Sylvie Germain donne voix à tous les confinés qui n’ont guère eu à qui parler durant les longues heures du confinement. Avec ses Brèves de solitude (Albin Michel), cette romancière de grand talent, lauréate du Femina en 1989, restaure une humanité mise en sourdine par les contraintes sanitaires.
C’est une galerie de personnages que l’on suit à travers les méandres du confinement. Entre grâce et violence. Tous différents, dans leur passé, leur parcours, leurs attentes, dans leur résistance à la solitude imposée par les mesures sanitaires au printemps dernier. Tous confinés à la même enseigne.
Le talent de romancière de Sylvie Germain, tout en subtilité, de finesse d’observation et de richesse sémantique, n’est plus à prouver. Elle a été lauréate du Prix Femina en 1989 pour Jours de colère, du Grand Prix Jean Giono en 1998 pour Tobie des Marais et du Prix Goncourt des lycéens en 2005 pour le bouleversant Magnus, consacré au destin d’un enfant projeté dans l’enfer de la Seconde Guerre mondiale.
En habile narratrice, Sylvie Germain a choisi un ressort efficace pour nouer ce récit à la fois émouvant et rassérénant. Elle met en scène mille et un petits destins de confinés. Jouant sur notre curiosité de prisonniers d’occasion, elle répond ainsi à la grande question que nous nous sommes sans doute tous posé : « Mais comment font les autres ? ». Privés de sociabilité, de miroir réfléchissant, des discussions qui libèrent le cœur et relient les âmes, le talent de la romancière est de rendre à ses lecteurs ce lien mis à mal par un isolement qui tire en longueur. Elle pointe avec tout autant de lucidité l’humanité et la part d’humanité qui gisent au cœur de nos petites pensées.
La série télévisée En thérapie le montre chaque semaine, les Français ont besoin de se confier d’une part. Et d’ être entendus, compris d’autre part. Les enquêtes des Petits Frères des Pauvres l’ont montré aussi, les personnes âgées les plus vulnérables ont particulièrement souffert ne pas pouvoir se confier. Cela les aurait aidées de pouvoir partager leur souffrance morale avec une personne de confiance.
Par le détour de la fiction, Sylvie Germain restaure ce lien d’écoute et d’empathie. Elle braque la lumière sur les pensées de ses contemporains, une veuve aux vêtements bariolés, une mère fantasque entre deux âges qui savoure l’existence après une période de maladie, un jeune garçon qui se réfugie dans sa tente avec ses peluches pendant que sa maman travaille à l’hôpital à l’autre bout de la ville. Une grand-mère égarée dans un Ehpad et dans sa solitude, une ancienne esclave des réseaux de prostitutions de l’Est. Aucun de leurs rêves, de leurs peurs, de leurs angoisses, de leur mesquinerie, de leurs égarements insolites et de leur lucidité inutile, n’échappe à l’œil acéré de la romancière. Elle épingle leurs mœurs et leurs préjugés. Tels ces joggeurs « en tenue moulante, équipés de bandanas fluo et d’écouteurs sans fils lovés dans leurs oreilles comme de gros vers blancs, ils respirent l’énergie, la combativité… (…) Et tous ces gamins qui courent en tous sens, ils ne se laisseront pas mettre en cage aussi facilement ».
Sans parler des dragueurs des bacs à sable qui ne se voient pas vieillir et rajeunissent sans cesse leurs cibles pour tenter de déjouer le temps. Las… ils n’auraient pas dû croiser le regard de Sylvie Germain. « Mais eux, ces mâles sur le retour indécrottablement infatués d’eux-mêmes, ils se sont vus, avec leur crâne jachère, leurs poils hirsutes dans les narines et les oreilles, leurs pectoraux ramollis, leur peau qui se fait flasque, leurs ventres qui se plissent et leurs fesses qui s’aplatissent, leurs couilles qui se fripent comme des goussets en cuir recuit et leurs érections défaillantes ? (…) Elle, elle prend les gens comme ils sont, peu importe leur apparence physique et leurs performances sexuelles pourvu qu’il y ait quelqu’un dans leur corps, quelqu’un de sympathique, à la fois joueur et réfléchi, et si possible doté d’humour ». Et de comparer le romantisme à la mayonnaise que l’on se plaît à faire monter, et qui tourne vite à l’aigre.
Sylvie Germain a le sens des images. Une écriture visuelle, minutieuse et délicate, toute en contraste, qui rend chacun de ses livres poétiques. La variation des points de vue est un autre ressort du récit. Qui reflète une manière tour à tour indulgente et piquante de voir l’humanité. Le regard de la romancière reflète ses grandeurs et ses travers dans ces tranches de vie hautes en couleur.
Que faisait ce jeune homme affamé, égaré sur un banc dans ce square qui est devenu la scène centrale de nos vies sociales le temps de quelques semaines ? « Pourquoi lui a-t-il eu la vie sauve et pas les autres ? Mais est-elle si sauve que ça, sa vie réduite à une continuelle tentative de survie ? (…) Ce qui est sûr, c’est que tomber aux mains des hommes est le pire fléau qui puisse frapper quiconque est sans défense ». Sylvie Germain met en scène ses anti-héros dans cette galerie de portraits qui offre une mise en perspective salutaire à nos existences confinées, à ses égoïsmes rabougris et ses moments de courage et de générosité.
C’est un petit théâtre humain fait de monologues intérieurs tour à tour vachards et tendres, de réflexions profondes, de bonnes ententes, et de mauvaises, que monte Sylvie Germain pour ses lecteurs. «La pensée bée dans le vide, lequel se déploie pour certains en lumière, en splendeur, pour d’autres s’étale en ténèbres, se fait raptus d’effroi (…) La pyramide des pensées ne repose pas sur sol stable mais flotte sur un gouffre (…)».
Elle porte une attention humaine à ses personnages. Par son talent de plume hors norme, l’auteure rend à notre vie intérieure la place qu’elle mérite. Et à l’humanité son nom trop longtemps piétiné sous couvert de sécurité. Il en faudra d’autres des livres comme celui-là pour ne pas égarer notre humanité en chemin…
>Brèves de solitude, de Sylvie Germain. Albin Michel, 224 pages, 18,90 euros
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