Les Écrits

une histoire de Vadkraam, chapitre quatre

 

- J’en ai assez !

Ce cri venait de déchirer la quiétude de la forêt. Il fut immédiatement suivi d’un rire franc et chaleureux.

- Assez ? Assez de quoi ?

- Tu te moques de moi Reg’liss ? Réfléchis une seconde, réfléchis bien ! Qu’est-ce qui peut m’énerver à ton avis ? La faim ? Le manque de sommeil ? Le fait que nous soyons perdus dans cette fichue forêt depuis bientôt huit jours ? Ou encore l’odeur nauséabonde dont je n’arrive pas à me débarrasser depuis que nous avons traversé ce marais hier, tu sais celui sur lequel nous sommes tombés en suivant ton fichu cours d'eau.

Reg’liss repartit dans un fou rire.

- Connaissant ta situation de petite fille bourgeoise, je parierais sur l’odeur.

Il se vit recevoir pour toute réponse un coup de poing sur l’épaule. Il tourna la tête pour regarder Sin fo marcher derrière lui d’un air boudeur, et sentit soudain le sol qui se dérobait sous ses pieds. Ils avaient enfin atteint la lisière de la forêt, et Reg’liss dévalait en roulant une colline abrupte. Après quelques minutes à rebondir et être ballotté comme une poupée de chiffon, il finit sa course dans une mare visqueuse à l’odeur pestilentielle. Sin fo arriva jusqu'à lui en pouffant.

- Et que pense le courageux garçon de ferme de cette odeur ci ?

Reg’liss s’essuya le visage du mieux qu’il put avant de répondre.

- Je crois qu’elle est tout à fait supportable, mais puisque ça te ferait plaisir, on peut prendre un peu de temps pour se laver.

Et ils se mirent à rire comme deux enfants après une bêtise. Mais une voix grave les ramena à la réalité.

- Et moi je crois que vous allez déguerpir de chez moi vite fait si vous tenez à la vie !

Un vieil homme voûté les tenait en respect avec sa fourche. Son visage trahissait une peur certaine, mais il ne semblait pas décidé à céder un pouce de terrain. Le premier réflexe de Sin fo fut de porter la main au fourreau mais Reg’liss l’en empêcha du regard.

- Vous êtes sourds ? Partez ou vous allez avoir affaire à moi.

Reg’liss se leva doucement et tenta d’apaiser le vieil homme.

- Calmez vous, on ne vous veut aucun mal.

- Vous débarquez chez moi armés et vous voudriez que je vous croie ?

- S’il n’y a que ça qui vous dérange…

Reg’liss défit son arc et son carquois et les jeta aux pieds du vieil homme. Après un moment d’hésitation, Sin fo en fit de même avec son cimeterre. Mais elle conserva son poignard caché par mesure de prudence. Reg’liss reprit.

- Vous êtes le seul à tenir une arme maintenant, ça prouve notre bonne foi.

Mais le vieil homme était toujours sur la défensive.

- Qu’est-ce que vous faites chez moi ?

- Nous ne l’avons pas fait exprès monsieur. Cette fois c’était Sin fo qui avait répondu. Elle continua.

- Nous ne savons même pas qui vous êtes, ni où nous sommes. Nous étions dans la forêt depuis des jours et nous sommes descendus par la colline. Nous sommes perdus et nous avons besoin d’aide.

La douce voix de Sin fo réduisit à néant la méfiance et la crainte du vieil homme. Il baissa enfin sa fourche.

- Bon venez, je vais vous donner de quoi vous laver un peu, vous êtes dans un drôle d’état. Ensuite vous me raconterez toute votre histoire.

Dans la soirée, les deux jeunes gens étaient attablés dans la cuisine du vieux Berg. Celui-ci déposa trois assiettes d’un ragoût fumant devant eux et vint s’asseoir à leurs côtés.

- Mangez, ça peut pas vous faire de mal dans l’état où vous êtes. Alors comme ça vous êtes amnésiques ?

- C’est exact, répondit Reg’liss. Il jeta un coup d’œil à Sin fo. Ils avaient convenu un peu plus tôt de ne pas parler de l’étrange trou noir, ni des évènements du tournoi qui s’étaient déroulés juste avant. Tout cela paraissait trop absurde pour être crédible. Eux-mêmes ne se l’expliquaient pas totalement.

- Notre dernier souvenir remonte à une semaine. A part ça, des sensations, des flashs, et la certitude que nous sommes amis.

Sin fo s’en voulait de mentir au vieux Berg, mais elle continua de jouer son rôle.

- Et un mot. Ts’ing Tao. Cela ressemble au nom d’une ville… Peut-être cela vous évoque-t-il quelque chose ?

- Non désolé, ça ne me dit rien. Mais c’est un petit village ici, on est coupés de tout. Allez voir à la ville, vous trouverez sûrement des renseignements.

- Comment s’y rend-on ?

- Il suffit de suivre la route de la vieille forêt. Rassurez vous, pas celle d’où vous venez, ajouta-t-il en voyant la mine déconfite de ses convives.

La soirée se poursuivit par des légendes du village dont Berg voulut leur faire le récit, puis Reg’liss et Sin fo prirent congé.

 

Ils décidèrent de rester quelques jours chez le vieux Berg, afin de se reposer avant de reprendre la route. Le matin du troisième jour, ils sortirent faire des commissions pour leur hôte. A leur retour, une désagréable surprise les attendait…

Ils frappèrent à la porte mais personne ne répondit. En entrant, ils découvrirent la maison saccagée, tous les meubles retournés, et la vaisselle brisée dans la cuisine laissait clairement entendre qu’il y avait eu lutte.

Nos deux héros furent tirés de leur stupeur par le claquement de la porte. Avant qu’ils aient pu réagir, cinq hommes armés les encerclèrent. Le plus petit et le plus large des cinq, celui qui semblait être le chef, s’adressa aux autres d’une voix qui ressemblait à un grognement.

- Deux gamins dans la maison. On dirait bien qu’on les a trouvé. Emmenez-les !

Désarmés, Sin fo et Reg'liss ne songèrent même pas à résister. Ils furent conduits à travers toute la ville, et arrivèrent finalement à une bâtisse sinistre dont les rares fenêtres étaient pourvues de barreaux. Cédant à la peur qui le tenaillait, Reg’liss s’écria :

- Quel est cet endroit ? Pourquoi vous…

- Silence ou je te tranche la langue ! s’emporta le soldat qui était le plus près de lui. Sin fo tenta de calmer Reg’liss.

- Il s’agit sûrement d’une erreur. Nous n’avons rien à nous reprocher, alors nous n’avons rien à craindre.

Après quelques minutes passées dans un dédale de couloirs et d’escaliers, ils furent jetés sans ménagements dans une cellule sombre et froide. Ce n’est qu’une fois les soldats partis que les deux jeunes gens aperçurent une silhouette étendue sur la paillasse. L’homme à l’aspect misérable qu’ils avaient sous les yeux n’était autre que le vieux Berg. Il tremblait de tout son corps, et son visage tuméfié ne laissait aucun doute sur le traitement qui lui avait été réservé. Incrédule, Reg’liss lui demanda ce qu’il lui était arrivé. Le vieux Berg lui répondit d’une voix faible.

- Les soldats… Ils sont venus chez moi peu après votre départ. Ils surveillent tout le monde. Ils ont… Ils ont trouvé vos armes. J’ai tenté de fuir, mais ils étaient trop nombreux. Ils voulaient savoir pourquoi j’avais des armes chez moi. Je… Je suis désolé, je leur ai dit qu’elles étaient à vous.

- Mais que vont-ils faire de nous ?

- Rien de bon je le crains…

A cet instant, deux soldats pénétrèrent dans la cellule et saisirent le vieil homme. Celui-ci regarda Sin fo et Reg’liss et les supplia une nouvelle fois de le pardonner, avant de disparaître dans les ténèbres de la prison, encadré par les deux soldats. Quelques minutes plus tard, des voix se firent entendre de l’extérieur. Sin fo et Reg’liss grimpèrent tous deux sur la paillasse pour regarder par l’ouverture qui se trouvait au sommet du mur. Celle-ci donnait sur une large cour pavée. Leur regard situé au niveau du sol de cette cour, Sin fo et Reg’liss virent les deux soldats traîner le vieux Berg, qui se débattait de toute la force dont il était capable. Il fut adossé au mur du fond, puis mains derrière le dos, les soldats l’enchaînèrent à un anneau de fer qui pendait au mur. Reg’liss regardait la scène en silence, dans un état de panique extrême. Il savait au fond de lui ce qui allait se produire, bien qu’il n’osait l’imaginer encore. Il se tourna et vit que des larmes coulaient sur les joues de Sin fo.

L’homme trapu qui avait arrêté les deux jeunes gens était présent également. Il s’adressa à Berg de sa voix rauque.

- Sillas Berg, vous êtes accusé d’avoir accueilli des étrangers et de les avoir aidé à cacher des armes, mettant ainsi en péril la sécurité du village. La sentence est applicable immédiatement.

A peine avait-il fini sa phrase que Berg s’écroulait sur le sol, mortellement touché par l’estocade des deux soldats. Un nuage de poussière explosa soudain. Sin fo venait d’user de son pouvoir pour ouvrir en deux le mur de sa cellule. Des larmes continuaient de perler à ses yeux, mais la flamme de son regard rappela à Reg’liss le cauchemar qu’il avait fait dans la forêt. Sin fo sortit vivement dans la cour et se jeta sur un des soldats désorientés. Elle parvint à le désarmer, mais le soldat entreprit de se défendre à mains nues. Reg’liss ramassa une pierre sur le tas de gravats et lui assena un coup sur le crâne. Sin fo se saisit de l’épée qui gisait au sol avant de s’adresser à son ami.

- On s’occupe des autres et on s’en va !

Voyant le deuxième soldat courir vers eux, Sin fo fit surgir une colonne de pierre qui le frappa à l’estomac. Le soldat s’effondra sous le choc. Reg’liss en profita pour s’armer, puis il alla prêter main forte à Sin fo, qui était déjà aux prises avec l’homme trapu. Ayant l’avantage du nombre, nos deux héros parvinrent à le coincer contre le mur du fond. Ils étaient maintenant à côté de la dépouille de Berg. L’homme lâcha son arme et tomba à genoux. Il supplia ses adversaires de l’épargner. Sin fo explosa de colère.

- Vous avez fait tuer un innocent ! Vous ne méritez pas ma pitié !

Elle leva sa lame, s’apprêtant à porter le coup fatal, mais Reg’liss lui saisit le bras.

- Arrête ! Si tu fais ça, tu es comme lui ! Tu n’es pas une meurtrière !

Sin fo baissa son arme et éclata en sanglots. Le soldat ricana.

- La gamine fait du sentiment, on dirait.

En entendant ces mots, Reg'liss lui enfonça son épée dans l’épaule jusqu’à la garde.

- Je ne laisserais pas Sin fo souiller son âme pour une ordure de ton espèce, mais personnellement, je n’aurais pas autant de scrupules.

- Reg'liss, on s’en va maintenant, avant que des renforts n’arrivent.

Elle ouvrit un trou béant dans le mur extérieur, et ils s’enfuirent en courant dans les rues pleines de badauds.

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