Passionée des haïku, Pascale Senk a trouvé dans cet art poétique japonais une forme d'écriture, autant qu'un équilibre personnel. Quand l'art de saisir l'essentiel avec une économie de mots devient la source d'une nouvelle manière de vivre ... Pascale Senk nous en donne les clés, dans ses livres ou ses ateliers d'écriture à l'école Les Mots. Rencontre.
Bien avant Twitter, les japonais ont inventé la contrainte du « format court ». Un haïku (俳句, haiku) est un petit poème bref visant à dire et célébrer l'évanescence des choses. Le haïku comporte traditionnellement 17 mores, versets - en trois segments 5-7-5. Il s'agit donc d'une forme poétique très codifiée, qui s'est développée au Japon au XVIIe siècle.
Aujourd'hui, l'art du haïku s'est étendu à toutes les populations au Japon comme ailleurs et n'est plus seulement réservé aux grands poètes ou écrivains. Il existe de multiples écoles et tendances: haïku zen, haïku urbain, haïku engagé... Cet art de l'essentiel sait conjuguer petitesse du format et grandeur poétique. Des clubs de haïku ont même vu le jour, dans les entreprises ou les écoles, au sein desquels nombreux sont les « haïdjin » ou « haïkistes » en herbe qui cherchent l'association de mots inspirée pour exprimer l'essence des situations du quotidien ou tout simplement trouver la voie d'une méditation par l'écriture...
Pascale Senk, auteure et journaliste a découvert les vertus des haïkus, à la faveur de ses recherches pour un article. Une passion est née qui l'habite sans discontinuer depuis dix ans et ne fait que croître. Car Pascale Senk en est convaincue, la pratique du haïku peut transformer la vie. Comme elle a transformé la sienne. Saisir l'instant fugitif, se relier à la nature, évacuer le superflu... écrire des haïkus ouvre le champ de la concentration et apaise les esprits.
Nous rencontrons Pascale Senk en pleine période de grèves des transports. La ville humide grouille de voitures, scooters, cyclistes et trottinettes endiablées. Penser le moment en haïku pourrait nous permettre d'oublier le stress urbain, dixit Pascale Senk. Je me lance : La ville sous la pluie, la pie s'envole, dans la nuit. Pascale sourit. Nous sommes tous des haïkistes qui nous ignorons. Poser quelques mots, intensément, calmement, quel bonheur... Soudain les tracas sont oubliés, envolés vers le ciel. Je suis mûre pour participer au prochain atelier d'écriture animé par Pascale Senk !
Pascale Senk : Par une enquête que j'ai écrite sur le sujet. Cet art du poème bref m'a ouvert la porte d'un monde dont je n'avais pas pris la mesure. Au Japon il y a des groupes de haïkus jusque dans les bureaux ou dans les salles de classe. Les haïkus existent au cœur de la vie de chacun. Pourquoi ? C'est cela qui m'a intriguée. Pourquoi un tel engouement ? Je me suis vite rendue compte que nous nous trouvions avec lui à la rencontre de la méditation et de la littérature. L'art du haïku cherche à capturer l'instant, la nature, la lumière, le vent, les saisons, le vivant.... Il le fait de manière souvent énigmatique. De même que le temps s'échappe, les plus beaux haïkus ouvrent une fenêtre sur une réalité suggérée mais jamais possédée.
P.S. : Matsuo Bashõ en est le "géant". Il est peu le Victor Hugo du haïku, l'institution. J'apprécie aussi beaucoup Issa Kobayashi et Masaoka Shiki. Ces grands poètes font partie de la mémoire patrimoniale japonaise. On voit bien l'évolution du genre avec les siècles, malgré l'apparente simplicité des poèmes. Chaque poète possède son style. Mais la lecture de tous procure une sensation de paix et d'émerveillement.
P.S. : De grands adeptes sont nés en Occident, surtout à partir des années 30. Le grand mouvement américain a été initié par Jack Kerouac. Paul Claudel en France fut un adepte prosélyte des haïkus. Roland Barthes leur a donné ses lettres de noblesse. D'une certaine manière, le haïku est le contraire de la poésie française classique, qui apprécie la richesse du verbe, l'alexandrin "fleuri". Mais justement, ce qui est extraordinaire, c'est de voir comment notre culture issue du romantisme et du cartésianisme, peut s'enrichir de ce travail d'épure.
P.S. : Le haïku nous conduit à faire silence, à nous placer en état de conscience élargie, à contempler le monde et à nous relier à lui. Nos peines se coulent dans les éléments de la nature, comme nos joies. Cette extériorisation qui fait suite à une intériorisation est très libératrice. "Je me recentre pour mieux m'envoler" peut-on entendre parfois.
P.S. : Une des grandes vertus des haïkus est d'imposer une contrainte qui force à ne garder que l'essence de son émotion. Dans une époque qui prône l'ultra-consommation, cet appel à l'infiniment petit est une source d'oxygène. Un exercice de recentrage. La meilleure des antidotes aux Black Fridays et autres tonneaux des Danaïdes modernes !
P.S. : Tout le monde peut en tout cas s'engager sur cette voie où l'on progresse sans cesse. Ecrire des haïkus fait appel à la sensibilité. Chacun peut s'exprimer. C'est une poésie universelle sans barrière de savoir, profondément démocratique. Il s'agit de regarder le monde et la nature. De se mettre à l'écoute de ce que cette rencontre provoque en soi-même. Depuis que les préoccupations écologiques sont partagées par la population, les haïkus sont aussi une manière de nous replacer dans notre lien avec le monde extérieur. Nous réapprenons à regarder les plantes, le ciel ou les animaux, à réaliser que nous faisons partie d'un tout. Et puis une des vertus de l'écriture des haïkus est une manière de chercher sa source intérieure. Cet état prépare à la méditation qui est souvent le prolongement de la poésie, comme je l'indique dans mon livre Un haïku par jour.
P.S. : Le haïku est en effet un poème qui se partage. Celui qui l'écrit aime être lu et celui qui le lit en extrait sa propre représentation, puisque les formulations sont souvent elliptiques. Au Japon, les haïkus se lisent comme " les pépites" du jour. C'est un cercle vertueux. C'est pourquoi les ateliers d'écriture de haïkus fonctionnent si bien; c'est très gratifiant pour celui qui écrit, nourrissant pour celui qui écoute et chaleureux pour le groupe qui s'enrichit de ces échanges.
P.S. : Mon prochain atelier se tiendra pendant 2 jours à l'école Les mots, les 18 et 19 janvier 2020. Nous nous initierons aux règles de composition des haïkus, qui incitent à l’expression de sentiments subtils, à l’attention aux plus petites choses de la vie, à l’observation de la nature. Après la découverte des maîtres du genre, nous explorerons la richesse du haïku contemporain, qu’il soit caustique, politique ou existentiel. Et nous verrons combien il est une force démocratique. À partir de là, chacun pourra commencer cet exercice de transformer des moments de sa vie en poèmes brefs. Le partage en groupe, si important au Japon, permet d’améliorer ses écrits... et ceux des autres ! Si le temps le permet, nous ferons un Ginko, promenade poétique guidée par l’inspiration « haïku ». Nous verrons alors comment il est possible, même en milieu urbain, de capter les épiphanies et les beautés du jour. En ce sens, nous comprendrons que lire et écrire des haïkus peut devenir une pratique de méditation active.
P.S. : Certainement ! Quel beau cadeau à s'offrir ou à offrir que de s'ouvrir à la poésie tout en se découvrant soi-même ! C'est une pratique qui peut se poursuivre ensuite régulièrement chez soi ou avec un groupe d'amis pour se donner des pauses, laisser des traces de ses ressentis au fil des jours. Je crois aussi beaucoup à l'avenir des haïkus dans les écoles, comme éveil à l'écriture et aux situations amusantes du quotidien. Les enfants aiment jouer avec les mots, surtout si on leur donne un cadre accessible et sensible. Cela met de l'espace dans la tête. Et puis chacun peut ensuite personnaliser son approche du haïku. Certains vont les mélanger à des photos. Ou les fédérer autour d'un thème : pour une naissance, un anniversaire... Mettre un peu de poésie dans notre monde de brutes, voilà une résolution pleine de sens pour la nouvelle année, non ? Les haïkus nous ouvrent à un univers fragile et fort, petit et immense. Quand les mots sont connectés à une forte émotion, ils en deviennent les miroirs puissants. L'écriture des haïkus s'inscrit comme une voie de conscience et d’émerveillement, à la portée de tous. Ici et maintenant.
De temps en temps
Les nuages nous reposent
De tant regarder la lune.
Matsuo Bashõ (1644-1695 ) dit Bashō
Rien ne dit
Dans le chant de la cigale
Qu’elle est près de sa fin.
Matsuo Bashõ (1644-1695 ) dit Bashō
Un vieil étang
Une grenouille qui plonge,
Le bruit de l'eau.
Matsuo Bashõ (1644-1695 ) dit Bashō
Pour celui qui part
Pour celui qui reste -
Deux automnes.
Buson Yosa (1716-1783) dit Buson
Sous la brise d'automne
ces fleurs rouges
qu'elle aurait tant aimé arracher
Issa Kobayashi (1763-1828)
Rosée que ce monde
Rosée que ce monde-ci
Oui, sans doute et pourtant
Issa Kobayashi (1763-1828)
Une carpe saute -
Des rides
À la lune d'automne.
Shiki Masaoka (1867-1902) dit Shiki
L’éclat d’un ciel bleu
Et le goût de tes lèvres
Tracent mon chemin.
Inconnu (contemporain)
L'effet haïku, Points- Seuil
Un haïku chaque jour, Points- Seuil
Prochain atelier : 18-19 Janvier 2020. Pour s'inscrire à l'école Les Mots, cliquer sur ce lien
>Visionner une Conférence Tex donnée par Pascale Senk sur l'art du haïku
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