Ecrire ?
Sur les mots et les choses…
Sur les émois et les sans-moi :
vagabond aux vents légers, sans-terre aux vents mauvais.
Ecrire sur ce qui se dit d’un frisson ;
Sur ce qui se tait d’un sursaut ;
Ce qui se terre dans les pointillés d'un tracé :
courant nomade des lignes flottantes.
Ecrire dans la marge, à contre-pied:
En réinventer le réel, en exploser l’impossible ;
Et dire les mondes et les ondes.
Dire bien plus que l'on en dit ;
Bien moins que l'on en veut.
A dessiner l'invisible, à viser l'intangible :
et chercher l’improbable quintessence d’une vie d’homme.
Se prendre aux rêves ;
Se prendre plus encore aux promesses d’avenir.
Et choisir obstinément le chemin d'Utopia, bien accroché au réel.
Vouloir mieux, vouloir tout :
un rayon volé à la lune pour éclairer quelques points sur les "i";
ou une poussière d'étoile pour éclairer d’or un regard aimé.
Appâter par les promesses…
Parcourir les chemins buissonniers :
des galaxies vaporeuses ruisselantes d'étoiles …
... aux écumes argentées berçant leurs rêves marins !
Et agiter les neurones ; ou brouiller les fils?
Dire les océans démontés aux ancres arrachées.
Jouer du sable qui roule ses ors fondus au feu mordoré de l'été.
Offrir même des châteaux en Espagne et des anneaux enlacés d’éternité sur Saturne.
Ecrire au papier buvard des chagrins d'avant ;
Ou au papier de soie des dessous chics où se lovaient les ébats de satin.
Ecrire au sang d'encre les peaux palpitantes ou les baisers de miel - ciel de lit renversé.
Ecrire sur l'infime universel, sur le Tout singulier.
Sur l’azur, sur le vent…
Tirer d'entre les lignes les poissons d’argent et les vanités desséchées aux cendres froides du désamour;
Ramener à la marge tous ces lieux magiques en suspens dans les limbes des pages blanches.
Et broder :
Les lendemains enchantés de quelque serment sans âge ;
Les cartes au trésor des amants en nage ;
Les mondes imaginaires enfouis en terre inconnue…
Les monts et merveilles des chairs en âme nue.
Trouver la densité de l’instant ;
Chercher parfois l'ailleurs, mais pour y trouver un peu du réel;
Et pratiquer la pêche au lancer :
le cœur au bout des doigts, tendu vers quelque inaccessible.
Ecrire comme on respire :
des livres en papier de chair vive, des vies en mémoire d'encre - histoires d'hommes pris à leur songe d'éternité...
Se bercer à l'amour.
Se frotter au désir...
Mais garder à l'esprit que les mots prennent vie par la force d'une rencontre :
d'une main qui court sur le papier et d'un regard qui s'accroche à la page.
Car celui qui écrit est un équilibriste sur la trame du réel, qui se prend aux cris des sirènes d'Utopia : tout là-bas, sur l'île du jour d'après.
Car encore, les dimensions s’interpénètrent dans le hors-là de la littérature.
Et l'on y fuit le quotidien dans l'extraordinaire des aventures impossibles : en mots sans silence ou en lettres d'encre marine volée à quelque cahier secret…
Le mystère persiste pourtant, de ces liens articulant l'écriture et l'existence :
par l'immatérielle substance de la première;
par la densité trouée de la seconde - quand l'une nourrit l'autre qui la sustente.
Mystère intemporel d'une union ou d'un pacte.
Par suite, au jeu de la vie et du buvard, il conviendra de trouver sa propre recette, qui n'en est pas une, qui est feeling…
Qui se voudrait d'art et finit trop souvent en vanité veillée par quelques fantômes de Vélin.
Pour faire naître un monde aux fruits de saison, il te faudra :
- Un cœur où tout préparer;
- Un ventre où tout mijoter;
- Une peau où tout épicer ;
- Une âme où tout relever.
Va donc, d’étal en étal…
Consulte le catalogue, invente la carte - choisis!
Sommaire en préliminaires trop souvent bâclés.
Prologue en cascades, en abîme, en mirage…
Histoire courte, pour gens pressés ;
Ou histoire à tiroirs et à code secret pour fins gourmets.
Nouvelle allumeuse pour les blasés ;
Nouvelle menteuse pour les fins nez.
Et roman de gare, lu entre deux trains - sorti en douce de dessous le manteau…
Fiction presque vraie ;
Best-seller savamment épicé !
Qui sera flirt d'été ou livre intemporel…
Et puis, ou parfois, chef d'œuvre toujours recherché.
Tant de rêves, de vies et de mondes en sursis s’offrent à toi qui les prendras : à ne pas les piétiner en préface - contre ou tout contre un cœur d'artichaut qui s'effeuille comme ces pages que l'on saute.
N’oublie pas pourtant, tout finit un jour qui se conclut en épilogues inattendus ou trop attendus :
Avec des postfaces reconnaissants et quelque scriptorium où se gardent ou se perdent trois ou quatre mots tendres et autant d'SOS - couverts ou raturés en lettres d'amour déchirées.
Car tout est dit depuis la nuit des temps, car tout reste à dire!
N’empêche !
Il convient de choisir les mots, de les frotter au réel :
Mots tendres sucrés comme une peau aimée ;
Mots durs à écorcher les oreilles - et le cœur.
Gros mots souvent libérateurs ;
Ou mots polis par l'usage qui les emprisonne en correction cruellement indifférente.
Mots nouveaux effarouchés ;
Mots oubliés à ressusciter.
Mots trop grands, trop lourds, trop courts : ressassés, gaspillés, malmenés…
Et mot-valise ou fourre-tout.
Mots d'auteur aussi, cherchant quelque hauteur…
Pour moi, mais ne le dis à personne, j'aimerais laisser des mots doux au parfum de miel, butinés sur une peau dégoulinante de soleil. Des mots coupés par le souffle du désir, à double sens d'une lame de fonds. Tu sais, dans mes rêves à l'encre de seiche, j’invente des mots tranchants pris en dilemmes cornéliens. Et d’autres, tellement fragiles, à peine nés mais qui pourraient couvrir les chapitres d'un best-seller… A en fuir les mots-bateaux du n'importe quoi et tous les projets chinés aux supermarchés du prêt à consommer - sans faim réelle et écrits au crayon à gommer.
Mais, libre à toi…
De les plier, de les réinventer…
Quoi qu’il en soit, le choix fait, qui n'est jamais définitif, qui se prend à la nécessité de l’histoire, il te reste à tremper ta plume dans les humeurs et les liqueurs et les liquides…
Te reste l’essentiel donc : empoigner très vite son âme et la plonger dans la vie - la nourrir d’autrui, l'arroser de souffrances et de jouissances. Et rester maître, et savoir t'abandonner - prendre garde aussi, car les mots parfois n'en font qu'à leur tête, allant jusqu'à recracher nos vies romancées.
Raison pur laquelle il faut mobiliser l'espoir ; et dompter l'impatience, et libérer l'imaginaire et ses points de suspension ouverts aux quatre vents du monde, des songes et des autres.
Trouver encore le bon rythme : l’accélérer au point culminant de suspens, l’affoler aux frissons sanglants de la peur. Et le ralentir à l'envie qui s’étire d’un temps arrêté ; à l'amour qui s’enivre d’un temps suspendu - jusqu’à l’emporter en cris rauques et soupirs d’une passion inédite et toujours recommencée.
Savoir casser aussi : à la folie, à l'angoisse, à l'action!
Jouer des temps à la mesure des frissons ou des hésitations, savoir surprendre.
Mais de parenthèses en digressions, l'heure est à la sélection du papier :
Gaufré, comme jadis, tout en volume accidenté…
Ou quadrillé des rêves d'enfance…
Millimétré aux mots d'auteurs cherchant l'inaccessible…
Calque, pour les plagiaires…
Ou encore, ou mieux, ou pire, blanc : comme tous les possibles - comme aussi les mots manquants et les terres vierges du futur.
Quoi qu'il en soit, il importe d’y trouver ses lignes et d’y louvoyer aux marges du réel.
De conter donc.
Avec des propositions très insubordonnées ;
Des pronoms relatifs en quête d'absolu ;
Des verbes déponents en recherche de mode inédit ;
Et des adverbes de lieu prisonniers volontaires de quelque hors-là…
Conter l'humanité et ses fragilités et ses forces.
Créer des mondes nouveaux souvent plus vieux que l'univers et s’y livrer à grands cris noirs et coulants : sur fond blanc où se déchirent peu à peu les souvenirs de demain et les projets d'hier.
Se mettre à nu donc, tout habillé de pudeur.
Enfiler des vies étrangères comme autant de vêtements précieux.
Trouver la voie des émois : éveiller l'autre.
Etre la voix des sans-voix : être leur hôte.
Et réveiller les mémoires, distiller les «peut-être» ou cultiver les parenthèses propres au cœur des hommes et au ventre du monde. Ou encore, se faire lanceur de rimes, semeur de lettres, dresseur de mots ou passeur de textes en sang d'encre - se jouer des silences pour faire parler les cœurs.
Aller du singulier à l'universel ; et de l'universel au très particulier.
Mêler les accents :
- Aigus ; en cris, en pointes, en rires cristallins - qui disent les épopées et les emportements…
- Ou graves ; à faire baisser la voix sur quelque mystère ou sur l'un ou l'autre sacré…
- Ou même, petit chapeau cachant les rêves pour les ralentir et les alanguir, circonflexes...
Quoi qu'il en soit, il importe d’ouvrir les angles et les fenêtres et les espaces pour passer l'infini au sas de sa propre finitude. Et tisser entre les lignes un ouvrage qui porte à demain : à d'autres matins, d'autres mains tendues, d'autres rêves réalisables.
Etre écrivain donc, «écrivant», écrit-rêve.
Et voguer de frissons de chair en palpitations d’âme : entre espoirs fiévreux et désillusions glacées… A grands coups de sang bleu ou noir versé sur le fond blanc des nuits d'insomnie. Ou de cris hurlés à bouche fermée, à cœur ouvert. Sachant que les livres n'aiment pas s’en laisser conter ; qu'ils sont autant de parenthèses où se nourrissent les rêves: qu'ils sont partout où la vie allume les chairs, où l'amour illumine ou ravage les cœurs. Nous confiant d'autres combats, reprenant des histoires à jamais inachevées ou sans cesse recommencées ; et emportant l'humanité dans des périples inouïs. Ainsi, plus forts que l'évanescence du présent, leurs trames jouent en continu ; renvoyant pour un instant ou pour l'éternité la fugacité de l'existence à la fin des temps. Et les mots sortent des pages blanches de nos sidérations pour s’offrir à nos imaginaires et parfois réaliser l'impossible...
Ecrire donc, pour tenir; en long, en large, en tweets ou en couleur marine…
Avec des virgules qui énumèrent et tempèrent - ou accolent, racoleuses ?
Avec des points qui stoppent !
Farandole ensorcelée ou partition codée…
En liberté surveillée, en pied de nez, en goguette…
Qui s’accouplent et s’inventent d’autres temps.
Car les uns et les autres se montent en unions improbables : d'un point en pleine figure, qui arrête le temps ; et d'une virgule où se reprend le souffle d'un rêve tombé en amour du vent pressé - cela bien sûr, quand il ne s’agit pas d'unions de raison appelant à la réflexion le temps d'une pause.
Ainsi, il est des points d'exclamation pris au souffle d'interdits : cris d'horreur, râles d'agonie ou de plaisir - quand le cœur exalté se livre à voix trop haute et qu'il choque les pète-sec en tête de mort !
Il est des points d'interrogation invitant au dialogue - de sourds, quelquefois…
Des tirets où s’allonge la pensée…
Et des mariages impossibles, qui existent pourtant : traînée d'escargot interrompue d'un bond de crapaud - surprise, désolation et poing à la ligne ! Trois petits points qui se ponctuent en exclamation désolée, affirmative ou proprement finale : comme un arrêt qui s’étire, affolé, étonné, et qui au bout du compte s’écrase sur un rocher qui lui sera repos ou plus souvent tombeau.
Pause?
Sidération !
Là où se posent de grands oiseaux fatigués, où se fracassent quelques voiliers pris au ressac d'un temps assassin… !
Cela dit, l'écriture fait bien souvent son cirque : avec des équilibristes aux marges du réel, des aventuriers du possible, des jongleurs de grands sentiments, des acrobates du verbe et des prestidigitateurs de lendemains réenchantés. Au vrai, sous leurs chapeaux de rêve circonflexe, tous les «Monsieur Loyal» du monde, emplumés de plumes d'oie ou montés sur ressorts de Bic à un euro, en savent bien les petits boulots : qui avancent masqués, qui se prennent les pieds aux rimes. Et font le clown, font la bête, font le beau : pour que rient les enfants, pour que frémissent les grands.
Alors, en toutes lettres, en paillettes, l'écrivain double l'auteur pour inventer le réel et dire l'imaginaire : dessinant des parenthèses merveilleuses, jouant des silences, il nous culbute sur la trame de nos vies rêvées et nous reçoit sur quelques mots tendres étalés en papiers gaufrés…
Provocateur par vocation, il accouche de mondes improbables où se bercent les projets, et les promesses, et les émois - ou, peut-être, une si fragile et si puissante humanité?
Parce qu’il tient tous les mots de nos vies ; qu'il les extirpe des profondeurs insondables, aspirés qu’ils étaient par quelques champs magnétiques - trou noir des délaissements dévastateurs où s’engloutissent silencieusement des possibles infinis, des peut-être audacieux.
Attention néanmoins, tout auteur n'est pas écrivain !
Il est des essayistes, des analystes, des chroniqueurs, des commentateurs, des critiques, des copistes…
Il est même des tricheurs flattant sans vergogne quelque penchant obscène - ou surfant sur la vague d'une mode éphémère.
Par ailleurs, il est des auteurs ne parlant des autres que pour se raconter : nombrilistes dans l’âme ou dans la queue…
Et puis, il en est qui parlent d'eux pour dire les autres - leur parler à les toucher.
Au vrai, sortant du cirque, l'écriture est comme l'amour.
Avec des plaisirs solitaires, quand les sentiments et les tourments se bousculent à rendre fou. Et qu'il faut les dire pour les mettre au pas, pour ne pas en mourir : plaisir nécessaire, pulsion libératrice - le temps d'un chapitre.
Avec des amourettes sans conséquences en incandescence le temps d'un succès d'été.
Avec, parfois, des unions éternelles.
Avec même des licences pas vraiment poétiques et des pudeurs de collégiens ; louvoyant des facilités déshabillées aux déclarations brûlantes d'amours irraisonnées - à savoir lire entre les lignes toutes les délicatesses de l’âme et tous les SOS abandonnés au fil des pages noircies de mots masqués.
A prendre ou à laisser.
Avec narcissisme ou avec altruisme.
Pour un inconnu de passage ou un passant reconnu.
Un homme en blanc (ou une femme, si vous préférez).
Où l'on se livre, où l'on s’abandonne : où l'on triche en vrai, où l'on est sincère à l'ombre du faux.
Ecrits toujours recommencés ; jusqu'à cet instant magique où deux songes se trouvent pour inventer le réel en mots féconds, en rêves porteurs, en points de vue différents... Deux, des milliers, des millions… Histoire d'amour en majuscule dans la rencontre inespérée, tellement attendue, d'un cœur léger comme une plume et de son public."
L'écriture ?
C’est au vrai l’histoire d’un petit «Je vous aime», esseulé sur son île trop souvent désertée des ‘Hommes’.
Obstinément accroché à ses billets doux comme à ses rêves de partage, assailli par les flots noir dérobés à quelque seiche en folie, il hurle à cœur ouvert dans la nuit glaciale des pages blanches prises encore à la ‘fièvre-espoir’ des lignes jetées à la mer…
Complainte éternelle d’un cri en thèmes… …en poèmes… …en sirènes au chant désespéré…
Un «Je vous aime» donc, à la scène et de sang d’encre…
Comme eux -comme tous !
Tous les ‘écrivant’, les écriveurs, les écrivains…
Tous ces funambules de la prose ou de la rime ; et qui savent que l’on ne récolte que les mots que l’on sème.
C’est de fait l’histoire de quelques mots arrachés au murmure des songes et offerts à nos mémoires de papier ; que je vous offre, comme d’autres le font, tous les autres ici réunis, ici ou ailleurs, en matière à rêver…
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