Tout groupe, tout clan même, se trouve confronté au délicat maintien d’une cohérence minimale : qui définit le «même», le «semblable» (ou le «proche») et l’«autre» (parfois Tout Autre).
Cohérence qui articule chacun à l’ensemble et l’ensemble au «Tout» - une totalité plurielle où s’inscrivent différents microcosmes (autres clans, autres groupes, autres espèces) et tout autant de macrocosmes (l’humanité, la nature qui nous dirons naturée en ses spécimens et produits divers, la Nature que nous dirons naturante en ses modes, processus ou Lois, mais encore le cosmos, les divinités, Dieu(x)…).
Cohérence qui règle reconnaissances, attitudes, échanges, solidarités, défenses, refus ou rejets. Ou encore, qui circonscrit d’abord, nourrit ensuite, une identité référentielle[1] pour chaque membre du groupe/clan….
Et de nourrir la pensée qui initialement la produisit (pensons à « La pensée sauvage », de Claude Lévi-Strauss).
Et de se confronter quelquefois au hors-champs : déviances, différences, pathologies, handicaps, monstruosités...
… Ainsi de la maladie !
Qui put être, au fil du temps et des cultures, signe des Dieux ou du Diable….
Désordre de la Nature, ou folie des hommes…
Stigmate ou symptôme…
Crainte du mal que l’on intègre ou que l’on expulse en des Temples dédiés aux puissances tantôt célestes tantôt terrestres –aujourd’hui, ici, l’hôpital !
De fait, pathologies et malformations façonnèrent les existences et modulèrent peu ou prou l’histoire des sociétés et de l’humanité (sélectionnant, isolant, soulevant des vents de révoltes ou de folies sanguinaires…). Elles purent être sanctifiées ou diabolisées, firent les saints et les parias –tout en organisant les sociétés et les liens endo-/exo-gamiques (en des passés si proches, en des lieux pas si éloignés : l’île aux lépreux témoigne encore de ces exclusions, ignorances, cruautés et réorganisations).
Donc, tout groupe organisé élabore une hiérarchie entre ses membres - définissant les cercles du «In» et du «Out», dressant priorités et membres prioritaires.
Par ailleurs, toute société dessine ses zones grises où se confrontent ses désirs et ses besoins antagonistes, ses pulsions contradictoires et ses nécessités transgressives. Zones grises qui délimitent un espace consacré où s’expérimentent les possibles (préservant ce faisant un espace de tolérance, de pragmatisme et de casuistique). De surcroît, lesdites sociétés élaborent un mode sacrificiel où quelques-uns se verront immolés (au propre ou au figuré) à l’autel d’une peur primale, d’un ordre global, d’une utopie triomphante ou d’un projet commun…. Et l’on supprime ; ou l’on exclut ; ou l’en enferme ; ou l’on contraint ; ou l’on soigne (ce qui est ou paraît pathologique)… Se ménageant par ailleurs un sous-groupe où puiser quelques coupables tout désignés «en cas de besoin» (face à l’une ou l’autre catastrophe naturelle, devant une désorganisation sociale ou sociétale, eu égard aux échecs politiques ou économiques…).
Au reste, pour le sujet atteint, la pathologie oblige à un travail sur soi et à une synthèse proprement dialectique : soutenir un nœud identitaire entre le « soi » qui n’est pas pleinement soi (le soi malade) et le non soi qui est ‘de’ soi (la maladie) au regard d’une cohérence personale et à l’horizon d’un idéal du soi (comme centre attractif des pans existentiels/existenciés du nœud identitaire -mais aussi comme horizon à soutenir/reconstruire).
- Avec cette question entêtée, au regard de disfonctionnements inscrits pour le moins comme «potentiels» dans ses propres gènes : comment se situer face à un «ennemi» ou face à un facteur de différence quand l’un et l’autre se confondent avec le fonds substantiel de l’être… ?
- Avec la douleur également : signe et signal d’une agression, d’un danger. Et, au-delà d’une indéniable réalité, éminemment subjective et peu ou prou situationnelle en son acculturation. Ainsi, outre une sensibilité individuelle, il est des variations temporelles et existentielles : les seuils de perceptions s’inféodent aux horizons collectifs et aux valeurs y associées (sentiments d’urgence, d’inéluctabilité, de nécessité, de devoir, de partage, d’engagement éthique ou civilisationnel –la douleur subie au cœur d’un combat juste est peu ou prou amendée, celle du combat pour la vie est parfois anesthésiée). En outre, la douleur, cette variation des états internes, est également « mise en relation de soi à soi, de soi au monde » : conscientisation de son corps, préhension de son existence en soutenance (à n’être pas destructrice ou sidérante, évidemment !).
- Avec le sens et le non-sens : d’une existence en souffrance, d’un enfermement ou d’une forclusion, d’une douleur assassine…. Ou d’un bannissement, d’un isolement.
- Avec, aussi, les vécus individuels et les fonds collectifs. Et telle déformation sera interprétée ou ignorée. Tel handicap sera minimisé ou surligné. Telle souffrance sera reconnue ou déniée. Surtout, selon les lieux et les époques, tel organe sera doté, ou non, d’une signification symbolique, émotionnelle ou existentielle –siège de toutes les attentions et préoccupations. Et d’associer longtemps, en occident, le cœur aux sentiments. Et d’unir, au Japon[2], l’abdomen au centre vital (distinguant par ailleurs une somme impressionnante de maladie abdominales dont nous ignorons tout). Et d’évoquer en certaines cultures dites primitives le foie comme lieu de la force et du courage ou de l’imagination. En la matière, dans les années 50 encore, une tribu de Nouvelle-Guinée s’adonnait au repas rituel : se partageant le cerveau des défunts pour leur assurer une part de présence au cœur charnel de la tribu.
Quoi qu’il en soit, cultures et sociétés marquèrent trop souvent au feu et au sang les corps et les êtres dissonants. La visibilité d’une faille se donnait en contre-norme et autorisait à son encontre la cohésion des «semblables» -bien nés ou proprement humains. De fait, les processus de stigmatisation perdurèrent très au-delà des parenthèses barbares -et l’intériorisation du stigmate ne signe pas sa fin. Ainsi, des persécutions multiples aux abominations nazies, des discriminations ethniques aux génocides divers, l’histoire nous rappelle qu’une différence perçue ou supposée, si ce n’est décrétée, rencontre trop souvent une angoisse existentielle latente pour désigner les ‘moins-humains’ et circonscrire en retour le cercle de l’humanité légitime. En outre, maladies et invalidités parlent de la mort -de la déchéance ou de la dépendance. Elles sapent les relations au groupe suspecté d’en être vecteur : définissant l’autre contre lui-même. Non seulement leur spectacle imposé met en question la normalité ou éclaire sa fragilité, mais il conforte de surcroît la subjectivité qui ne s’y reconnaît pas: se vit en différence irréductible et se justifie de sa conformité. Où donc il convient aux consciences angoissées de désigner le monstre : pour l’éloigner, le poser en contre-référence ou le vouer au processus sacrificiel.
Texte protégé par les règles et droits de la propriété intellectuelle,
Jacqueline Wautier
[1] Un canevas identitaire d’où se construira, en soutenances diverses et plus ou moins actives, plus ou moins intenses, une identité «personale» prise au lacis d’interactions et de relations multiples
[2] Le Japon traditionnel imagina l’âme telle une substance diffusant à travers tout l’organisme et nhele quittant que quelques jours après le décès -s’opposant conséquemment au prélèvement d’organes à fin thérapeutique (mais acceptant le don issu du « corps sans âme » de l’occident ???).
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