Les Écrits

Entre cauchemars et souvenirs : la bête immonde...

 Folie ! D’allumer et nourrir les peurs porteuses de rejets, de haines et de désespérances angoissées où s’impossibilisent les projections/introjections (de soi sur l’autre, de l’autre en soi : comme «soi», comme «moi», autre ‘moi’ –semblable et différent), où s’arrête la raison, où se paralyse l’action.

Egoïsme ! De ne pas voir (parfois même de s’en sustenter, et de marcher sur…) les manques et les souffrances et les misères diverses et plurielles (sociales, culturelles, affectives, physiques…).

Et honte à ceux qui ignorent ou mésestiment ou rabaissent et culpabilisent l’autre, tous les autres : qui n’ont pas la bonne généalogie, le bon héritage, les bonnes relations. Qui n’ont pas le bon diplôme, la bonne compétence, la bonne capacité (au bon endroit, au bon moment). Qui n’ont pas le bon  âge, la bonne taille, la bonne santé, le bon accent, la bonne couleur, les bons papiers  -bonne étoile ou bon karma, question de croyances, je n’en ai pas !

Honte encore à ceux qui jettent l’opprobre et la pierre et le voile (d’occultation/d’indifférence) sur des désignés coupables devenant peu à peu des victimes sacrificielles….

A ceux qui chassent d’un battement de paupières  (de leurs yeux aveugles) la beauté et la nécessité des solidarités.

A ceux qui usent de mots (dont ils maîtrisent parfaitement le sens) recouvrant le champ de «l’assistanat» ou de la «dépendance»  (du «parasitisme» ?) en lieu et place du champ ouvert et riche, et enrichissant, de la «solidarité» qui fit le tissu social –et l’humanité. Faisant cela, ils ravivent au passage les germes infâmes de l’Ultra-Nationaliste, des ségrégations et des  stigmatisations     …explosant en heurts sanglants et en déchirures sociétales…

 

 

 

"        (…) Cauchemar ou souvenir, je ne sais plus; mais des enfants en rangs serrés s’entassent dans des wagons à bestiaux tout imprégnés de l’odeur fade de la mort.

         Plus loin, des ombres étiques, presque immatérielles, s’en vont vers nulle part sous un soleil menteur  -fuyant quelque seigneur de guerre ou quelque famine trop certaine.

         Devant, à côté, par-dessus, dans l’espace culbuté ou dans le temps accéléré, des gosses ont dans les yeux les images brûlantes des humiliations infligées aux leurs ; et jouent à la guerre, à coups de pierres, comme les tiens jouent au ballon ou à la poupée.

          Les premiers s’évanouissent dans la fumée  –joues hâves, étoile en sang...

         Les seconds se décomposent sur une terre épuisée : certains gisent, les yeux écarquillés sur un au-delà muet…

         Quant aux derniers…  Ils sont baladés sur un échiquier qui les dépasse et qui les broie…  

       Si près, si loin, les silhouettes se cramponnent à la grille, s’écrasent contre les fils qui les tailladent…

       Là-bas, les fantômes poussent comme ils peuvent des ventres gonflés de tous les manques qui les tuent  -attendant qu'un pacte se scelle : champagne !     

      Si loin, si près, des gamins à l’enfance déchirée tombent sous les coups pétaradant d’armes inégales –et les pierres roulent, et roulent, et roulent….

      Tous s’anéantissent, fracassés contre le mur barbelé de nos oublis. Et hurlent en silence, au-delà du temps, à travers l’espace, leur désolation aux autres que l’on ensevelit pareillement sous les rondeurs immondes de l’indifférence (...)"     , in "La chose", J. Wautier

  

   L’horreur est toujours à portée de main –ou tellement loin de nos regards qui se détournent.

   Alors, oui, la bête immonde est partout!

   Partout où règne une haine hallucinée de ses peurs. 

   Partout où s'entretiennent les blessures et les humiliations. 

   Partout la majuscule découpe à la hache (à coups de "H") la concrétude sensible et diverse de notre humanité  -où l'abstrait collectif ou idéologique déchire le concret individuel ou existentiel. 

   Partout où l'espace de variance    (eu égard aux codes, habitudes, traditions, modèles, normes,..., etc.)   se réduit en peau de chagrin. 

   Partout où le force de reliance   (aux racines communes de l'aventure anthropique, à un projet humanité, à un substrat social  -et les uns aux autres)   se délite en replis solipsistes.

   Partout où règnent l'utilitarisme, l'efficience et la normatie  (c-à-d une Norme devenue prescriptive, Totalitaire et sans espace de variance  -espace pourtant nécessaire, où  peuvent s'exprimer les personnes et naitre les nouveautés).  Car la considération prévalente d’une collectivité  abstraite  (ou d'une Idéologie) nie ou anéantit un individu jugé inessentiel  -nie les singularités dans un magma souvent sanglant pour vénérer l’abstrait sans chair de  son Idéal ou de son conservatisme  (cette abstraction pouvant être une structure sociale, une coutume ancestrale, un projet utopique, une supposée race pure ou encore l’espèce...)

 

   La bête immonde, donc; qui renaît de nos peurs, de nos ignorances et de nos rigidités.

   Qui se repaît de nos fantasmes et du sang versé.

   Profitant des ruptures et des solitudes et des insécurités diverses...

   Se nourrissant de la misère.

   Et cherchant dans les cendres jamais éteintes de l'histoire, cherchant finalement dans la folie toujours certaine de notre si fragile humanité, de quoi rallumer ses bûchers....

   La bête immonde qui nous oblige à la vigilance -  parce qu’il faut sans cesse raconter l’histoire des hommes et des choses fragiles...

   Et qui n'est finalement que la somme grandissante des yeux qui se détournent, des pages qui se tournent, des cœurs qui se blindent  -et des "Plus jamais ça !" qui se perdent dans la déferlante du quotidien ou se diluent sur le papier glacé des clichés floutés tandis que les plaintes se dispersent dans les vents mauvais de l’oubli.  Quand les violences s'enchaînent et nous enchaînent... Quand les vengeurs perdent la tête dans leurs bras armés en quête de victimes nouvelles.... Et que victimes et bourreaux dansent ici et là une danse macabre où s’inversent parfois les rôles dès lors que tout s’en va à vau-l’eau.…

 

    La bête immonde, qui rôde éternellement – revenue des enfers pour incendier le réel.

    A coup de mépris violents et de craintes hallucinées savamment entretenues.

    A grand renfort de détournement ou d'estompement d'histoire....

    Sachant qu'il est des presque frères oubliant ce qui les unit sous d’autres noms, d’autres inflexions. Et qui se déchirent à coups de pierres (jetées ou posées en rempart):    " Mais les armes sont inégales et les combats iniques qui opposent aux fils les fautes des pères....   Mais tous sont semblables d’une humanité incertaine qui se perd et se fourvoie  dans des sélections abjectes." 

  Cela quand seuls les coupables pourraient s’excuser ou "payer"… - en contre-donne, seules les victimes pourraient pardonner et c’est les enterrer une fois de plus, une fois de trop, que de pardonner pour elles… 

   De fait, les morts ne pardonnent pas, leur calvaire reste à jamais comme une tâche sur le bleu du ciel, comme un doigt invisible pointé vers leur bourreau, un trou béant au cœur de l’humanité ou  au fonds de nos mémoires. Une larme  au creux de nos rires…

   Pour eux c’est trop tard  -pour les vivants, tout reste à faire….

  Oublier les vengeances en chaînes, enchaînées, enchaînantes...

   Garder la mémoire vive du passer pour en tirer (enfin) leçon et construire un avenir...

   Réinventer un projet "humanité": où l'unité nourrit le pluriel des singularités; où le pluriel s'articule en harmonie -où le Tout se reconnaît en ses parties, sa richesse....

   Sans perdre de vue qu' il fut, qu'il est, qu'il sera ...   ... des coupables de leur seul nom, seul accent, seule couleur,  seule prière   -et des bourreaux très ordinaires   –inhumains !

   Eternel problème de la reconnaissance de l'autre comme semblable.

   Eternelle difficulté de l'acceptation d'autrui en ses différences.

   Et difficulté d'autant plus cuisante qu'elle se présente dans un contexte d'insécurités multiples -"mondaines" ou planétaires, culturelles, sociales, physiques, familiales.... Et qu’il est des “responsables” politiques pour désigner les coupables ou les vecteurs ou les facilitateurs de tous les désastres qu’ils ne purent empêcher : l’autre, évidemment -le plus fragile, le plus souffrant, le plus vulnérable....

4.8
 

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