«A cette époque, j'étais fou», c’est ainsi que commence le dernier livre de Yannick Haenel Tiens ferme ta couronne (Gallimard). Une nouvelle fois le lecteur retrouve Jean Deichel, protagoniste récurrent de l'œuvre de Yannick Haenel, en allant d’«Introduction à la mort française» jusqu’aux «Renards pâles». Cette fois le double littéraire part à la poursuite de Michael Cimino, le cinéaste américain maudit avec pour projet de réaliser un film sur Herman Melville. Un livre qui illumine cette rentrée littéraire de sa fougue et sa fantaisie, qui reçoit le prix Médicis 2017 après avoir fait partie de la dernière sélection du Goncourt.
Un homme a écrit un énorme scénario sur la vie d’Herman Melville : The Great Melville, dont aucun producteur ne veut. Un jour, on lui procure le numéro de téléphone du grand cinéaste américain Michael Cimino, le réalisateur mythique de Voyage au bout de l'enfer et de La Porte du paradis. Une rencontre a lieu à New York : Cimino lit le manuscrit. S’ensuivent une série d’aventures rocambolesques entre le musée de la Chasse à Paris, l’île d’Ellis Island au large de New York, et un lac en Italie. On y croise Isabelle Huppert, la déesse Diane, un dalmatien nommé Sabbat, un voisin démoniaque et deux moustachues louches...il y a aussi une jolie thésarde, une concierge retorse et un très agressif maître d’hôtel sosie d’Emmanuel Macron. Quelle vérité scintille entre cinéma et littérature? Telle est la question sous-tendue par ce roman qui joue avce les idoles.
Le dernier livre de Yannick Haennel met une nouvelle fois en scène son personnage fétiche, Jean Deichel. Après Introduction à la mort française et Cercle, le narrateur vit maintenant seul dans un appartement parisien d’où il va bientôt se faire expulser. Seul un projet lui tient à cœur, réaliser son film « The Great Melville ». Un scénario de 700 pages sur la vie et l'œuvre d'Herman Melville, le père de la baleine blanche, Moby Dick, est déjà prêt et l’auteur n’attend plus qu’une chose : que Michael Cimino en fasse une œuvre phare.
Dans ce livre les fans de littérature et du 7e art seront comblés. L’œuvre pourrait être comparable à une source encyclopédique, tant les informations sont riches et détaillées. Le cinéma est mis en avant à travers des figures emblématiques de la réalisation, telles que Michael Cimino, Francis Ford Coppola ou encore Jean-Luc Godard. Les acteurs ne sont pas pour autant en reste puisque le narrateur évoque Robert de Niro, Marlon Brando et également l'actrice Isabelle Huppert, qu’il va rencontrer au restaurant Bofinger près de la Bastille. Ici le cinéma se lie avec la littérature et de nombreuses références littéraires émergent de l’œuvre avec des noms comme Ovide et William Shakespeare ou encore l'écrivain et poète juif américain, Charles Reznikoff. Une réflexion nait de cette association entre cinéma et littérature, sur ce qu’est un écrivain et ce qu’il doit être. En effet Jean Deichel est un écrivain qui a conçu un scénario. Ses amis voient ce revirement comme un suicide littéraire pour un écrivain, écrire un scénario serait une forme de rabaissement. Une question se pose, est ce que les mots ont plus de noblesse dans un livre que dans un scénario ?
L’histoire de « Tiens ferme ta couronne » gravite autour de ce scénario peu crédible, voir incontournable, qui ne peut être réalisé uniquement que par celui qui a saboté la réalisation de « La Porte du paradis ». Il faut avouer que l’idée parait étrange voir même stupide. Or lorsque le narrateur lui-même n’y croit plus et qu’une lueur d’espoir apparait enfin le lecteur s’aperçoit que finalement la question principale n’est pas de savoir si le film va se faire ou non. Notre narrateur se laisse flotter dans une dérive associée peut être à l’alcool, au syndrome de la page blanche ou encore à un début de folie. Ce livre évoque l'impuissance de l'écrivain à saisir et à exprimer la quintessence de son art. Cette impuissance, Jean Deichel tente de la conjurer par des excès (excès d'alcool ou excès de démence). Ce sentiment est également partagé avec son maitre cinéaste Cimio, qui excelle dans l’excès de provocation. Notre personnage cherche une forme de vérité, obsédé par une phrase de Melville entêtante : « En ce monde de mensonges, la vérité est forcée de fuir dans les bois comme un daim blanc effarouché. » Il tente alors de trouver sa place en tant qu’Homme et en tant qu’écrivain dans un monde qui lui apparait comme effrayant.
Yannick Haennel nous embarque dans son texte grâce à un récit vivant, réaliste mais également poétique. Dès le début le lecteur comprend qu’il ne s’ennuiera pas et qu’il ne refermera pas son livre de sitôt. Les évènements se succèdent et sont très agréables, notamment grâce à l’écriture très recherchée. Bien que l’histoire ne soit pas spécialement drôle l’auteur parvient à insérer dans le récit des scènes amusantes et divertissantes comme par exemple l’arrivée du narrateur et de son chien au restaurant accueillis par le maître d'hôtel, sosie d’Emmanuel Macron ou encore la première rencontre avec le réalisateur Cimino que Jean Deichel ne reconnaît pas puisqu'il le prend pour une femme. Cette œuvre est un roman initiatique, dont l’histoire originale n’est qu’un prétexte. Il faut voir cette œuvre comme une philosophie de vie, une quête identitaire. L’auteur évoque la vie et ces passages à vide où tout être humain erre à travers des questions existentielles. Alors laissez-vous intriguer par cette œuvre qui cache un double fond.
« J’aime que mes journées soient complètement vides. Même si je ne fais rien, il faut qu’elles restent à disposition ; il faut que le matin, l’après-midi, le soir restent ouverts. Lorsque j’ai un rendez-vous, le désir d’annuler devient d’heure en heure irrésistible ; car alors la journée entière tend vers ce point qui la comprime, les angles se resserrent ; il n’est plus possible de penser à autre chose, on n’a plus de solitude, on étouffe. »
« J’ai dit qu’à l’époque j’étais fou -disons que j’étais possédé : les noms, les livres, les phrases, les films n’arrêtaient pas de vivre à l’intérieur de ma tête, ils se donnaient des rendez-vous pour former entre eux des extases, sans même que je puisse les séparer. J’étais littéralement habité par ce flux de noms, de phrases, de titres de livres et de films dont la circulation s’était progressivement substituée à mon souffle et à mes nerfs. […]
Chaque nom en allumait un autre, ça ne finissait jamais : je passais mes journées à me réciter des listes, des bouts de phrases, des citations, et tout se mettait en rapport et s’ouvrait démesurément, comme une terre sans limites, avec des flammes de bonheur qui s’arrachent au monde éteint.
On peut considérer, bien sûr, que j’étais malade, mais cette vie des noms dont j’étais chargé me rendait étrangement plus léger, comme si, à chaque instant, le daim blanc de Melville m’apparaissait. »
Né à Rennes en 1967 Yannick Haennel est fils de militaire, il fait ses études au Prytanée national militaire de La Flèche. À partir de 1997, il codirige la revue Ligne de risque avec l’écrivain François Meyronnis. Il enseigne le français dans un lycée de Versailles jusqu’en 2005. Il a publié plusieurs romans, dont Introduction à la mort française et Évoluer parmi les avalanches, ainsi qu’un essai sur les tapisseries de La Dame à la licorne : À mon seul désir. Il a co-écrit deux volumes d’entretiens avec Philippe Sollers: Ligne de risque et Poker. En 2007, Yannick Haenel a publié dans la collection L'infini, dirigée par Philippe Sollers, Cercle (éd. Gallimard), roman qui a reçu le prix Décembre et le prix Roger Nimier. De 2008 à 2009 il sera pensionnaire à l'Académie de France à Rome - Villa Médicis. En 2009, il reçoit le prix Interallié et le prix du roman Fnac pour Jan Karski, dont une partie est inspirée du film Shoah de Claude Lanzmann. Yannick Haenel est également chroniqueur pour le magazine de littérature et de cinéma Transfuge depuis 2010 et à Charlie Hebdo depuis la reprise de la publication après les attentats de janvier 2015
>Visionner une interview de Yannick Haennel à propos de son livre ( réalisation Librairie La Galerne du Havre) :
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