Mark Greene a lu Septembre de Jean Mattern (Gallimard). Il nous livre son interprétation de ce récit qui se déroule pendant l'épisode de la prise d'otages au moment des Jeux Olympiques de Münich en 1972.
Ça commence par de la lumière. Une lumière de fin d’été... Quand les jours raccourcissent, se replient doucement, comme une main... Une lumière qui ressemble à un fruit mûr. Vous souvenez-nous de la lumière, en 1972 ? Vous ne savez pas, vous n’étiez pas là ? Vous n’étiez pas encore nés ? Ou si peu ?
Eh bien, c’était une lumière dorée. En ce temps-là, la lumière était dorée... Regardez les films de l’époque. Par exemple, Le Lauréat. Ou Bullitt. Vous voyez ça, la lumière dorée... La lumière des campus américains, entre la fin des vacances et l’arrivée de l’automne... La lumière des manifs contre la guerre du Vietnam. Les filles portaient des jeans et des vestes en daim... Une lumière ronde et chaude, pailletée d’or. Et c’était comme ça aussi, à Munich. Cette année-là, en septembre...
L’Allemagne avait organisé les Jeux. Des Jeux Olympiques peace and love, comme seuls les Allemands pouvaient le faire (plus tard, ils inventeraient la Love Parade). Le chancelier s’appelait Willy Brandt, les officiels souriaient, le dispositif de sécurité se voulait discret…
Ces jeux avaient un héros. Un champion annoncé, moustachu, cool, qui participait à sept finales et avait promis de remporter autant de médailles d’or : le nageur Mark Spitz. Un héros juif, nous apprend l’auteur (ça, je l’ignorais, mais je me souviens, enfant, d’avoir attendu ces médailles, l’accomplissement du parcours sans faute, sans une ombre, propre aux divinités de l’Olympe).
Et puis, il y a les coulisses... Le narrateur, un journaliste britannique, fait la rencontre d’un journaliste américain. L’Anglais est jeune, marié, il démarre une carrière à la BBC. Les deux hommes se regardent, dans la salle de presse. Il se passe quelque chose, comme on dit. Septembre est un drôle de livre... Des célébrations officielles, mondialisées, et là-dessus, ou plutôt là-dessous, la découverte de l’homosexualité, les balbutiements de l’intime… Société parallèle des journalistes accrédités, logeant dans les mêmes hôtels, se croisant, se jaugeant, s’échangeant des tuyaux... Courant après l’événement, s’abritant derrière lui. On partage, avec le narrateur, l’excitation d’être au centre du monde, de côtoyer les dieux du stade et, aussitôt après, de replonger dans le trouble, dans l’interdit. Liberté, délices de l’à-côté. Ultime école buissonnière...
L’écriture tremble un peu, vacille, il y a là un mélange de bonnes manières, de retenue, de candeur… De honte, aussi, par moments…
Mais, soudain, l’Histoire reprend ses droits. Un commando palestinien fait irruption dans l’appartement de la délégation israélienne. Septembre noir, c’est ainsi qu’ils se font appeler... Prise d’otages. On annonce un premier mort. Le rêve athénien se brise.
Les deux comparses épient les tractations, depuis les locaux de la délégation canadienne. Là encore, on est dans les coulisses. Tout devient possible. Ecouter, se tenir prêt, gagner du temps. S’aimer sans se le dire, en regardant ailleurs. Avoir peur, avoir envie... En jouant à cache-cache avec la mort, y compris quand ce sont les autres qui trinquent. C’est cela la vie, non ?
Après le carnage, l’assaut raté des policiers allemands, l’Américain s’en va, aspiré par son destin. Les Jeux sont faits. Le narrateur n’a plus qu’à retrouver sa femme, travailler, réussir. Il lui restera, toute sa vie, le souvenir de ces quelques jours... Le souvenir, et le silence. Il y a des choses qu’on ne peut pas dire... Le soleil a rétréci. Bientôt, ce sera l’hiver.
Ce texte est paru précédemment dans la Quinzaine littéraire
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Mark Greene est né à Madrid, d’un père américain et d’une mère française. Il a publié, notamment, Les Maladroits (Fayard) et Le Ciel antérieur (Seuil), ainsi qu’un recueil de nouvelles, Les Plaisirs difficiles (Seuil).
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