Cédant à la mode orientaliste, Gérard de Nerval écrit son Voyage en Orient, paru en 1851, dans lequel il fait part de l’expérience sensible de son expédition. Et nous entraîne dans son périple...
De Lamartine à Théophile Gautier, en passant par Eugène Delacroix et Auguste Renoir, les artistes français mettent à l’honneur la tradition du voyage vers les pays orientaux.Gérad de Nerval cède à cette mode. Lorsqu’il débute son périple, Gérard de Nerval a dans l’idée, de montrer à tous ceux qui l’accusent de folie, qu’il est guéri – car il est déjà victime de troubles mentaux dans les années qui ont précédé son voyage. Aussi part-il surtout dans l’espoir de concrétiser ses idéaux, vus et lus en littérature. Il est déterminé à retrouver le berceau des religions monothéistes, et peut-être à trouver la femme idéale, quête proche du mythe isiaque qui n’a de cesse de passionner les écrivains. Nerval part, en réalité, avec un projet complexe, quasi-mystique.
Or qu’il ait traversé Vienne, le Caire, Beyrouth ou Constantinople, Nerval reste déçu par ce qu’il rencontre, ne trouvant jamais de réponse à la hauteur de ses attentes initiales. Pour compenser cette réalité illusoire, Gérard compense sa déception avec la richesse de son imagination. Rêveries, mythes et fantasmes inondent en effet un récit travaillé et retravaillé, ce qui donne une œuvre composite passionnante, notamment par les formes variées auxquelles elle a recours. Cela explique notamment la présence de deux contes qui achèvent l’œuvre nervalienne, et c’est sur l’un d’entre eux que nous allons nous pencher aujourd’hui. Nous sommes à Constantinople, dans un café. Il fait nuit. Nerval est entouré d’une « assemblée » et un conteur s’apprête à raconter l’Histoire de la reine du Matin et de Soliman prince des génies.
Adoniram en est le héros. Serviteur du roi Soliman, prince des génies, architecte et ouvrier de génie, c’est un personnage misanthrope, mystérieux et intriguant. Nul ne connaît ses origines. La jeune Balkis, reine de Saba, dont le projet est d’épouser Soliman, est immédiatement impressionnée par les prodiges d’Adoniram, qui d’ailleurs est charmé par la beauté de la jeune femme. Mais son projet qu’il appelle déjà son « chef-d’œuvre », « la mer d’airain » ou mer de cuivre, échoue suite au complot de trois ouvriers.
Dans un moment de désespoir, Adoniram est soudain sujet à une apparition. Il rencontre son ancêtre Tubal-Kaïn qui lui révèle sa descendance : il appartient à la lignée des esprits du feu. Il le conduit au « centre de la terre » et lui apprend qu’une malédiction pèse sur son ascendance. Grâce au marteau précieux que lui offre son aïeul, Adoniram achève enfin son œuvre et triomphe avant d’être assassiné sur ordre du roi. Fou de jalousie lorsqu’il prît conscience de l’amour réciproque entre Balkis et Adoniram, Soliman ordonna le meurtre de l’artiste. En découle ainsi le récit de la mort d’Adoniram et du rituel franc-maçon qui tourne autour de ce personnage (qu’il serait trop complexe d’étudier en quelques lignes…).
Revenons sur son voyage dans le « monde souterrain », moment où le récit est à son comble. L’apparition de Tubal-Kaïn constitue le moment d’une descente aux Enfers pour le héros, à l’image d’Ulysse qui, dans le monde d’Hadès est à l’acmé de sa quête initiatique. Entre rêve et réalité, ce passage semble être un songe. Le narrateur souligne ainsi que « plus ils s’avançaient dans la profonde région du silence et de la nuit, plus Adoniram doutait de lui-même et de la réalité de ses impressions ». Nerval commente d’ailleurs dans une note que « l’Orient en est encore là ». Or si le narrateur se met à distance en rappelant l’autorité orientale du récit, la poésie témoigne de la l’implication de l’auteur. Passage merveilleux, et poétique, Nerval est bel et bien l’auteur de ce récit.
Le monde dans lequel le narrateur plonge le lecteur est merveilleux. La prose ne peut qu’embellir le récit du conteur et émerveiller le lecteur. Le passage suivant le montre bien : « il revit autour d’eux, accroupis, les cynocéphales, les lions ailés, les griffons, les sphinx souriants et mystérieux, espèces condamnées, balayées par le déluge et immortalisés par la mémoire des hommes ». La simple allitération en [s] de cette phrase susurre, telle une berceuse, la douceur du monde dans lequel il se trouve, d’autant plus que la frontière entre le rêve et la réalité n’est pas claire ; pour le personnage d’une part, pour le narrateur d’autre part (n’oublions pas que l’histoire est contée de nuit, et que la veillée dure plusieurs heures).
Nous sommes donc dans un monde de la sensation, celui de Nerval qui, par un passage prosaïque et merveilleux vient compenser la brutalité d’une réalité qui ne lui convient pas et qui l’angoisse. Le passage par ce monde souterrain transforme l’artiste, et peut-être console le personnage-narrateur. Auparavant misanthrope et glacial, Adoniram pleure lorsque Tubal-Kaïn part. Grâce à cette descente dans les entrailles du monde et à l’outil miraculeux légué par son ancêtre, Adoniram accomplira enfin son projet. Le conte, par le registre merveilleux, offre ainsi au voyageur déçu qu’est Gérard de Nerval, la possibilité de compenser la déception de son voyage. Le rêve pallie la réalité.
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