L'éthique sur la paillasse ...ou l'aporie bioéthique

Extrait de L'éthique sur la paillasse ...ou l'aporie bioéthique de Jacqueline Wautier

Section II

Transgenèses, métamorphoses et éthique multipolaire.

 

A- Ex folio :

1 - la mort d’une idole (juillet 2009) :

Michael Jackson est mort et, après le coup de tonnerre, reste la stupéfaction – comme un grand vide. Restent les larmes, comme un torrent qui creuse son bassin de déversement. Reste aussi, parfois, l’hystérie des jeux de rôle(s) plus affecté(s) que réellement ému(s). Salut l’artiste donc : ta voix n’est pas éteinte. Dommage cependant que nul ne l’entendit quand, gamin, tu passais des lieux mal famés aux espaces trop sacrés – des chairs étalées à la chair condamnée… Nonobstant, au-delà du drame humain, la situation est particulière car l’homme est un concentré paradigmatique de l’époque : chanteur et bête de scène, certes. Créateur génial, évidemment. Mais aussi, à l’image de nos imaginaires et de nos projets prométhéens, une chimère.

Enfant déjà : coupé, ballotté, entre les bastringues d’un père dit violent et l’Eglise d’une mère dont on sait peu de chose. Coupé, tiraillé, entre l’enfance naïve et la maturité calculatrice – l’enfance volée qui s’accroche, la maturité apeurée qui s’encourt (Bambi face aux loups, Peter Pan devant ses doubles maudits). Coupé, schizoïde, entre le noir et le blanc (blanchiment volontaire ou non, c’est encore plus troublant). Entre la solitude et la multitude, l’ouverture et l’enfermement, l’angélisme et la perversion. Coupé, hésitant, torturé, entre le sexe que l’on désigne, que l’on touche, provoquant, presque étonné (je suis un garçon – bad boy ?) et le sexe toujours (déjà ?) éteint. Entre l’enfant que l’on a (par insémination artificielle ???) et l’enfant que l’on fait (ou pas : sans relation réelle à l’altérité féminine). Coupé, dépecé, entre le corps que l’on est et le corps que l’on a. Corps en l’occurrence nié, effacé, défait – morceau par morceau, avant l’anéantissement final. Jackson, c’est l’image de cent et une négations, et autant de mises à mort de soi, de refus du corps, de pertes identitaires. C’est nous, ou l’avenir qui se profile : indifférenciations, solitudes, chaos…. Reste alors une question : sur qui pleurons-nous ?

 

2 - la mode est au ventre plat… :

Alli ? Vous connaissez ? Pilule miracle contre l’obésité («des qui bouffent trop» s’entend). Planche de salut des mal en point (de coté, après la course ?), mal dans leur peau (trop large, mais «s’en ont pas d’autre»). Bouée de sauvetage (pour ceux qui n’en veulent plus de cette «bouée-là»). Contre la graisse des repas sans âme et sans limite. Contre le manque qui s’enivre de trop pleins. Contre la fesse rebondie et la cuisse piquetée : le maillot est trop étroit, l’estomac trop grand, les idées trop figées et le cœur trop à l’étroit. Parce que c’est tout de même la préoccupation principale, paraît-il, de la plupart des femmes et de nombreux hommes. Oui, bon, faut préciser tout de même : on parle de pays riches, souvent occidentaux, en temps de paix, hors attentats, entre deux pauses publicitaires – et de tout individu lambda normalement ( ?) constitué (pas en deuil, pas vraiment malade, pas trop invalide, pas encore chômeur et pas surendetté…). «Normalement  constitué» donc : lui (sûrement), moi (parfois), vous (peut-être). Et tous d’asseoir nos embonpoints sur quelques squelettes lointains –ressurgissant ici ou là lors d’une collecte adoucissant alors d’un instantané la bonne conscience de notre mauvaise conscience. Et tous de danser sur l’argent de nos dettes morales, de leur ruine réelle. Sur le tas de nos déchets, de leur mort. Sur leur sang qui coule, leurs enfants qui meurent, leur mer qui se vide, leur terre qui s’empoisonne.

«Ventre plat», disais-je: des mannequins ondulantes ou supposées lascives portant sur la ligne imaginaire du rêve quelques tissus précieux (je ne vois que cela pour expliquer la démarche, ou alors elles serrent leurs fesses affamées, prises d’un besoin pressant ?). Ventre plat des régimes cocaïnes ou des diètes protéines – photos retouchées quand même, entre deux vomis. Ventre plat des ado, des ménagères et des bergères (juste pour la rime) : dans leurs fantasmes, entre les rayons débordants des supermarchés – loin des incinérateurs, loin des décharges, loin des strates infâmes qui s’empilent à même le sol. Et à mille lieues des corps décharnés qui y errent en fantômes besogneux. Ventre plat des people, des carriéristes, des psychotiques. De toutes celles qui, loin du désir de l’autre, désir d’un autre, désir d’enfant, nourrissent l’exigence pulsionnelle d’un bébé-objet : objet narcissique et fantasmatique, objet-reflet (miroir ou mirage), objet marchand ou marchandé (des entrailles d’une autre). Ventre plat et vide de l’utérus artificiel… quand la technique nous dessine un avenir radieux  de conquêtes (autres possibles, autres organisations, autres valeurs et autres univers) - mais il y a les décrépitudes et les misères, les guerres et les concurrences débridées…. Catastrophes naturelles, épidémies planétaires, inégalités…. Ou encore, pollutions, disettes, famines – et ventres vides. Ventre plat des anorexiques, qui en crèvent. Crèvent du mensonge général et du profit très commercial. Et de leurs propres angoisses déformées – pour le moins autant que cette image (d’elle-même) qui explose en leur tête. Ventre plat, encore, des sans projet, sans élan, sans passion. Et qui traînent leur train-train bien couverts du costume taillé par leur père. Ventre plat de ces villes-solitudes où tous s’emmurent en des tours virtuelles. Ventre dégonflé, partout, des sans couilles : qui baissent les bras, et la tête, et le reste. Apeurés par les vagues possibles d’une conversation, d’un avis ou d’un soupir. Effrayés d’un rien : d’un toussotement (avec la grippe, mon bon monsieur…) ou d’un accent (et Oussama, vous en faites quoi ?). Horrifiés, crucifiés : par tous les risques, tous les dangers – de refroidissement, de vol ou d’abus, et de corruption (de la jeunesse, par la jeunesse – ah de leur temps !). Aux aguets donc, toujours ; mais qui ferment les yeux quand la planète brûle ou quand des hommes se noient, tombés d’un rafiot ballotté par les flots lors même qu’ils tentaient de fuir la guerre ou la misère. A l’affût, sur leur garde, mais qui se bouchent les oreilles quand des ventres ballonnés crient famines, quand des ventres déchiquetés crient à l’aide… Ah oui, c’est vrai, la mode est aux ventres plats ! La question persiste : sur qui pleurons-nous ?

& aussi