Il était flamboyant, provocateur, élégant, écorché vif… Sous ses airs de dandy dilettante, Paul Marchand était en réalité l’un des reporters de guerre parmi les plus courageux. Devenu par la suite écrivain, il a impressionné par la pureté de son style, transcendant la violence de ses sujets. L’adaptation au cinéma de son ouvrage Sympathie pour le diable (Stock) par Guillaume de Fontenay avec Niels Schneider dans le rôle titre, est l’occasion de redécouvrir une œuvre remarquable, qui interroge la folie des hommes, les frontières du bien et du mal et le sens du témoignage journalistique. Hommage.
Il avait écrit à l'arrière de sa Ford Sierra en plein siège de Sarajevo entre 1992 et 1993 : «Don’t waste your bullets, I am immortal.» (Ne gaspillez pas vos balles, je suis immortel). Du haut de son 1,95 m, avec son chapeau de paille ou son bonnet de laine, ses lunettes rectangulaires et ses cigares cubains, sa célèbre silhouette flottait au cœur des conflits les plus meurtriers (Liban, Bosnie..). « Un journaliste se doit d’être à l’endroit exact où on lui interdit d’être. » écrivait-il. Franchir les interdits, Paul Marchand n'a jamais cessé de le faire.
Sous ses airs de dandy dilettante, Paul Marchand était en réalité un reporter de guerre, parmi les plus courageux, cherchant intensément à traquer la vérité derrière l'horreur de ce qu'il voyait. Sa vie n'a jamais ressemblé à un champ de roses, mais plutôt à un champ de mines. Dès l'enfance, la violence lui tourna autour, en une danse macabre qui ne s'arrêta jamais. Comme journaliste, Paul Marchand choisit le terrain de la guerre, exigeant jusqu’à l’extrême, trompe la mort au-delà de la raison. En 1993, un tir de sniper le blesse gravement à son bras droit, dont il perdra en partie l’usage, l'obligeant à quitter prématurément le théâtre des opérations bosniaques.
Devenu écrivain, Paul Marchand puise alors dans ses expériences de conflits, des récits trempés dans le sang de la vie et de la mort. Son premier livre, Sympathie pour le diable est arrivé sur la scène littéraire comme un coup de massue. Pas de concession. Pas d'omission. Le diable apparaît sous ses différents visages dont l'ombre cache parfois la beauté d'un espoir. Le titre peut se comprendre de plusieurs manières. Car au Québec où Paul Marchand avait vécu, Mes sympathies signifient Mes condoléances. Alors on peut aussi bien imaginer la mort du diable ou au contraire la complaisance avec sa personne. Ainsi va la conscience en période de guerre. Le diable ou le bon Dieu.
Trois autres livres suivront: Ceux qui vont mourir, J'abandonne aux chiens l'exploit de nous juger, Le Paradis d'en face. Des textes au style brillant, presque glaçants de beauté, ayant toujours pour thèmes la guerre, la théâtralisation des conflits, la peur, le bien et le mal, le lieu de l'humain...
Guillaume de Fontenay avait tout de suite pensé à une adaptation théâtrale ou cinématographique de Sympathie pour le diable. Paul Marchand en aimait l'idée et travailla avec lui sur un scénario. Quatorze ans seront nécessaires pour que le film voit le jour - la difficulté du montage financier et du tournage à Sarajevo. Las d'attendre une reconnaissance qui tardait tant à venir, Paul Marchand se donna la mort en 2009.
Le film sort dix ans après ce tragique événement. Il restitue avec une grande fidélité la violence du propos et l'interrogation du journaliste sur son métier. A quoi bon montrer les atrocités si cela ne change rien ? A quoi bon dénoncer, si aucune action n'en découle, à part celle de nourrir la bonne conscience des indignations de salon ? Niels Schneider porte sur ses épaules un rôle qui aurait pu l'engloutir. Il réussit à s'approcher de son inspirateur sans pour autant chercher à le pasticher. Ce film mérite d'être vu, car il porte un regard sans complaisance sur les limites du reportage de guerre et la répétition des horreurs dans les conflits contemporains. Thèmes qui résonnent fortement aujourd'hui, face à la surmultiplication des images et leur manipulation.
Paul Marchand aurait aimé ce film. Il y aurait sûrement retrouvé cette vérité qui transcende le sujet de la guerre, tel qu'il l'avait souhaité dans son livre. Tous ceux qui ont côtoyé le journaliste ont été impressionnés par lui. Tous ceux qui ont lu ses livres l'ont découvert dans toute sa dimension, de colère magnifiée et de pureté désenchantée. Nous ne pouvons qu'encourager ceux qui ne l'ont pas encore fait à découvrir ces textes qui méritent de figurer parmi les plus belles pages de l'indicible.
J'ai eu la chance de rencontrer Paul Marchand et de connaître les deux personnages - le journaliste et l'écrivain. Lorsque ce prince d'un royaume en ruines a décidé de quitter notre monde, une poignée de fidèles a assisté à sa crémation au crematorium du Père Lachaise et à son inhumation au cimetière de Montmartre. Il faisait une belle journée ensoleillée de printemps parisien. Sa fille trônait comme un ange au milieu de la triste assemblée. Paix et silence entre les tombes. Aussi blonde qu'il était brun, cette petite fille portait sur elle le reflet du "paradis d'en face" que son papa avait rejoint. Paul Marchand avait raison de dire qu'il était immortel. Son écriture à la puissance intacte lui a ouvert les portes de l'éternité.
A lire :
A voir :
Exrait du film Sympathie pour le diable de Guillaume de Fontenay avec Niels Schneider, Vincent Rottiers et Ella Rumpf, adapté du livre éponyme de Paul Marchand et multi-primé au Festival international du film de Saint Jean de Luz.
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