Cet automne 2017, l'édition fait la part belle aux écrivaines. De l’incontournable Amélie Nothomb à l’intimiste Chantal Thomas, en passant par la mystérieuse Monica Sabolo, les femmes sont à l’honneur et imposent leur style dans les librairies. Un style qui n'est pas "girly", le style du talent avec toute sa diversité. Certains de ces livres figurent déjà sur les listes des prix les plus prestigieux.
Le récit : Marie est une jeune femme qui a tout pour plaire et qui aime faire tourner la tête des garçons, pour rendre jalouse ses copines de lycée. Bien que vouée à un brillant avenir, Marie va se laisser emporter par son besoin de susciter l'envie et la jalousie d'autrui, et tombe enceinte à l’âge de 19 ans, d’Olivier, un jeune pharmacien très convoité. Cette naissance va changer sa vie du tout au tout. L’arrivée de sa fille Diane la relègue au second plan puisque tous ses proches ne jurent que par le nouveau-né. Marie tombe alors instantanément jalouse du nourrisson, qu'elle traite avec la plus grande froideur. L’enfant le comprendra très vite, notamment lorsque la famille s'agrandira, et que sa mère couvrira d'attentions ses frères et sa sœur. Progressivement le personnage de Marie s’efface pour laisser la place à Diane, le protagoniste au cœur de l’intrigue. Au fil des pages le lecteur découvre comment la jeune femme évolue sous le poids de l’absence de tendresse maternelle. Dans sa dernière œuvre Amélie Nothomb parle abondement de sentiments. Si elle préfère laisser de côté les relations amoureuses, elle ouvre cette fois un chapitre conséquent et difficile; l’amour parental. La plume de l’écrivaine, est toujours aussi bien rodée.
Pourquoi ce livre compte ? L'histoire est fluide et très agréable à lire. Son analyse des sentiments et de l’amour maternel s’appuie sur différentes visions et permet de mettre à nue leur complexité. A travers les mots d’Amélie Nothomb le lecteur ressent la violence mentale que subit Diane et voit s’entasser les répercussions dans sa vie future.
Le récit : Une femme écrit au fond d’une forêt. Son corps et le monde partent en morceaux. Avant, elle était psychologue. Elle se souvient qu’elle rendait visite à une femme qui lui ressemblait trait pour trait, et qu’elle tentait de soigner un homme. Le nouveau roman de Marie Darieussecq nous interroge sur notre mode de vie et sur ses avancées technologiques. Notre protagoniste écrit sur un cahier, afin qu’il soit trouvé, en pleine forêt, là où elle a établis son campement avec d’autre rescapés de cette nouvelle civilisation.
Pourquoi ce livre compte ? À la différence des autres dystopies, Notre vie dans les forêts s’intéresse non pas à l’action ou la révolution d’un peuple mais plutôt à l’aspect psychologique des personnages dans cette vie future. Le lecteur s’attache particulièrement à l’héroïne, d’une sensibilité rare et d’une grande intelligence. La description des sentiments de la jeune femme, très bien exécutée, permet de se projeter complètement dans l’œuvre. Le style de l’auteur est très agréable, saisissant et original. Le coup de cœur est présent, notamment grâce à une fin sublime.
Le récit : Nager. Nager pour fuir les contraintes, pour échapper aux vies imposées, aux destins réduits, aux disciplines. C’est ce qu’a sans doute ressenti Jackie toute sa vie, démarrée en 1919 et prolongée pendant presque un siècle dans une liberté secrète, obstinée, qui la fit jusqu’à la fin parcourir des kilomètres pour aller se baigner sur sa plage préférée, à Villefranche-sur-Mer. Entre-temps elle s’était mariée, avait quitté Lyon pour Arcachon, puis, devenue jeune veuve, avait échangé le cap Ferret contre le cap Ferrat, avec sa mer plus chaude, son grand été.
Pourquoi ce livre compte ? Partagée entre mer et mère, Chantal Thomas nous livre une œuvre d’atmosphère, baignant dans les souvenirs d’enfance aux odeurs iodées. Le lecteur rencontre Jackie, la mère de l’écrivaine, une femme unique, particulière, qui a sa propre vision du rôle de mère et d’épouse. Il découvre également sa passion pour la mer et la nage. Ce besoin vital est un mystère que Chantal Thomas tente de percer. Elle décrit à merveille la nage, qui en devient un art au bout de ses mots. L’apprentissage de la nage, les gestes techniques du crawl, l’immersion dans l’eau, le premier contact, tout est passé en revue et apporte un vrai plus à cette œuvre. Le lecteur se laisse porter par les mots de l’auteure et s’immerge dans ses souvenirs.
Le récit : Jeanne a tout pour connaître un bonheur tranquille : deux filles étudiantes, un mari attentionné, une amie fidèle, un boulot stable. Passionnée par Marina Abramovic, l'artiste-performeuse célèbre pour avoir, dans son travail, mis en jeu son existence et ses amours, Jeanne n’aime pas moins les surprises, l’inattendu. Cet été-là, le hasard se glisse — et elle-même l’invite — dans son quotidien. La beauté des jours est une œuvre qui célèbre l’existence la plus simple. Le lecteur découvre au fil des pages une leçon de vie, d’humilité, qui n’est pas sans émotion. A travers la vie de cette femme bercée par les habitudes, l’auteure cherche à nous expliquer, sans prétention et le plus délicatement possible, que la plupart de nos rêves sont inaccessibles. Il faut, comme Jeanne, se contenter des petites choses qui font les merveilles de la vie.
Pourquoi ce livre compte ? La particularité de l’œuvre réside dans la force malgré la simplicité de l’histoire qu’elle raconte d’un couple ordinaire. Claudie Gallay nous prouve une nouvelle fois que le quotidien est capable de nous mettre une claque littéraire.
Le récit : L’Algérie dont est originaire sa famille n’a longtemps été pour Naïma qu’une toile de fond sans grand intérêt. Pourtant, dans une société française traversée par les questions identitaires, tout semble vouloir la renvoyer à ses origines. Mais quel lien pourrait-elle avoir avec une histoire familiale qui jamais ne lui a été racontée ? Son grand-père Ali, un montagnard kabyle, est mort avant qu’elle ait pu lui demander pourquoi l’Histoire avait fait de lui un « harki ». Yema, sa grand-mère, pourrait peut-être répondre mais pas dans une langue que Naïma comprenne. Quant à Hamid, son père, arrivé en France à l’été 1962 dans les camps de transit hâtivement mis en place, il ne parle plus depuis longtemps de l’Algérie de son enfance. Comment faire ressurgir un pays du silence ?
Pourquoi ce livre compte ? L’art de se perdre renferme énormément d’amour et d’émotion. Si les mots ne le traduisent en aucun cas beaucoup de sentiments se cachent entre les lignes. L’œuvre d’Alice Zeniter témoigne d’un passé lourd. Elle évoque le poids de l’héritage, l’exil, la colonisation tout ça à travers l’amour filial et dans une grande élégance. L’auteure joue également sur l’alternance entre la douceur et la brutalité, ce qui apporte un vrai plus au roman. Cette œuvre saura conquérir et attendrir même les cœurs de pierres.
Le récit : Bakhita, née au Darfour au milieu du XIXe siècle, est enlevée par des négriers à l'âge de 7 ans. Revendue sur un marché des esclaves au Soudan, elle passera de maître en maître, et sera rachetée par le consul d'Italie. Placée chez des religieuses, elle demande à y être baptisée puis à devenir soeur. Bakhita est une biographie bouleversante, constamment à fleur de peau qui parvient à saisir son lecteur dès les premiers instants. L’auteur nous narre la vie de cette femme silencieuse qui souffre dans la plus grande discrétion et qui tente coute que coute d’exister malgré la vie cruelle qui lui est réservée.
Pourquoi ce livre compte ? Au fond de toute cette violence, Véronique Olmi parvient à trouver un juste milieu entre les scènes qu’on suggère et celles qui se doivent d’être relatées, tant elles sont abominables. Le lecteur referme le livre le cœur plein de compassion pour cette héroïne incroyable et qui force le respect.
Le récit : Printemps 1960. Au moment même où Antoine apprend que Lila, sa toute jeune épouse, est enceinte, il est appelé pour l’Algérie. Engagé dans un conflit dont les enjeux d’emblée le dépassent, il demande à ne pas tenir une arme et se retrouve infirmier à l’hôpital militaire de Sidi-Bel-Abbès. À l’étage, Oscar, un jeune caporal amputé d’une jambe et enfermé dans un mutisme têtu, l’aimante étrangement : avec lui, Antoine découvre la véritable raison d’être de sa présence ici. Pour Oscar, « tout est à recommencer » et, en premier lieu retrouver la parole, raconter ce qui l’a laissé mutique. Même l’arrivée de Lila, venue le rejoindre, ne saura le détourner d’Oscar, dont il faudra entendre le récit, un conte sauvage d’hommes devenus loups.
Pourquoi ce livre compte ? À la manière des rafales Brigitte Giraud enchaîne les phrases courtes et hypnotise son lecteur. Les yeux rivés sur le livre on ne peut se résoudre à le fermer. Les émotions s’enchaînent, on ne sait où donner de la tête, et on se laisse immerger dans l’atmosphère pesante de la guerre. Les paysages, les autochtones, le FNL, les indépendantistes, tout tourbillonne avec en toile de fond les paysages algériens. L’auteur vacille adroitement entre douceur et fureur et apporte à l’œuvre une beauté inexplicable.
Le récit : Sur le parking d’un supermarché, dans une petite ville de province, une femme se démaquille. Enlever sa perruque, sa robe de soie, rouler ses bas sur ses chevilles : ses gestes ressemblent à un arrachement. Bientôt, celle qui, à peine une heure auparavant, dansait à corps perdu sera devenue méconnaissable. Laurent, en tenue de sport, a remis de l’ordre dans sa voiture. Il s’apprête à rejoindre femme et enfants pour le dîner. Avec Solange, rencontrée au lycée, la complicité a été immédiate. Laurent s’est longtemps abandonné à leur bonheur calme. Sa vie bascule quand, à la faveur de trois jours solitaires, il se travestit pour la première fois dans le foyer qu’ils ont bâti ensemble. À son retour, Solange trouve un cheveu blond…Sous la plume de Léonor de Récondo se dévoile le personnage de Laurent, qui se glisse dans la peau de Mathilda.
Pourquoi ce livre compte ? Ce roman aborde un sujet qui peut sembler délicat, voir fragile, cependant l’auteure évoque avec une justesse incroyable, la transformation, l’identité sexuelle. Derrière Laurent se cache un personnage qui souffre, qui ne s’est jamais senti à sa place dans ce corps, et qui un jour décide d’assumer qui il est, envers et contre tous. L’incroyable courage dont fait preuve le protagoniste le rend attachant et juste. Lorsque le moment est venu de refermer le livre, un sentiment de légèreté, une énergie positive envahit le lecteur. Point Cardinal est un de ces romans qui vous marquent.
Le récit : Marie-Adélaïde, née sous X, a la rage au ventre ; elle a un destin, mais ne sait pas encore lequel. Pas celui de caissière à La Miche Dorée. Pas non plus celui de ses rares copines, certaines connues en prison, d'autres camarades de galère et d'errance. Serait-ce celui de nounou des enfants impeccables de la Sublime ? Ou celui de retrouver sa mère coûte que coûte ? Son destin, elle va le chercher avec les moyens dont elle dispose : le culot, la parole qui frappe, l'humour cinglant, l'insoumission à son milieu, la révolte contre toutes les conventions. C'est une héroïne de notre temps.
Pourquoi ce livre compte ? Le vrai plus de ce roman repose sur l’écriture acerbe et incisive de Saphia Azzeddine. Elle est directe, va droit au but et s’attaque à tout le monde, quitte à heurter quelques personnes. Avec beaucoup d’ironie elle analyse un système social bancal et les victimes de ce dernier. Sous ces propos incisifs le contraste entre la bourgeoisie et ce qu’elle appelle « les petites gens » devient évident. Si son récit ne cherche pas à apporter une solution il a le mérite d’offrir une vision d’ensemble et de lever le voile sur certaines choses importantes. Si le personnage principal agace au début par sa vision toujours négative et un côté « je sais tout sur tout », on découvre au fil des pages que c’est uniquement une manière de se protéger, son unique défense face aux épreuves de la vie. Son regard sur une population et sur la recherche de ses origines est très intéressant et à ne surtout pas manqué.
Le récit : En février 1974, Patricia Hearst, petite-fille du célèbre magnat de la presse William Randolph Hearst, est enlevée par un groupuscule révolutionnaire dont elle ne tarde pas à épouser la cause, à la stupéfaction générale de l'establishment qui s'empresse de conclure au lavage de cerveau. Professeure invitée pour un an dans une petite ville des Landes, l'Américaine Gene Nevena se voit chargée de rédiger un rapport pour l'avocat de Patricia Hearst, dont le procès doit bientôt s'ouvrir à San-Francisco. Un événement mémorable dont la résonance va également kidnapper l’existence de trois femmes de générations différentes : une Américaine et deux Françaises tour à tour attachées à saisir cet épisode.
Pourquoi ce livre compte ? Ici il n’est pas seulement question d’un fait divers qui a fait la une des journaux en février 1974. Lola Lafon se penche sur la liberté d’opinion, la liberté de penser, peu importe notre milieu social. Elle offre aux lecteurs des portraits de femmes saisissants et particulièrement intéressants que tout oppose. Le style percutant et la plume fluide de l’auteure feront résonner longtemps dans nos mémoires ces destins de femmes atypiques.
Le récit : Lors d’un pique-nique au bord du lac Léman, Summer, dix-neuf ans, disparaît. Elle laisse une dernière image : celle d’une jeune fille blonde courant dans les fougères, short en jean, longues jambes nues. Disparue dans le vent, dans les arbres, dans l’eau. Ou ailleurs ? Vingt-cinq ans ont passé. Son frère cadet Benjamin est submergé par le souvenir. Summer surgit dans ses rêves, spectrale et gracieuse, et réveille les secrets d’une famille figée dans le silence et les apparences. Comment vit-on avec les fantômes ? Ce mystérieux roman hanté de fantômes, n’a rien à envier aux pages « turner » américain, il est littéralement impossible de lâcher le livre sans connaitre le dénouement.
Pourquoi ce livre compte ? Dans Summer, Monica Sabolo, nous embarque avec elle au plus profond de la psychologie instable de Benjamin, à la recherche d’une réponse qui pourrait lui redonner gout à la vie. Au fil du texte des notations discrètes, en guise d’indices, nous aideront à avancer dans ce roman entêtant. Couronnée du prix de flore en 2013 avec son premier roman «Tout cela n'a rien à voir avec moi », l’auteure nous prouve une nouvelle fois grâce à son style à la fois poétique et envoutant qu’elle connait parfaitement ses atouts.
Le récit : « Elle est célèbre dans le monde entier mais combien connaissent son nom ? On peut admirer sa silhouette à Washington, Paris, Londres, New York, Dresde ou Copenhague, mais où est sa tombe ? On ne sait que son âge, quatorze ans, et le travail qu’elle faisait, car c’était déjà un travail, à cet âge où nos enfants vont à l’école. Dans les années 1880, elle dansait comme petit rat à l’Opéra de Paris, et ce qui fait souvent rêver nos petites filles n’était pas un rêve pour elle, pas l’âge heureux de notre jeunesse. Elle a été renvoyée après quelques années de labeur, le directeur en a eu assez de ses absences à répétition. C’est qu’elle avait un autre métier, et même deux, parce que les quelques sous gagnés à l’Opéra ne suffisaient pas à la nourrir, elle ni sa famille. Elle était modèle, elle posait pour des peintres ou des sculpteurs. Parmi eux il y avait Edgar Degas. » On connait tous la célèbre statue de Degas. Cependant combien sommes-nous à connaître et à retracer la vie particulièrement touchante de Marie van Goethem.
Pourquoi ce livre compte ? A travers son histoire l’auteure évoque le monde impitoyable de l’Opéra et dresse le portrait de toutes ces petites filles pour qui la danse représentait plus un moyen de survie qui passait par l'exploitation de leurs corps. Extrêmement bien documenté, situé entre l’étude sociologique et le document d’histoire de l’art, ce livre se dévore comme un roman.
Légende photo : Jérôme Garcin, Hervé Le Tellier, Rachida Brakni, Marthe Keller, Gaël Faye, Kamel Daoud, Rebecca Dautremer, Emmanuel Lepag
Avec la saison automnale, le Mois du film documentaire du Territoire de Belfort est l’occasion de se réchauffer tout en explorant une grande divers
Légende photo : Abnousse Shalmani, lauréate du prix Simone Veil 2024, entourée de Pierre-François Veil (à gauche sur la photo) et Jean Vei