Depuis qu'Outre- Manche, les héritiers d'Agatha Christie ont souhaité voir réécrits les passages d'œuvres de la reine du crime jugés offensants, la polémique fait rage. Les héritiers de Roald Dahl ont emboîté le pas à cette vague révisionniste. Tous les livres vont-ils devoir subir le même sort ? Daniel Sarfati y répond avec humour, non sans cacher l'inquiétante absurdité de ces remises en question à l'infini.
Réécrire les œuvres en supprimant tout ce qui pourrait être offensant.
Cette question me taraude pour ma postérité.
Mon œuvre est jusqu’à aujourd’hui assez mince, et je n’ai toujours pas reçu de proposition de Gallimard pour éditer mes modestes chroniques matinales dans la Pléiade.
Heureusement.
Si je me relis, je constate que j’ai souvent dérapé.
La betterave, par exemple, pour laquelle j’ai une profonde aversion sous toutes ses formes.
Je l’ai beaucoup dénigrée.
J’ai beau dire que j’ai connu des betteraves sympathiques, cuisinées avec goût dans certains restaurants étoilés et que toutes les betteraves ne sont pas à rejeter.
Je resterai catalogué comme un anti-betteraves et mon œuvre posthume risque d’être expurgée de moments cruciaux de ma vie et de certains de mes traumatismes d’enfance.
Comme cette après-midi entière en colo, que j’ai dû passer devant un plat de betteraves avec interdiction absolue d’aller jouer avec mes camarades tant que je ne les avais pas mangées.
Mon œuvre n’aura aucun sens, débarrassée de son hostilité contre les légumes racines ( le topinambour fait aussi partie de mes détestations ).
…
On a beaucoup dit, et ça n’est pas tout à fait faux, que les romans d’Agatha Christie comportaient parfois des stéréotypes antisémites.
Ça n’est pas du Céline ni du Rebatet, mais le personnage juif est souvent cupide et ses cheveux huileux.
Et voilà que je tombe sur ce passage dans « La mystérieuse affaire de Styles », son premier roman, que je relis avec délice.
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Mary Cavendish vient d’annoncer à son mari John qu’elle le quitte. Il soupçonne le Dr Bauerstein, un éminent toxicologue, d’être son amant :
« _ Mary, je ne le supporterais pas ! J’en ai assez de voir cet individu rôder autour de vous. C’est du reste, un juif polonais.
_ Une goutte de sang juif n’est pas une mauvaise chose. Cela allège la stupidité de l’Anglais ordinaire ! » répliqua -t’elle.
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Le propos est carrément offensant pour l’Anglais ordinaire et d‘un parti pris sioniste.
Les partisans de Jeremy Corbyn, au Parti Travailliste vont, sans doute, demander sa réécriture.
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Daniel Sarfati est médecin ORL, passionné par le langage, par les signes, la lecture des mots qui s’écrivent, se lisent sur une page ou sur des lèvres, les histoires qui se vivent ou qui s’inventent.