Christine Cayol est une philosophe spécialiste de la pensée et de l'art chinois. Elle publie pour la première fois un roman, L'amour est un thé qui infuse lentement (Hervé Chopin), qui évoque l'histoire d'amour entre un Chinois et une Française. Un texte qui permet de croiser deux regards et deux conceptions différentes du monde. Un écho à la propre rencontre de l'auteure avec la Chine. Elle nous en explique les affinités particulières.
Légende photo : Christine Cayol photographiée dans l'annexe du Musée Guimet © Olivia Phélip
Christine Cayol qui est philosophe est une spécialiste de la pensée chinoise qu'elle ne finit pas d'explorer depuis 20 ans. Elle a fondé Synthesis, un cabinet de conseil, ainsi que Yishu 8, un lieu unique dédié à l’art et à la culture à Pékin. C'est peu de dire que L'amour est un thé qui infuse lentement se nourrit de ses différentes connaissances.
Christine Cayol a écrit un roman, construit comme un texte mythologique. Son personnage central, Chao, est chinois. Sa grande Odyssée est celle de venir en France. Tel un Ulysse des Temps modernes, il porte en lui la fatalité d'un destin et la force d'une vision. Voilà comment il se présente :
« De moi, il me faut quand même préciser une chose objective qui ne me définit pas en propre, mais m'ancre dans une façon de vivre et de penser : je suis chinois. Personne, en dehors bien sûr de mes compatriotes, ne peut deviner ce que cela comporte non seulement d'obligations, mais aussi d'émotions transmises, une conscience familiale et cosmique, le silence lourd d'une commune destinée, comme cela existe peut-être dans certaines familles juives. » ( p.13 )
Autre trait particulier et non des moindres : son visage a été abîmé par un accident. Il est défiguré. Il sait qu'il devra vivre ainsi, avec un visage coupé en deux, Yin et Yang. Il pense que sa vie sera toujours bloquée « sous l'effet d'un miroir invisible ». Il quitte Pékin en 1991, contre les désirs de sa famille, pour se rendre à Paris où il va enseigner le mandarin. Ainsi commence le récit.
C'est dans cette ville peuplée de jardins et de statues, où coule un fleuve mythique, la Seine, ruban de vie et miroir du ciel en mouvement, que va se produire sa rencontre avec Inès, une jeune psychologue, mère de deux enfants. Une rencontre placée tout de suite sous le signe du «Yuan Fen, rencontre prédestinée voulue par le ciel» :
« C'est à Paris que s'est produite la rencontre, lorsque quelque chose ou quelqu'un vous appelle et qu'en lui répondant vous entendez votre propre cri, celui que vous reteniez tout près, depuis le commencement, comme l'eau dans une écluse, et qui vous trahit dans la façon que vous avez de vous tenir ou de marcher. » (p. 11)
On comprend très vite que l'échange entre Chao et Inès, va les opposer et les rapprocher en même temps. Les deux amoureux vont affronter incompréhension, rythmes et représentations contradictoires. Ce thème du vis à vis culturel n'est pas nouveau en littérature. Il est ici une manière incarnée de poser le cadre d'une confrontation entre Occident et Asie. Emotions cosmogoniques contre sentiments volontaires, pudeur de l'allusif contre expression rationnelle...entre Chao et Inès se joue une danse des formes et des mots, une musique aux variations successives. Leur relation traverse le singulier pour atteindre l'universel. A l'autre bout de chacun, se trouve un morceau de l'intelligence d'eux-mêmes et du monde. Ils rejoignent les éternels amants de l'histoire littéraire, qui ont dû traverser adversité et épreuves pour se trouver, à la vie, à la mort.
Christine Cayol répond à nos questions au Musée Guimet, où elle se sent comme chez elle.
Légende photo : capture d'écran d'une vidéo France Télévisions
-Christine Cayol : Je ne voulais pas risquer de me projeter dans le livre de manière trop personnelle. Il me semblait important de conserver une distance avec mes personnages. C'est pourquoi en choisissant un homme, Chao, je me forçais d'emblée au pas de côté. Je l'ai imaginé à partir de plusieurs personnes de mon entourage. Si bien qu'il est réaliste sans être réel.
-C.C. : Les clichés ont souvent la vie dure. Lorsque deux personnes se rencontrent et qu'elles proviennent de deux cultures si différentes, il y a inévitablement une confrontation. Elle devient dialogue, partage. Là se situe la véritable rencontre. Par exemple, nombreux sont ceux qui croient que les Chinois, qui sont très pudiques dans l'expression de leurs émotions, n'en éprouvent pas. C'est faux naturellement. Par l'intermédiaire d'un personnage incarné, j'ai pu montrer qu'au contraire, ils possèdent une sensibilité puissante, reliée au monde et à la nature en général. On pourrait dire que Chao insuffle une poésie de la relation. Inès va devenir une amoureuse portée par le souffle de cet appel du ciel en quelque sorte. Chacun va s'ouvrir à l'autre et se nourrir réciproquement.
-C.C. : Dans mon précédent livre, j'ai montré combien les Chinois ont un autre rapport au temps. Ce qui concerne aussi bien leur conception de l’organisation, de la vie, de l’avenir – diamétralement opposé au nôtre – plus efficace, plus libre, plus spirituel. Sans renoncer au progrès, les Chinois puisent dans leur culture traditionnelle une discrète sagesse du temps. Cette agilité du temps chinois est une source d’inspiration pour tous ceux qui savent que c’est en guérissant de la maladie du temps que l’on assumera notre responsabilité du monde à venir. Ce qui s'applique au monde économique s'applique aussi à une relation intime. Inès planifie quand Chao accueille. Inès se révolte quand Chao accepte. Lentement, profondément, notre société qui veut aller vite partout, oublie parfois ces vertus de l'attente et de la «décoction des âmes».
-C.C. : Il est vrai que la première fois que je suis venue en Chine, j'ai été saisie et transportée. C'est de l'ordre de la rencontre. Il y a une part d'irrationnel peut-être ? Au début, je me suis presque perdue. J'avais du mal à ne pas me laisser happer par ce monde si profondément différent du nôtre et ne pas ciller sur mes bases. C'est pourquoi j'ai toujours travaillé dans l'idée du dialogue, que ce soit en accompagnant les dirigeants ou avec les artistes. Il ne s'agit pas de se renier ou de s'oublier.
La rencontre amoureuse entre Chao et Inès est bien de cet ordre. Agrandir son regard, décoller d'une réalité prédéterminée, mais à aucun moment renier sa culture originelle. Comme le dit la philosophe Simone Weil : «L'enracinement est le besoin de l'âme.». Ce n'est pas parce qu'on regarde le ciel ou le fleuve que l'on perd son enracinement. Au contraire, on le retrouve. On se retrouve.
> Christine Cayol, L'amour est un thé qui infuse lentement, Editions Hervé Chopin, 272 pages, 19,50 euros >>Pour acheter le livre, cliquer sur ce lien
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