Critique Libre

La diplomatie en couleur

Le deuxième et dernier tome de Quai d’Orsay est sorti tout récemment, nous entraînant de nouveau dans les aventures diplomatiques d’Arthur Vlaminck, chargé de rédiger des discours percutants pour Alexandre Taillard de Vorms, un ministre des Affaires étrangères qui ne manque pas de ressources et de punch. Ces deux albums veulent avant tout parodier l’expérience d’Abel Lanzac, scénariste de la BD, en poste au ministère des Affaires étrangères alors que Dominique de Villepin y était en fonction. Le talent de Christophe Blain, le dessinateur, met également en scène, dans le deuxième album, les homologues crayonnés de Colin Powell, George W. Bush, Chirac ou encore Berlusconi… Tout le gratin de la politique française et étrangère qui se réunit pour nous faire sourire. Et VLOOONNNNNN !

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Bienvenu au ministère, on a besoin de vous à bord.

Quai d’Orsay, c’est avant tout une belle aventure humaine, l’histoire d’une rencontre, celle d’Abel Lanzac et de Christophe Blain. Lanzac a travaillé dans plusieurs cabinets ministériels, se passionne pour le cinéma et la littérature, et rêve de restituer son expérience en images. Blain, quant à lui, dessine depuis toujours mais hésite longtemps à se lancer complètement dans le monde de la BD qu’il trouve inaccessible. Après s’être retrouvé successivement en fac de droit, aux beaux-arts, puis comme matelot au sein de la Marine nationale, il revient avec Carnet d’un matelot, qui marque son entrée dans la profession.

C’est leur amitié qui déclenche tout : Lanzac parodie et mime avec brio sa vie au ministère, Blain en rit, des idées naissent… et le cheval est lancé. On se retrouve alors dans une aventure assez loufoque avec un ministre des Affaires étrangères presque divinisé, un peu fou et totalement hyperactif, mais humain quand même. Fin lecteur, il tient son inspiration d’Héraclite et de Démocrite et aime à en mettre une bonne louche dans tous ses discours. Une petite touche de vulgarité pour épicer le tout, un rythme effréné et on se retrouve avec un Taillard de Vorms hilarant qui mène le ministère au doigt et l’oeil, tel un ouragan diplomatique. Pour l’accompagner, sa horde de conseillers, un pour chaque région du monde, Arthur Vlaminck pour les discours, et le lecteur est fin prêt à vivre une désopilante schizophrénie collective ou chacun passe tour à tour par la fascination, le rejet, la perplexité et l’hystérie. Au cœur de la tempête, le Lousdem, l’Oubanga, deux des pays qui donnent du fil à retordre, la menace terroriste, le Conseil de sécurité de l'ONU, Genève et les bébés poissons en Europe. Un cocktail détonnant pour une épopée rafraîchissante dans laquelle se poignarder dans le dos revient à prouver son amour à son collègue. Et on en redemande.
Le lecteur se laisse porter au gré des deux albums qui se complètent, se croisent et s’unissent en une fin qui arrive, cependant, un peu trop brusquement. Blain lors d’une interview rapporte avoir supprimé certains gags, y compris un épilogue d’une vingtaine de pages ayant lieu en Amérique latine. Dommage, on serait bien partis avec le cabinet.

Real or not so real ?

Le choix délibéré des deux auteurs de « coller » à la réalité pour refléter le plus précisément possible l’ambiance vécue par Lanzac lors de son séjour au ministère des Affaires étrangères intrigue et amuse. Quelle délectation d’imaginer Dominique de Villepin se ruer dans les couloirs sans prévenir dans un vrombissement de fusée au décollage, puis s’agiter frénétiquement et balancer, l’air profond, de grandes phrases tirées d’ouvrages philosophiques, ponctuées d’expressions argotiques savamment choisies.

On a bien envie de succomber à la tentation de consulter Internet et chercher les noms des personnes en poste au ministère à l’époque, tellement les rictus et la répartie de leurs avatars en 2D séduisent. Blain explique que dans le but de simplifier la BD, certains personnages sont en fait un mélange de plusieurs conseillers. Par ailleurs, il en qualifie d’autres de « chimiquement purs », ou représentant une seule et même personne… Et finalement, on les reconnaît ces personnages authentiques : le directeur de cabinet ou encore le conseiller Afrique du Nord – Moyen-Orient, sans oublier Vlaminck et Taillard… Ils donnent toute leur richesse aux deux tomes. L’envie de synthétiser la trame est bien compréhensible ; adapter le monde de la diplomatie, à la fois complexe et technique, à la bande dessinée est un exercice difficile et ardu, le but étant de rendre l’histoire accessible à tout le monde.

Même si on apprécie la volonté de Blain et Lanzac d’entrer un peu plus dans le vif du sujet dans le deuxième volet des Chroniques (retour sur la polémique des armes de destruction massive en Irak et le veto de la France quant à l’intervention armée des Etats-Unis), le désir d’alléger les scènes prive parfois les deux albums de la consistance à laquelle on s’attend. Et du coup, la réalité reste assez floue… Cependant, côté relationnel, les tribulations de l’équipe de diplomates témoignent d’une savoureuse caricature qui sent véritablement le vécu. On salue les efforts (et la complicité) de Blain et Lanzac planchant ensemble sur leurs storyboards afin de rendre Quai d’Orsay appétissant et… très agréable à digérer !

Un troisième tome aurait été un dessert alléchant, et on reste un peu sur sa faim. Mais réjouissons-nous : ils sont actuellement en train de travailler sur un projet de film adaptant leurs Chroniques diplomatiques au grand écran.

En savoir plus

Abel Lanzac, Christophe Blain, Quai D'Orsay  - Tomes 1 & 2, Dargaud

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