Les Écrits

une histoire de Vadkraam, chapitre onze

 

Hank reprit conscience peu à peu. Il avait un mal de crane terrible et il sentait qu'il avait du sang séché sur le front. Il avait la nausée et une impression de roulis, comme sur un bateau, ou en y réfléchissant, plutôt comme lorsqu'il était sur le dos d'un lopvent. Il voulut se masser la tête mais ne put pas bouger sa main. Il ouvrit les yeux et poussa un cri de stupeur. Il se trouvait à au moins quinze mètres du sol. Il s'aperçut ensuite qu'il était ligoté. Il leva les yeux et vit que deux hommes-corbeaux ( comme il décida de les appeler ) le retenaient par des cordes. Il repensa avec amertume qu'un peu plus tôt dans la soirée, il s'était dit que son sort serait bientôt fixé. Voilà quel était son destin : saucissonné, nauséeux et transporté comme un vulgaire bagage par des créatures mi-hommes mi-volatiles. Sa situation était si grotesque qu'il ne put réprimer un fou rire. Les deux hommes-corbeaux se regardèrent interloqués avant de tirer un coup sec sur les cordes pour le faire taire.

- Silence. Choses graves se passer.

- J'ai l'habitude.

Le reste du trajet se fit en silence. Ils survolèrent une jungle dense d'où s'élevaient parfois un oiseau de proie nocturne ou un cri de bête, avant d'arriver dans une zone de montagnes. Les contreforts offraient une vision unique, car les neiges fondues formaient de magnifiques cascades au pied desquelles se regroupaient les animaux de l'île pour se désaltérer. Tout semblait si calme, si serein, que Hank espéra un moment que les hommes-corbeaux le déposent là et l'y laissent vivre en paix. Mais au lieu de ça, ils prirent de l'altitude et commencèrent leur ascension vers le sommet. Les pentes étaient si escarpées que Hank n'aurait jamais pu grimper aussi haut par ses propres moyens. L'air se faisait plus frais, la température baissant aussi vite qu'eux montaient. Enfin les hommes-corbeaux déposèrent Hank dans la neige et se posèrent à ses côtés. Hank ne savait pas à quelle altitude ils se trouvaient, mais il vit que la chute d'eau dans la vallée n'était plus qu'un petit point argenté miroitant à la lueur de la lune. Hank était frigorifié, chaque muscle de son corps était tendu et le faisait souffrir. Il se demanda comment les hommes-corbeaux pouvaient tenir alors qu'ils n'étaient vêtus que d'une sorte de caleçon long en toile. Ils ne semblaient pas subir le froid de la même manière que les hommes. Pas un tremblement n'agitait leurs corps, pas une de leurs plumes ne frémissait. L'un d'eux brandit un couteau. Hank prit peur et trébucha en voulant reculer.

- Pas peur. Continuer à pied.

L'homme-corbeau trancha les liens qui entravaient les jambes de Hank mais lui laissa les bras ligotés.

- Debout.

Hank se redressa péniblement. La tête lui tournait encore, aussi bien à cause de sa blessure que du manque d'oxygène dû à l'altitude.

- Vous savez les gars, ça ne vous tuerait pas d'être un peu plus aimables.

- Ai-ma-bles ? Pas comprendre. Avance.

Ils entrèrent dans une caverne aux murs recouverts de glace. Ils cheminaient entre les pics gelés, marchant parfois dos vouté pour passer sous les stalactites. Hank glissait souvent et comme il ne pouvait pas se rattraper, il eut vite mal dans le bas du dos. Après presque une heure de marche, il eut la surprise de retrouver un sol pavé sous ses pieds. L'avance se fit plus aisée. La caverne naturelle avait laissé place à une excavation creusée par la main de l'homme, ou du moins par des créatures possédant un certain sens de l'artisanat. Le couloir était taillé à même la roche, mais ses parois étaient incroyablement lisses. Des torches étaient suspendues aux murs tous les trois mètres environ, diffusant assez de lumière pour avancer sans risques et assez de chaleur pour éviter que la glace ne s'infiltre dans le tunnel. Au bout d'un moment, ils virent une silhouette sortir de l'ombre. C'était un autre homme-corbeau qui venait à leur rencontre. Il s'adressa à eux dans une langue que Hank ne connaissait pas.

- Lali léessedi a litdi dei lelo lairfi lttendra lneu luitni lvanta dei lelo londuireci à llelei.

- Lcii ?

- Yepa. Lettezmi lelo landi lali lambreca dei lardgi.

Ils repartirent tous ensemble et marchèrent quelques minutes avant de rejoindre un autre homme-corbeau qui était adossé contre le mur de gauche. En les voyant arriver, il se redressa et agrippa une petite pierre qui dépassait du mur. C'est en voyant le mur pivoter que Hank comprit qu'il s'agissait d'une poignée. Les hommes-corbeaux le poussèrent à l'intérieur d'une petite pièce brillamment éclairée et chauffée par un feu de cheminée. Ils le détachèrent et lui désignèrent une paillasse dans un coin et une assiette posée sur une table.

- Mange. Dors. Attendre ici. Nous revenir.

Ils sortirent tous les quatre en silence, le laissant seul, et fermèrent la porte derrière eux. Hank n'entendit aucun bruit de serrure. Il attendit quelques instants puis retourna vers la porte. Il poussa doucement et la fit basculer sans problème. Il passa la tête à l'extérieur et vit que les hommes-corbeaux étaient tous partis. Il réfléchit quelques secondes et décida de rester. Après tout il avait de quoi se nourrir et se reposer, et il était coincé au sommet d'une montagne. S'il s'échappait, il lui faudrait probablement plusieurs jours pour redescendre dans la vallée, s'il ne glissait pas dans une crevasse avant. Il s'assit donc à table, mangea ce qui semblait être un ragout, et s'allongea sur le lit. Il avait voulu feuilleter un livre trouvé sur une étagère, mais ils étaient tous écrits en runes et Hank ne se sentit pas l'âme d'un linguiste dans l'immédiat. À peine avait-il posé la tête sur l'oreiller qu'il sombra dans un sommeil profond et sans rêve.

Hank fut tiré de son sommeil par quelqu'un qui lui secouait l'épaule. Pendant un bref instant, il crut qu'il était toujours avec Sin fo et Reg'liss, mais en ouvrant les yeux, il revint brutalement à la réalité. En face de lui se tenait l'homme-corbeau qui l'avait blessé à la tête. Il avait des favoris et une moustache fournis, et portait un plastron en cuir finement réalisé. Hank s'assit en grognant.

- Moi vous suivre, nous partir c'est ça ?

- Je vous en serai gré en effet.

Hank se sentit tout à fait stupide.

- Oh, euh... Je ne pensais pas que vous parliez si bien ma langue.

- Aviez-vous la prétention de croire que vous seul étiez assez civilisé pour user d'un langage intelligible ?

- Non bien sur, mais vos amis...

- Mes amis n'ont pas eu la chance d'avoir un aussi bon professeur que moi.

Hank sortit du lit en grelottant. Le feu s'était éteint pendant qu'il dormait et la température de la pièce avait nettement baissé. Lorsque l'homme-corbeau sortit de la pièce et l'invita à le suivre d'un geste de la main, Hank lui demanda :

- Vous ne m'attachez pas ?

- Aurons-nous à subir une tentative d'évasion de votre part ?

- Non.

- Alors ça sera inutile, n'est-ce pas ?

Le jeune homme haussa les épaules et le suivit au dehors. Un autre homme-corbeau, plus jeune, les attendait sur le pas de la porte. Hank n'avait pas été enfermé et il n'était plus entravé, mais il n'était semble-t-il toujours pas considéré comme un invité. Ils partirent à la file indienne à travers le long couloir qui défilait toujours en ligne droite. Hank repérait de temps en temps des pièces à gauche ou à droite lorsqu'il voyait des pierres dépassant des murs parfaitement lisses. Puis petit à petit, ils passaient devant de plus en plus de portes ouvertes, laissant apparaître des armureries, des celliers, des bibliothèques et même ce qui semblait être une salle de classe où étaient assis une vingtaine de jeunes enfants avec de petites ailes blanches dans le dos. Hank avait des dizaines de questions à poser à ses deux guides et il commença par celle qui lui brulait les lèvres depuis deux jours.

- Qui êtes-vous au juste ?

Il avait voulu demander « Qu'est-ce que vous êtes ? », mais il s'était ravisé, sentant que cela aurait heurté leur susceptibilité.

- Nous sommes les Revanis.

- Revanis ? C'est comme ça que vous appellent les gens ?

- Personne ne nous a appelé ainsi. C'est ainsi que nous nous sommes nommés, car c'est ce que nous sommes.

Hank sentait qu'il devait choisir soigneusement ses questions s'il voulait obtenir des réponses claires.

- Vous vivez tous dans ce tunnel ?

- Aucun de nous n'y vit.

- Mais alors tous ces gens - Hank vit son interlocuteur froncer légèrement les sourcils – pardon, tous ces revanis, que font-ils ici ?

- Nous nous servons de ces tunnels parce qu'ils offrent de la place, mais cela ne signifie pas que nous y vivions. Nos demeures se trouvent de l'autre côté de la montagne, dans une vallée.

- C'est là que vous m'emmenez ?

- En effet.

- Mais pourquoi ?

- Notre Léessedi nous a demandé de vous y conduire.

- Léessedi ? Il s'agit de votre chef ?

- Je ne connais pas le terme exact pour définir Léessedi. Il s'agit de notre guide, notre lumière.

- Que peut-il bien me vouloir ?

- Je ne peux répondre à cette question. Notre Léessedi veut vous voir, et j'ai été chargé de vous ramener.

Ils marchèrent encore plus d'une heure avant de voir une lueur qui n'était pas due aux lanternes accrochées aux murs. Après presque une journée passée dans les entrailles de la montagne, la lumière du jour aveugla Hank pendant quelques instants. Lorsqu'il recouvra la vue, c'est l'usage de la parole qui lui fit défaut. Il ne put émettre d'autre son qu'un long sifflement admiratif. La beauté de la cascade qu'il avait vu la veille n'était rien en comparaison de la vallée des revanis. C'était une terre fertile, entourée de murailles rocheuses, le long desquelles la neige des sommets coulait en de multiples chutes d'eau. De là partaient de nombreux ruisseaux qui traversaient champs et jardins pour se rejoindre au centre de la vallée, où un gigantesque tourbillon évacuait toute cette eau par des conduits souterrains vers la mer, de l'autre côté des montagnes. Hank regarda en contrebas et vit que les parois abruptes ne présentaient aucun chemin praticable. Le vieil homme-corbeau sembla deviner sa pensée, car il lui dit :

- On ne peut entrer et sortir de la vallée des revanis qu'en volant. Voilà pourquoi ce lieu est notre royaume. Bienvenue à Zihuatanero.

- Et comment font les gens comme moi ?

- Nous n'avons pas pour habitude de recevoir des êtres aussi curieux que vous l'êtes ( Hank eut un petit rictus ), mais comme tout être vivant, nous perdons de notre vigueur avec l'âge et nous avons des solutions pour soulager les plus anciens.

Il joignit deux doigts devant ses lèvres et siffla longuement. Presque immédiatement un hennissement retentit au loin. Hank regarda vers la vallée, se demandant comment un cheval pouvait lui être d'un quelconque secours, mais l'animal ne vint pas de la vallée, mais de la paroi opposée. Un magnifique cheval à la robe alezane volait vers eux en battant paresseusement de ses immenses ailes aux plumes couleur noisette. Hank resta bouche bée jusqu'à ce que l'équidé vienne se poser en douceur à leurs côtés.

- Et moi qui pensais que plus rien ne pouvait me surprendre.

- Il se nomme Laroni. C'est un ami fidèle et fiable.

- Il n'est pas sellé.

- Il n'est pas domestiqué. Il ne vous portera que s'il le veut bien, et non parce que vous l'y obligerez.

Hank s'approcha de l'animal et lui flatta l'encolure avant de grimper sur son dos. Laroni pencha la tête vers le vieil homme-corbeau qui lui murmura quelques mots revanis à l'oreille. Laroni s'ébroua, déploya ses ailes, et frappa des sabots au sol pour prendre son envol. Hank fut projeté en arrière par la poussée. Il avait l'habitude de voler avec les lopvents, mais le cheval allait bien plus vite. Il dut s'accrocher de toutes ses forces avec ses jambes, et il cala l'arrière de ses genoux contre les ailes pour ne pas glisser d'avantage. Le vent lui fouettait le visage et l'air froid de l'altitude lui gelait les larmes dans les yeux. Très vite, Laroni piqua du nez et partit dans une série de vrilles. L'atmosphère se réchauffait mais la terre se rapprochait à une vitesse vertigineuse. Hank savait que Laroni s'arrêterait avant de s'écraser au sol, mais il ne put s'empêcher de hurler. L'animal redressa juste au dessus des arbres, si près qu'il en effleurait le faîte de ses sabots. Il survola la vallée en planant, ne donnant que quelques coups d'ailes pour se maintenir en hauteur. Ils passèrent au dessus de champs et d'enclos où paissaient des moutons. Partout les revanis levaient la tête pour les regarder passer. Un jeune quitta même le sol pour jouer avec l'étalon, qui effectua quelques pirouettes pour l'amuser, au grand dam de Hank.

De l'autre côté de la vallée, perchée sur un promontoire rocheux, se trouvait une habitation plus grande que toutes les autres. Elle était également beaucoup plus belle, elle respirait la richesse et l'opulence. De plus le toit en forme de dôme recouvert d'or ne laissait aucun doute quant à l'occupant de cette demeure. Hank savait que Laroni le conduisait directement chez le Léessedi. Le cheval ailé s'était posé dans la cour puis s'était avancé vers les hautes portes du temple, où les gardes le laissèrent entrer avec une révérence. Il fut bientôt rejoint par les deux hommes-corbeaux qui accompagnaient Hank, qui lui demandèrent de mettre pied à terre et de les suivre. Avant de partir, Hank s'inclina devant Laroni et lui caressa à nouveau l'encolure. L'animal lui posa les naseaux sur le front, puis il fit demi-tour et repartit au galop à travers le hall. Hank et les deux revanis reprirent leur marche, s'enfonçant pièce par pièce dans les profondeurs du temple.

Enfin ils arrivèrent devant deux hautes portes de bois, gravées d'anaglyphes représentant des revanis, ainsi que des mêmes runes que Hank avait vu dans le livre qu'il avait trouvé la veille. Tous ces dessins étaient recouverts d'une fine pellicule d'or. Deux gardes armés de lances étaient en faction devant la porte. Ils étaient vêtus de la même tenue que le vieil homme-corbeau.

- Notre Léessedi nous attend.

- Nous sommes prévenus. Entrez.

La porte pivota vers l'intérieur et les trois hommes pénétrèrent dans la salle d'audience. Hank était très nerveux à l'idée de rencontrer un personnage aussi important.

- Comment est-ce que je dois me tenir ?

- Comportez-vous avec déférence. Mettez un genou à terre et attendez avant de vous relever. Ne parlez que si on vous pose une question.

Hank tremblait légèrement. Il épousseta sa veste, qui accusait trois semaines de crasse, et dans un geste totalement inutile, tenta de se coiffer, ce qui n'eut d'autre effet que de mettre de la poussière dans ses cheveux. Le vieil homme-corbeau le regardait faire et pour la première fois, Hank crut voir un sourire se dessiner sur son visage.

La salle d'audience était somptueuse. Le sol était en marbre blanc et les murs étaient drapés de tentures qui représentaient ce qui semblait être de hauts faits de l'histoire des revanis. Sur l'une d'elles notamment, on pouvait voir un revani combattre un ours monstrueux, au moins deux fois plus grand que lui. Ce même ours gisait désormais la gueule ouverte sur le sol de la grande salle, juste au pied du trône. Le trône qui présentait une drôle de particularité. Alors que tous les meubles de la salle étaient anciens et faisaient sentir le poids des siècles passés, le trône semblait quasiment neuf. Hank l'aurait peut-être remarqué s'il n'avait pas été sous le choc en découvrant la personne assise devant lui.

- Sin fo ?

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