sur ce lien
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Sarah Sauquet est autrice, professeure de lettres, créatrice d'applications littéraires, passionnée de pop culture. Qu’il s’agisse d’enseigner, d’écrire, ou d’établir des ponts entre cultures classique, populaire et contemporaine, son travail tourne autour d’un objectif : celui de susciter l’envie de se cultiver.
Photo : © Emilie Château