Avis de Annabelle L sur L'Insoutenable légèreté de l'être

4 morceaux de vie qui s'entrecroisent sur un fond historique et qui sont autant de prétextes à la réflexion philosophique. 4 personnages singuliers, Tereza, Sabina, Tomas et Franz dont les névroses issues de l'enfance sont antithétiques et dans lesquels chacun de nous pouvons nous reconnaître. 4 conceptions de l'amour qui sont soit incompatibles, ce qui rend la relation vouée à l'échec, soit complémentaires, les lacunes de l'un étant complétées par l'autre. L'une est effrayée de l'amour et du conformisme et en constante rupture, trahison dès lors que sa vie entre dans un semblant de banalité, l'autre s'adonne toute entière à l'amour jusqu'à en perdre sa dignité, l'un pousse à l'extrême la dualité de l'âme et le corps, l'amour et le désir jusqu'à faire souffrir l'être aimé et être rongé de culpabilités, et enfin le dernier est un conformiste infidèle, c'est-à-dire qu'il essaye de ne pas faire entrer l'infidélité dans son quotidien, dans ses moeurs d'homme marié et d'une certaine position sociale... Ces destins croisés nous interrogent sur la relation amoureuse, sur la fatalité qui à la fois est à la base de l'amour par la succession des hasards qui le provoque et le font perdurer, mais qui condamne aussi la relation dès sont début et la brise au moment même où elle est à son paradigme. Kundera nous rappelle que l'amour, dont la définition est propre à chaque individu (amour de l'idée d'amour, amour de petits détails de l'autre qui le rendent indispensable, amour égoïste du regard amoureux, amour circonstanciel) est souffrances et compromis, autant qu'il est indispensable au bonheur. C'est là le plus grand paradoxe amoureux. Le style de Kundera nous transporte par sa fluidité, nous fait entrer dans la vie des protagonistes avec un regard lucide sur leur réalité qu'eux-mêmes n'ont pas, grâce à l'oeil omniscient du narrateur. Avec un humour cynique, Kundera conceptualise les traits de caractères des personnages qu'il tire parfois même au ridicule mais qui les rendent d'autant plus attachants. Il nous livre un chapitre proprement philosophique où il crée son concept de kitsch qui est absolument génial. Il dépeint également toutes les absurdités de la réalité du communisme sous les démocraties populaires, par l'intermédiaire de la vie des personnages. Bref c'est un livre d'une richesse et originalité incroyable dans la manière d'appréhender les histoires d'amour, comme prétexte à la réflexion philosophique (il reprend l'ontologie éléatique de Parménide, cite Nietzsche, etc) et à la critique acerbe mais détournée du communisme d'Etat, tout en maniant l'humour et la légèreté (concept qui est d'ailleurs au coeur du roman, comme l'indique le titre).