Les Écrits

« La Planche Gavraise » par François Guillon, lauréat 2024 du concours À Vos Plumes

« Il faut imaginer Jeannot, toujours en bleu de travail, même à la retraite, face à Suzie de l’autre côté
du comptoir. Le soleil de cette matinée du 10 juillet 1978 est voilé par des nuages hauts.
Il la regarde. Elle, elle regarde droit devant elle. Il sait ce qu’elle regarde, il le voit dans le miroir qui
se situe derrière elle entre les verres et les bouteilles. C’est le bac, qu’elle fixe du regard. Le bac qui
traverse la petite mer de Gavres pour rejoindre Locmiquélic sur l’autre rive. Ce bac qui chaque jour
la ramène au passé quand c’était Fanch, qui le pilotait.
Ça lui pince du côté du cœur à Jeannot, car dans ses pensées à lui, Fanch est présent tous les jours.
C’était son frère, son jumeau, son double.
Ça fait dix ans aujourd’hui qu’il est parti Fanch. Dix ans que ce con de touriste a raté son entrée
dans le port et a percuté le bac. Fanch s’est noyé devant chez lui. Quelle ironie pour un marin
comme lui de périr dans une traversée de quelques centaines de mètres !

Et puis, elle baisse les yeux, et c’est lui maintenant qu’elle regarde, Jeannot. Il est là, comme tous
les jours, à boire son café crème au comptoir. Ça fait presque 25 ans maintenant qu’elle et Fanch
ont repris « Le Grand Large », le seul bar, tabac, journaux de Gavres. Il a un charme désuet avec
ses banquettes en skaï marron, ses tables bistrot, les miroirs dont le tain a souffert, son vieux bar
en zinc qui en a vu des tournées, et les étagères à bouteilles et verres devant la grande glace du
fond. Et surtout il y a la vue, magnifique, sur le petit port de Gavres, l’entrée tumultueuse de la
« petite mer de Gavres », à droite le grand phare de Riantec, à gauche les remparts de la cité et de
la citadelle de Port-Louis, le grand port de commerce de la Compagnie des Indes.
Il a changé Jeannot, bien sûr. À 58 ans on n’a plus 20 ans. Mais elle le trouve toujours bel homme,
grand et droit, un peu épaissi mais encore svelte. Les cheveux sont poivre et sel maintenant, mais
ils ont le mérite d’être encore abondants. Elle trouve que cette cicatrice qu’il a sur le front, souvenir,
terrible souvenir de guerre, lui donne un air viril. Ses mains sont fortes, abimées. Ce sont les mains
d’un menuisier. Elles ont souffert mais elles ont bien travaillé. Il était une référence dans le coin
avant de tirer sa révérence pour prendre sa retraite il y a quelques semaines. Il n’a pas encore
renoncé à son immuable bleu de travail. C’est son costume à Jeannot. Il est bleu comme ses yeux
vifs qui l’ont fait chavirer autrefois.

Et sa mémoire replonge dans le passé, ces mains aujourd’hui abimées elle les revoit, fines, douces
et maladroites, caresser son corps de jeune fille, il y a près de quarante ans. C’était avant cette foutue
guerre. Quand ils faisaient des projets d’avenir tous les deux. Après la guerre, car on allait la gagner
vite disaient les journaux, ils se marieraient et auraient des enfants. Elle reprendrait « Le Grand
Large » à son patron, c’était convenu, et lui la menuiserie-charpenterie de son père. Et il l’appellerait
« La Planche Gavraise » en l’honneur de ses petits seins lui avait-il dit, quel voyou !
Mais comme on ne sait jamais ce qui peut vous arriver à la guerre, ils avaient fait l’amour pour
sceller leur avenir. Elle avait dit « une fois, pas plus ». Et comme c’était si bon, même s’ils étaient
encore maladroits, ils avaient recommencé, tous les jours... et même parfois plusieurs fois dans la
journée !

Puis Jeannot avait eu vingt ans, et il avait été mobilisé, quel cadeau d’anniversaire ! Et presque
aussitôt il était parti pour Paris, puis vers l’est où les Allemands attaquaient en force avec leurs
blindés. La « drôle de guerre » était terminée, on allait maintenant se battre vraiment et donner une
nouvelle leçon à ces « salauds de boches ».
Mais ça ne s’était pas passé comme les généraux français l’avaient prévu, pas du tout, et il a été
emporté dans la débâcle. Quelques jours plus tard, ses parents ont appris qu’il avait été fait
prisonnier avec l’essentiel de son régiment. Et puis, plus de nouvelles ! Jusqu’à ce qu’un gars de
passage à Gavres leur apprenne qu’il avait été tué en tentant de s’évader. Elle se rappelle le choc,
le désespoir, les larmes qui coulaient, coulaient, ce grand vide, ce froid qui l’envahissait. Elle aurait
voulu mourir elle aussi pour rejoindre son Jeannot auprès des anges, car il ne pouvait pas être
ailleurs qu’au milieu d’eux.

Puis, sa mémoire fait un bond de quelques années en avant, jusqu’à ce vendredi 25 mai 1945.
Ce jour-là, sans qu’elle le voie, Jeannot est arrivé devant la vitrine du « Grand Large » qui donne

sur le petit port, et discrètement, entre l’affiche du bal de la libération et les horaires du bac Gavres-
Locmiquelic, il l’a regardée. Elle servait en salle dans le café.

Toujours aussi belle. Pas très grande, les cheveux bruns attachés, mince et élancée, le front haut
et dégagé, les pommettes saillantes et le menton volontaire. Et au-dessus du nez fin et droit, ses
grands yeux verts. Oh mon Dieu ces yeux ! Si clairs, si vifs. Ces yeux qui l’ont fait l’aimer, après

l’avoir tant intimidé lorsqu’ils ils étaient adolescents. Alors, le cœur battant, il s’est avancé, il a
poussé la porte, la cloche a teinté.
Et Suzie s’en souvient comme si c’était hier. Elle a levé la tête et elle a vu un fantôme ! Le fantôme
de Jeannot. Maigre comme un clou, habillé avec des vieux vêtements dans lesquels il flotte. Mais
Jeannot quand même. Son Jeannot, avec sa belle gueule, même si les joues sont creuses, les cheveux
trop longs et avec une longue cicatrice blanche qui lui barre le front.
Et là, quand elle l’a vu, pas vaillant mais bien vivant, elle a perdu pied, submergée par l’émotion et
elle a tout de suite pensé à ce qu’elle allait devoir lui avouer. Ses genoux ont tremblé, puis fléchi, le
plateau qu’elle portait est tombé dans un grand fracas de verre cassé. Elle a mis les mains sur son
visage, puis quand elle a eu le courage de le regarder, ses beaux yeux verts étaient noyés de larmes.
Elle se souvient qu’il s’est avancé, les bras ouverts.

C’est à ce moment qu’un petit blondinet est entré en courant venant de l’arrière-salle en criant,
maman, maman, « c’est quoi ce bruit ? »
Elle revoit Jeannot, s’arrêter net, comme s’il avait pris un direct dans l’estomac. Il a regardé le petit,
puis il l’a regardée elle, l’air de pas comprendre tout en comprenant quand même.
- Ça va mon chéri, a-t-elle dit en prenant son enfant dans les bras. Ce n’est rien mon chou,
maman est maladroite, elle a fait tomber les verres, c’est Tonton qui vient d’arriver et qui m’a
surprise.

Jeannot sait bien qu’elle repense à cet épisode, ils en ont si souvent reparlé. Et lui aussi il s’en
souvient, c’est gravé, là où ça fait mal. Et il revoit la scène à son tour.
Tonton ? Elle vient de dire Tonton ?
Bon sang, a-t-il pensé, elle est fille unique et je n’ai qu’un frère, Fanch, mon jumeau. Ce gamin est
le fils de Fanch.
Alors il n’a pas su ce qu’il l’emportait : la colère, le désespoir, ou le sentiment d’être trahi par ceux
qu’il aimait le plus au monde.
Il n’a pas su quoi dire, manquant d’air subitement, il n’a pas su quoi faire non plus. Ses épaules se
sont affaissées dans ses affreux vêtements trop grands, il a tourné les talons, a ouvert la porte et est
parti en courant vers la dune tandis qu’elle criait son nom avec des sanglots dans la voix.
Il a marché longtemps sur la dune, dans le vent et les embruns qui se mêlaient à ses larmes. Il s’est
calmé, lentement, puis il a pris la direction de la grande maison familiale. Quand il est arrivé, il n’a
pas entendu le bruit des machines de l’atelier de menuiserie accolé à la maison, il n’a pas senti cette
odeur de bois qui l’a accompagné depuis sa petite enfance. Les portes de l’atelier étaient fermées,
la camionnette était devant, couverte de poussière et de sable. Les volets bleus étaient ouverts au
rez-de-chaussée, le chèvrefeuille courait sur les volets de sa chambre à l’étage, comme s’ils ne
devaient plus jamais être ouverts. Puis il a aperçu son père, de dos, penché dans le potager. Il a
poussé la grille est entré et a appelé, « Papa ? » Joseph s’est retourné, a lâché sa serfouette, et est
resté là, sans bouger, comme paralysé. Jeannot s’est avancé, l’a pris dans ses bras et ils se sont serrés,
serrés à s’en faire mal. Joseph a crié, « Anne, Anne ! Viens vite notre Jeannot est là. » Elle est arrivée
comme une folle en s’essuyant les mains sur son tablier et les a enlacés tous les deux. Elle a touché
son fils, son visage, ses cheveux, l’a embrassé. La vie était de retour.
Ils sont rentrés tous les trois dans la maison et se sont installés à la grande table de la cuisine. Anne
a pris la cafetière qui réchauffait sur la cuisinière pour servir des cafés. Joseph a dit, non, non pas
de café et il a débouché le cidre pour fêter le retour du fils.
Ils l’ont assailli de questions.
Jeannot a raconté sa guerre, sa tentative d’évasion et « sa mort », sa détention, le travail, l’attente
interminable puis la libération et le retour. Il a aussi expliqué son arrivée « au Grand Large » et la
découverte de l’existence de Pierre. Et il s’est mis à pleurer.
Brutalement l’ambiance a changé et il a senti ses parents mal à l’aise. Partagés qu’ils étaient entre la
joie de le retrouver vivant, et la tristesse de le voir malheureux que Suzie ait eu un enfant avec son
frère. Puis Maman s’est décidée à parler :
- Ton frère n’est pas encore rentré. Il était parti se battre pour la libération de Dunkerque avec
son groupe de résistants, on pense qu’il doit être à Paris. Mon fils, je comprends ta peine, mais
tu ne peux pas en vouloir à ton frère ni à Suzie. Pour nous tous, tu étais mort. Suzie était
désemparée, Fanch comme tu le sais était aussi amoureux d’elle sans rien dire, ils étaient
jeunes...
Elle a laissé sa phrase en suspens et a repris :
- Et ce petit bout n’y est pour rien. Peyo c’est notre petit-fils et on l’adore, il est si mignon. C’est
ton neveu et je veux que tu l’aimes comme il le mérite... Et je ne veux pas que tu te fâches
avec ton frère.
Papa a acquiescé en prenant la main de Jeannot et en le regardant droit dans les yeux avec de la
peine mais tant d’amour. Puis, pour changer de sujet, il lui a raconté que la menuiserie était à l’arrêt,
qu’il n’y avait pas de travail sauf de petits boulots de temps en temps mais qu’avec la libération et
la reconstruction il y en aurait du travail, beaucoup, et qu’il comptait sur lui pour relancer
l’entreprise, et dans quelques années la reprendre comme convenu.

Quelques jours sont passés, comme dans un mauvais rêve. Le temps fait son œuvre dit-on.
Foutaises ! « Il adoucit tout », peut-être, comme le disait Voltaire. Mais il n’a pas cicatrisé la blessure
de Jeannot, et peut-être pas non plus celle de Suzie.
Bien sûr, ils se sont apaisés. Alors ils se sont vus avec Suzie. Et Jeannot n’était pas au bout de ses
surprises !
- Écoute-moi Jeannot, et ne m’interromps pas, sinon je n’aurai pas la force d’aller au bout.
Quand tu es parti à la guerre j’étais enceinte de toi (Jeannot est sidéré en entendant cela). Je ne
le savais pas encore. Je ne savais pas grand-chose sur ce sujet-là d’ailleurs, mais j’ai vite compris.
Je ne pouvais même pas te prévenir ! J’étais un peu apeurée bien sûr, mais heureuse quand
même et je voulais te faire un beau bébé. Je ne l’ai dit à personne, je ne savais pas comment
faire et j’avais tellement peur de la réaction des parents. Puis ce soldat, Yann, de Port Manech
dans le Finistère, avec qui tu avais sympathisé et qui s’était échappé en même temps que toi
est passé au café et a demandé à me voir. Il avait réussi son évasion. Il m’a dit que toi, tu avais
été tué, qu’il t’avait vu, couché dans l’herbe, immobile, le visage en sang, après avoir reçu un
coup de fusil dans la tête. Il ne pouvait pas rester plus longtemps sur place et il s’est sauvé
dans les bois. Je me suis évanouie. Le monde, mon monde, venait de s’écrouler. Tu n’imagines
pas ma détresse, je t’aimais tellement. Et la peur est vite venue me submerger, car j’ai réalisé
rapidement que j’allais être fille-mère, une fille perdue, que mon bébé n’aurait pas de papa, que
je ne te reverrai plus jamais. J’ai vu tes parents pleurer. Comment peut se sentir une mère qui
perd un fils ? Anéantie, comme détruite d’un coup. Et ton père ? Si fier de toi, comme perdu,
sans voix, sans énergie, lui habituellement si joyeux et bavard au comptoir du « Grand Large ».
Mes parents aussi étaient tristes, car ils t’aimaient mon Jeannot, et ils étaient heureux de savoir
qu’on se marieraient. Et puis ton frère ! Effondré ! Perdre son jumeau c’est inhumain. C’est
comme si on lui avait arraché la moitié du corps. Lui qui n’avait pas encore rejoint son régiment
tellement tout cela est allé vite, je crois que c’est à ce moment-là qu’il a décidé de répondre à
l’appel du Général de Gaulle et de le rejoindre à Londres. Il a pris contact avec des pêcheurs
de Lorient qui partaient pour l’Angleterre et quelques jours avant d’embarquer il est venu me
voir. Il n’a pas résisté à l’envie de me déclarer sa flamme. Tu le sais Jeannot, lui aussi il était
amoureux de moi, et avant de courir au-devant de la mort, il avait besoin d’amour. C’est toi
que j’avais choisi et ça le rendait sans doute malheureux, même si on n’est pas jaloux de son
frère jumeau. Je n’étais pas amoureuse de lui. Mais quand je le regardais, je te voyais tellement
vous vous ressembliez. C’était troublant. Je me suis dit que mon enfant, notre enfant car Pierre
est bien ton fils Jeannot, lui ressemblerait et qu’il aurait un père. Alors je lui ai cédé.

Et Suzie s’était mise à pleurer réalisant la douleur de Jeannot, qui, figé, la regardait comme perdu
dans un autre monde. Puis elle avait continué.
- Lorsqu’il m’a vue enceinte à l’occasion d’un rapide passage à Gavres entre deux missions, il a
été tellement heureux que je n’ai pas eu le courage de lui dire la vérité et de casser sa joie à un
moment où il avait besoin de toutes ses forces pour lutter contre les allemands. On s’est mariés
rapidement au cours de l’été 40, entre deux témoins et avec nos parents. Quand Pierre est né
en janvier 1941, il a pensé, et je l’ai encouragé, à une naissance prématurée. Et comme Peyo
n’était pas un gros bébé, personne n’a imaginé qu’il n’était pas l’enfant de Fanch. Il a donc
toujours cru qu’il était le père de son « Peyo ». Fanch l’aime tellement « son » fils, et lui aime
tellement son père que j’ai décidé de garder le secret. Tes parents et les miens ne savent rien
non plus. Même si j’ai parfois soupçonné maman de se douter de quelque chose, c’est intuitif
une mère, et ça sait compter les mois ! Mais elle ne m’a jamais rien dit, et moi non plus. Je ne
t’ai jamais oublié. Comment aurais-je pu ? J’ai souvent eu honte de mon silence, de ma trahison
et de cette « substitution » de père, mais j’ai pensé que c’était le mieux. Tu étais mort Jeannot !
Aujourd’hui ça fait cinq ans, que tu es mort et tu réapparais, comme ça ! Pourquoi n’as-tu
jamais donné de nouvelles ? Progressivement mes sentiments pour ton frère ont évolué, et je
peux dire aujourd’hui que je l’aime. Différemment sans doute, sans cette flamme qui me brûlait
quand j’étais dans tes bras, mais je l’aime et je suis certaine qu’il m’aime. Il est bon avec moi et
Peyo, et il est courageux. Je ne l’ai pas beaucoup vu pendant la guerre, jusqu’à la libération, car
il devait se cacher, et il ne m’a jamais rien dit de ses activités pour me protéger et protéger
« son » fils.

Puis elle a terminé par cette phrase, se souvient Jeannot : « Tu sais tout mon Jeannot, tu es le seul
et je veux que tu restes le seul. J’aurais pu ne rien te dire non plus. Tu as le droit de me détester, je
le comprendrais. Je te ferai la plus grande place possible auprès de Peyo, mais je t’en prie Jeannot,
ne les brise pas tous les deux ».

Sur le coup Jeannot a senti une bouffée de colère monter en lui. Elle avait décidé de lui voler son
fils, définitivement. Ça ne se passerait pas comme ça. Il allait parler à son frère, lui dire que Pierre
était son fils et qu’il le voulait.
Il fallait qu’il se calme, qu’il reprenne son sang-froid et que lui aussi s’explique.

- Je ne t’ai pas interrompue, maintenant je veux que toi aussi tu m’écoutes, et tu vas comprendre
pourquoi je n’ai pas donné de nouvelles. Dès les premiers jours sur le front, nos chefs ont
rapidement compris qu’on allait se faire écraser tellement la supériorité en hommes et en
matériel des allemands était évidente. Alors, pour éviter des morts inutiles et en fonction des
ordres reçus de l’État-Major ont-ils dit, ils ont décidé de déposer les armes et de se rendre. On
a tous été fait prisonniers. Nous étions quelques-uns à ne pas accepter cette reddition. Nous
nous sentions humiliés de n’avoir quasiment pas combattu l’ennemi. D’autres étaient soulagés.
Avec une dizaine de copains on a décidé de s’évader à la première occasion. Les allemands
nous ont fait grimper quelques jours plus tard dans un convoi de wagons de marchandises.
Nous ne connaissions pas la destination. On se doutait qu’on partirait vers l’est, l’Allemagne ?
La Pologne ? Ce qui est sûr, c’est qu’on ne voulait pas y aller. On s’est relayés, et avec le
manche des fourchettes de nos gamelles, on a fait sauter le grillage d’une ouverture dans le
haut du wagon, suffisamment grande pour qu’on puisse s’y glisser. Nous avons surveillé le
paysage et attendu un passage en forêt. Le train ne roulait pas vite. Quand enfin on a aperçu
une grande zone boisée, on a décidé d’y aller. J’étais le troisième à sortir, Yann, que tu as vu,
un bon gars, Breton comme moi, me suivrait. Ce que nous n’avions pas prévu, c’est que les
allemands avaient posté des sentinelles sur les plates-formes entre les wagons. Les deux
premiers ont sauté. Tout de suite des coups de feu ont claqué. J’y suis allé quand même. J’ai
juste eu le temps d’entendre le train freiner dans un grand crissement métallique sinistre, et
aussitôt j’ai senti un grand choc à la tête, et puis plus rien, le noir complet... Je me suis réveillé
quelques jours plus tard à l’infirmerie du stalag X-B où nous avions été amenés. Combien sont
morts ? Combien ont réussi à s’évader ? Pourquoi les allemands ne m’ont-ils pas achevé ? Je
ne l’ai jamais su. Peut-être parce qu’un copain leur a dit que j’étais menuisier et qu’ils ont pensé
que je pourrais être utile. En tout cas c’est toi qui m’apprends que Yann a réussi à se sauver.
J’avais pris une balle dans la tête. Mon casque avait freiné la balle, mais elle est rentrée quand
même, et elle y est toujours ! « Trop dangereux d’opérer » m’a fait comprendre le médecin
Major du camp. J’ai eu la chance qu’elle ne fasse pas plus de dégâts. J’ai mis du temps à
récupérer, avec des migraines terribles, puis peu à peu ça s’est calmé et j’ai été affecté dans un
atelier de menuiserie. Autant te dire, qu’ayant fait une tentative d’évasion, j’étais surveillé de
près. A la moindre nouvelle tentative ils m’auraient abattu comme un chien. Ils me l’ont fait
payer. Je leur étais utile, et ils m’ont fait travailler comme un forcené. J’étais épuisé, mal nourri,
mal traité, et j’avais interdiction d’écrire à ma famille. Plusieurs fois, j’ai essayé de te faire
transmettre des messages par des prisonniers afin de te dire que j’étais en vie. Mais je ne savais
pas s’ils t’arrivaient. Je viens de comprendre que non. Le temps a passé, lentement, très
lentement, à compter les jours, parfois les heures. On n’avait pas beaucoup de nouvelles des
combats. Au début les allemands se moquaient de nous et on comprenait qu’Hitler était en
train d’envahir l’Europe et la France. Nous avions tous peur pour nos familles. J’avais peur
pour toi. En 1943 les allemands sont devenus plus nerveux, plus exigeants et brutaux aussi.
On a compris que, peut-être, le vent tournait. Les mois suivants, pendant l’été, l’espoir a
changé de camp en même temps que nous entendions les bombardements incessants sur
Hambourg dont nous étions proches. On se doutait bien que la guerre changeait et que c‘était
forcément des avions français ou anglais qui bombardaient. Mais pour nous, ça a été encore
plus de travail. C’était permanent, mais on croyait de plus en plus fort que le moment de notre
libération et de la fin de la guerre approchait. Et il a fallu attendre encore presque deux ans
pour être libérés. Une éternité ! Une éternité à penser à toi. Tu étais avec moi tout le temps et
tu m’as aidé à tenir le coup. Pourtant, et j’en avais honte, j’avais de plus en plus de mal à voir
ton visage avec précision, comme si tes traits s’effaçaient lentement. Ton corps, lui, je ne l’ai
jamais oublié ! Si tu savais le nombre de fois où le soir, dans mon châlit, malgré la fatigue, je
t’ai fait l’amour en repensant aux fois où nous nous étions aimés avant mon départ. Si j’avais
su ! Et puis, le 29 avril dernier les anglais sont entrés dans le stalag et nous ont libérés. On
avait tous du mal à y croire, depuis le temps ! On pleurait, on s’embrassait. Je ne comprenais
pas grand-chose à ce qu’ils disaient mais je savais que j’étais libre et que j’allais TE retrouver.
Un mois dans les trains, à pied sur les routes et les chemins boueux, dans des autocars... et
puis je suis arrivé devant « Le Grand Large », je t’ai vue. Un bonheur immense m’a envahi, je
suis entré, tu m’as vu, ton plateau est tombé et j’ai entendu « maman, maman... ». J’ai senti un
grand froid envahir mon corps, je t’avais perdue, tu m’avais trahi.

La vie a repris son cours en ce début juin 1945.

Jeannot a longtemps réfléchi, puis il a décidé de pardonner à Suzie en comprenant qu’à 20 ans,
enceinte, choquée par sa mort, elle avait le droit de se donner un avenir. Et tant qu’à faire, il valait
mieux qu’elle ait choisi son frère pour mari plutôt qu’un autre.
Et puis ce petit Pierre, pourquoi lui briser sa vie ? Et aux grands-parents qui ne sont au courant de
rien ? Il a décidé qu’il serait un tonton aimant et qu’il serait toujours là pour lui.

Fanch est revenu de Paris. Il avait appris que son frère était de retour et il avait hâte de le retrouver,
tout en craignant sa réaction par rapport à son mariage avec Suzie et la présence de Peyo.

Ils se sont tombés dans les bras. Fanch s’est excusé mais Jeannot lui a dit qu’il avait compris et
qu’on n’en parlerait plus.

Les mois, puis les années sont passés.

Jeannot s’est investi dans la remise en route de la menuiserie, et du boulot il y en a eu, bien plus
qu’ils ne pouvaient en faire avec son père. Ils ont embauché un, puis deux apprentis qui sont
devenus salariés, et quelques années plus tard ils étaient six ! Jeannot comme prévu a repris
l’entreprise quand son Papa a décidé de prendre sa retraite, et comme un défi il l’a rebaptisée « La
Planche Gavraise ».
Jeannot a développé des relations presque filiales avec Peyo qui adore son tonton. Suzie en a
toujours été heureuse et reconnaissante, tout comme Fanch.
Pierre qui n’aimait pas l’école eut assez vite l’envie de travailler avec son oncle. Il n’avait aucune
envie de reprendre « Le Grand Large » ni de remplacer son père au pilotage du bac. À 16 ans, en
1957, il rentra comme apprenti à la « Planche Gavraise » où très vite, sous la houlette de Jeannot, il
devint un menuisier qualifié et très adroit et se spécialisa dans l’ébénisterie pour élargir les activités
de l’entreprise.

Suzie et Fanch n’eurent pas d’autre enfant, faute d’y parvenir. Jeannot n’en eut pas (d’autre) non
plus, faute de trouver la femme qui le lui donnerait.

Il y crut pourtant un moment quand il rencontra Marie-Jo, une bretonne pur jus de Belle-Isle-en-
Terre, à l’occasion d’un séjour à Rennes où il était allé rencontrer des fournisseurs de machines
professionnelles pour renouveler le matériel de la menuiserie. Ils firent un bout de chemin ensemble
et, amoureux, il commençait à penser qu’une nouvelle vie s’ouvrait à lui, qu’il pourrait enfin enfouir
ses blessures et son secret. Et puis un soir, tard, en rentrant de l’atelier il a trouvé la maison vide.
Elle avait repris ses affaires et lui avait laissé une courte lettre en guise d’adieu. Elle lui expliquait
que depuis longtemps elle rêvait de se marier à un boulanger et de vivre dans l’odeur du pain chaud
et des viennoiseries. Lors d’un déplacement professionnel à Saint-Pol-de-Léon, elle avait rencontré
un certain Fernand, boulanger-pâtissier de son état et avait eu le coup de foudre. Elle était partie
avec lui et ses pains au chocolat.
Il se dit que décidément l’amour ne voulait pas de lui.
Il eut quelques brèves aventures sans lendemain et sans étincelle et il resta célibataire avec son
secret bien au chaud.

Suzie de son côté s’est accrochée « au Grand Large » comme une bernique à son rocher. Pas que
ce fût toujours facile car Gavres se vidait peu à peu de ses habitants qui trouvaient que décidément
la vie sur une presqu’île n’est pas simple tous les jours et que vivre en ville dans un immeuble à
Lorient est bien plus pratique et moderne ! Et ceux qui restaient buvaient de moins en moins. « Si
même les bretons s’arrêtent de boire, que vont devenir les bistrots français ? » disait-elle souvent.
Fanch l’aidait au bar où ce n’est pas toujours facile pour une femme, et pour arrondir les fins de
mois il avait pris le poste de pilote du bac entre Gavres et Locmiquelic, ce qui lui laissait assez
d’heures pour épauler Suzie.

Les années qui ont suivi ont apporté leur lot de malheurs.
À l’été 1963 les parents de Suzie qui venaient d’acheter une Simca 1000 flambant neuve, toute
jaune, sont partis pour la première fois à la montagne. Pas bien haute la montagne pour une
première découverte, l’Auvergne. Mais suffisamment haute quand même pour rater un virage,
s’écraser au fond d’un ravin au milieu des arbres. C’était joli cette tâche jaune au milieu de la verdure,
mais ils y ont laissé leur vie. Suzie a été comme foudroyée quand elle a appris la nouvelle par la
gendarmerie, et pour elle rien n’a plus été pareil. Encore jeunes pour mourir, et les deux d’un coup !

Deux ans plus tard, c’était le tour de Joseph, le père des jumeaux. Il a fait ça proprement.
Une crise cardiaque à 75 ans. Il est tombé le nez dans ses laitues au potager. Pour Jeannot et Fanch
ce fut un coup dur, leur Papa, c’était le pilier de la famille. Un bosseur qui avait fondé la menuiserie
avant de la transmettre à Jeannot. Il avait retrouvé toute sa joie de vivre quand Jeannot était
ressuscité, et il avait arrosé ça plus d’une fois au comptoir de Suzie. Tous les gars du village
connaissaient l’histoire sur le bout des doigts. Mais au moins ça en faisait un client fidèle !
Il a précédé Anne, sa femme, de vingt et un mois. Quand elle a eu perdu son homme, malgré le
soutien de ses fils et de Suzie, elle a doucement lâché prise et elle s’est éteinte tranquillement dans
son lit au printemps 1967. Jeannot et Fanch ont eu bien du mal à encaisser le coup. Papa et Maman
partis en deux ans c’est dur. Mais celui qui en a pris un sacré coup, c’est Peyo. Sa mamie c’était son
havre de paix quand il était enfant, c’était aussi l’odeur des gâteaux et des tartes qu’elle lui faisait
pour son goûter. Elle était sa confidente, encore à 26 ans.

Au moins Anne et Joseph n’ont pas eu à supporter la perte d’un fils. C’est arrivé à l’été 68, quand
ce marin d’eau douce a été emporté par le courant dans la passe de la « Petite Mer de Gavres ». À
bord de son voilier il a percuté le bac de Fanch qui se préparait à accoster. Ça s’est passé tellement
vite. Il a été projeté par-dessus bord et s’est retrouvé en dessous le bateau, une jambe bloquée par
un cordage. Le temps qu’ils comprennent et réagissent, des gars qui avaient vu la collision ont
plongé, l’on sorti de l’eau, mais il était trop tard. Il avait 48 ans.

Pour Suzie, Pierre et Jeannot la vie a basculé. Un mari, un père et un frère jumeau ! Ce n’est pas
courant que des jumeaux aient à vivre, chacun à des périodes différentes, la mort de leur frère. Sauf
que cette fois-ci, à la différence de Jeannot, Fanch n’est pas revenu.
C’est après ça que la santé de Suzie a commencé à dérailler. En trois ans, perdre son père, puis sa
mère et enfin son mari, c’était au-dessus de ses forces. Le « crabe », déterminé à nuire s’était installé
et avait commencé son œuvre. Pourtant, elle s’est accrochée et la vie a repris son cours, cahin caha.
Elle a continué à tenir « Le Grand Large » toute seule avec courage et difficulté. Quand elle était
trop fatiguée Jeannot venait donner un coup de main car Pierre, était désormais totalement
autonome à l’atelier.
À la « Planche Gavraise », « l’oncle et le neveu » se sont soutenus mutuellement. Et progressivement
Jeannot a délégué de plus en plus de décisions à Peyo afin de préparer la transmission.

Et les années ont continué à se succéder.

Jeannot, quelques années auparavant, en 1973, avait embauché une jeune femme de Plouhinec,
Lenaig, pour assurer le secrétariat et les commandes car il n’y arrivait plus tout seul vu le
développement de l’entreprise. 24 ans, grande et fine, brunette aux yeux bleus, charmante sans être
vraiment jolie, elle avait tapé dans l’œil de Pierre qui, bien qu’il s’en défende, allait plus souvent que
nécessaire au bureau du secrétariat. Aussi Jeannot ne fut pas surpris quand Peyo lui annonça
quelques mois plus tard qu’il était tombé amoureux de Lenaig.
Suzie, que la maladie gagnait peu à peu, avait été heureuse pour son fils. Ça l’aidait à supporter ses
traitements douloureux.
Pierre et Lenaig se sont mariés en 1975 pour le plus grand bonheur de Suzie et Jeannot. Mais deux
ans plus tard, le bébé tant attendu n’était toujours pas annoncé. Elle le voulait, Suzie, ce bébé, pour
boucler la boucle, car elle avait bien compris qu’elle approchait de la fin de son chemin et elle
voulait être grand-mère. Et enfin début 1978 Peyo et Lenaig ont annoncé la grande nouvelle !

Jeannot se désolait de voir son amour de jeunesse s’étioler. Il faisait le maximum pour l’aider mais
ça ne suffisait plus. Tous les jours il allait prendre son café crème au comptoir pour passer du temps
avec elle.

Et quand il la regarde ce matin de juillet 1978, il voit bien qu’elle n’en peut plus. Elle l’entraîne dans
l’arrière-salle, ils s’assoient et elle lui dit :
- Tu sais Jeannot, je ne vais pas le voir longtemps ce bébé. Le docteur n’est pas optimiste, je
vais devoir fermer le « Grand Large ». Mais ce n’est pas le plus important. Ce bébé, il n’aura
pas de grand-mère longtemps, je veux qu’il ait un grand-père. Il est temps de dire à Peyo que
tu es son vrai père.
Jeannot est interloqué :
- Je ne sais pas si c’est le bon choix Suzie. Moi j’ai appris à vivre comme ça, j’ai profité de Pierre
autant que possible. Il va se sentir trahi par ce mensonge, et puis il aimait tant mon frère...
- Écoute, ça fait 10 ans que Fanch est parti. Peyo est solide, il a 37 ans, il comprendra. Je veux
que vous poursuiviez votre chemin ensemble et que le petit ou la petite ait un grand-père
paternel. Ce serait injuste pour cet enfant qu’on le prive de son papi alors qu’il est là, à côté de
lui. Et toi Jeannot tu n’en as pas envie de ce gamin ?
- Évidemment j’en ai envie, mais ça me fait peur de sortir la vérité si longtemps après. Et tout
le monde au village pense que Pierre est le fils de Fanch.
- Les autres on s’en fout Jeannot, ils s’en remettront et tout le monde sera content pour toi.
Laisse-moi faire. On va voir Peyo tous les deux et c’est moi qui parlerai.

C’est ce qu’ils firent dès le lendemain.
D’abord Pierre n’y a pas cru. Puis comme le pensait Jeannot il s’est mis en colère face à ce mensonge
quand il a réalisé que oui, c’était vrai, son oncle était son père !
- Donc toute ma vie vous m’avez pris pour un con. Comment vous avez pu faire ça ?
- C’est moi qui l’ai décidé mon chéri a-t-elle dit. Jeannot n’y est pour rien et il est aussi une
victime de ma décision. Je ne peux pas dire que j’en suis fière, mais à l’époque j’ai estimé que
c’était la seule solution pour que tu ais une vie normale, une famille et un Papa. Jeannot n’a
rien dit parce que je le lui ai demandé. Et je suis sûre qu’il en souffre depuis 32 ans qu’il le sait
Jeannot baisse la tête mais ne dit rien. Pierre reprend :
- Et Papa, je veux dire Fanch, je ne sais plus qui est qui ici ! Il le savait, il m’a trompé aussi ?
- Non mon garçon, les seuls qui sont au courant, ils sont devant toi.
- Et toi tonton, ça fait 21 ans que je travaille avec toi à l’atelier, qu’on se voit tout le temps et tu
m’as caché la vérité. Comment est-ce possible ?
- J’ai eu du mal quand j’ai appris en 45 que tu étais mon fils et que je devais me contenter d’être
ton oncle, tu l’imagines, répond Jeannot. Mais j’ai compris aussi que ta mère avait pris la seule
décision possible dans la situation du moment. J’étais mort, Pierre. Il te fallait un papa et mon
frère était amoureux d’elle. Je lui ai pardonné, il faut que tu lui pardonnes aussi. Et moi je ne
pouvais pas trahir ta mère, ruiner la vie de Fanch et la tienne, car quand je suis rentré en mai
45 tu avais déjà 4 ans et demi. Tu n’aurais rien compris et tu aurais souffert. Il valait mieux un
qui en souffre, moi, que deux familles car les grands-parents ne savaient rien non plus.
Comment auraient-ils réagi ? Alors fais comme tu veux avec moi, pardonnes-moi, ne me
pardonnes pas, c’est ta décision et je la respecterai.

Pierre, s’est levé, il est parti et est rentré voir Lenaig la tête bouillonnante. Que pouvait-il faire ?
C’était un fait, Jeannot était son père. Heureusement a-t-il pensé, Papa ne l’a jamais su.

Quelques jours ont passé sans que le sujet revienne sur la table. Puis Pierre est allé voir Jeannot :
- Je crois que j’ai compris, mais c’est dur et dans mon esprit ton frère restera pour toujours celui
qui m’a élevé, mon Papa que j’aimais. Je ne vais plus pouvoir t’appeler Tonton, ce serait ridicule
maintenant. Mais je ne pourrai pas t’appeler Papa, ce serait le trahir à mon tour. Est-ce que je
peux tout simplement t’appeler Jeannot, comme tout le monde ?
- Bien sûr, Pierre, je suis heureux que tu le prennes comme ça. Ta mère sera soulagée. Tu sais
qu’elle va mal, elle n’a surtout pas besoin d’une discorde. Donnez-lui, Anaig et toi, ce bébé
qu’elle attend et laissez-la en profiter, qu’elle puisse partir en paix, le plus tard possible
- À propos de bébé, on sait depuis hier que c’est un garçon grâce à une nouvelle technique qui
s’appelle l’échographie. Je voulais te demander la permission de l’appeler Fanch, et je voudrais
aussi que tu joues vraiment ton rôle de grand-père es-tu d’accord ?
- Tu ne pourrais pas me faire plus plaisir... mon fils.
Jeannot l’a pris dans ses bras et l’a serré très fort contre son bleu de travail. » 

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