Dans une langue virtuose et imagée, le primo-romancier américain Ocean Vuong évoque les stigmates de la guerre du Viêt-Nam dans le cœur d’une femme. Un combat qui s’insinue chaque jour un peu plus dans une relation mère-fils passionnelle, elle, vietnamienne analphabète, manucure dans un salon aux Etats-Unis, lui dont le père était américain, fruit des stigmates de la guerre, au croisement de deux mémoires. En filigrane, une éducation sentimentale homosexuelle offre au narrateur une planche de salut. Conventionnel ?
Elle ne lira jamais ces lettres qu'il lui écrit. Car elle est analphabète, vietnamienne émigrée aux Etats-Unis. Lui son fils né d'une union avec un américain, entre deux rives, deux mondes, entre la guetre et la paix.
Le jeune primo-romancier américain Ocean Vuong a le sens des images. C’est un plaisir de lecture essentiel. Le sujet de ce Bref instant de splendeur, dramatique, puissant, est porté par cette langue sensuelle. « J’ai bu tellement de lait froid que ma langue engourdie n’en sentait plus le goût. Tous les matins suivants, nous avons répété de rituel : l’épais ruban blanc du lait versé, moi qui le buvais à grandes gorgées, m’assurant que tu étais témoin, et notre espoir à tous les deux de voir un garçon jaune prendre de la valeur grâce à la blancheur qui disparaissait en moi ».
Il y a peut-être dans le rythme de ces évocations qui émaillent le récit quelque chose de métronomique qui évoque une méthode. Sans doute les ateliers d’écriture, formation incontournable pour les romanciers américains.
Il en résulte un récit efficace, virtuose. Mais aussi le sentiment d’une émotion quelque peu fabriqué. Un roman brillant, vaguement ripoliné. « J’ai vingt-huit ans, je fais 1,63 m, 51 kg. Je suis beau vu sous trois angles exactement. Je t’écris de l’intérieur d’un corps qui autrefois t’appartenait. Autrement dit, je t’écris en tant que fils ». Le sujet aussi, une éducation sentimentale homosexuelle, serait presque devenu un peu convenu. Un topos de la production romanesque contemporaine ?
L’aspect le plus émouvant de ce premier roman est la mise en scène des stigmates de la guerre du Viêt-Nam dans le cœur d’une jeune femme. Et les répercussions violentes de ses souffrances et de ses angoisses sur sa relation mère-fils. « J’ai lu que les parents qui souffrent du syndrome de stress post-traumatique sont plus susceptibles de frapper leurs enfants. Peut-être y a-t-il une origine monstrueuse à cela, en fin de compte. Peut-être que lever la main sur son enfant, c’est le préparer à la guerre. Affirmer qu’avoir un cœur qui bat n’est jamais aussi simple que la tâche dévolue à ce dernier : dire oui oui oui au corps ».
Rien de banal, cette fois, dans l’évocation du trio que forment Little Dog, sa génitrice et sa grand-mère, Lan. La volonté de survie qui anime ces deux femmes forme la trame de ce Bref instant de splendeur. Leur histoire qui plonge ses racines dans une ville en état d’alerte, entre prostitution et amour de GI. De ces souvenirs à la fois sensuels et douloureux émane un charme capiteux. Une violence entêtante.
Car les lecteurs aiment la guerre. Il ne faut pas se le cacher. C’est ce que rappelle très lucidement le scénariste Robert McKeen dans son manuel de Screenwriting Story. Et le conflit n’en est que plus dramatique, donc captivant, que quand il trouve des prolongements sur le terrain intime.
Les rapports d’humiliation dans une société obsédée par la réussite matérielle et sociale sont un autre sujet qu’Ocean Vuong traite brillamment. Un avatar de ce capitalisme-roi de plus en plus souvent indissociable d’une volonté perverse de rabaisser l’autre pour se rassurer sur sa propre puissance. Se bâtir un lustre en carton-pâte. « Au salon de manucure, désolée est un outil qu’on utilisé pour brosser dans le sens du poil jusqu’à ce que le mot lui-même se change en monnaie. Il ne représente plus uniquement une excuse, il insiste, il rappelle : Je suis là, juste là, en dessous de vous. Il s’agit de se rabaisser de sorte que la cliente se sente dans son bon droit, supérieure, et charitable. Au salon de manucure, la définition qu’on peut avoir de désolée se brouille pour créer un mot totalement nouveau, un mot qu’on charge et qu’on réutilise pour exprimer simultanément le pouvoir et l’avilissement ».
Le talent de cette jeune révélation ce sont ces épiphanies au milieu d’une vie en forme de champ de bataille. « Je m’étais réveillé brutalement et, encore ahuri par le sommeil, j’avais pris la lumière de l’aube qui frappait les pétales pour la luminescence émise par les fleurs elles-mêmes. Je me suis traîné vers les calices rougeoyants, croyant voir un miracle, mon buisson ardent à moi. Mais comme je m’approchais, ma tête a fait obstacle aux rayons et les tulipes sont éteintes. Ça non plus ça ne veut rien dire. Mais il y a des petits riens qui changent tout après eux ».
Ces images ont la forme de l’espoir. «Oui, il y a eu une guerre. Oui, nous sommes venus de son épicentre. Dans cette guerre, une femme s’est offert un nouveau nom – Lan -, a revendiqué sa beauté, puis a fait de cette beauté une chose qui vaille la peine d’être conservée. De là, une fille est née, et de cette fille, un fils. Depuis tout ce temps, je me disais que nous étions nés de la guerre – mais je me trompais, Maman. Nous sommes nés de la beauté (…) cette violence a beau avoir traversé le fruit, elle n’a pas réussi à le gâter».
Comme souvent, le rêve américain en prend un coup. Mais pour bien rêver, quoi de mieux qu’une imagination fertile au service d’un roman bien troussé ? C’est ce qu’offre ici Ocean Vuong. En réparation des souffrances vécues dans son enfance et par les générations précédentes.
>Un bref instant de splendeur, d’Ocean Vuong. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marguerite Capelle. Gallimard, 288 pages, 22 euros.
Ocean Vuong nous présente son livre en vidéo.
>Réalisation Gallimard.
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