L'autoportrait de François Cérésa

A l’occasion de la sortie de son livre, « Mon ami cet inconnu» (Editions Pierre-Guillaume de Roux), François Cérésa, livre pour Viabooks son autoportrait par le texte et l’image.
Réalisation Annick Geille


1. Où est prise cette photo inédite de vous et par qui ?

Photo prise dans les Vosges par ma femme Ariane, devant un portrait d’un colonel de cuirassier sous l’Empire. A cette époque, on se mordait moins les oreilles. Les cavaliers avaient du courage, du tempérament, du caractère, de la mélancolie (ce bonheur d’être triste, comme disait Hugo), tout ce qui manque cruellement à notre époque. La photo avec le portable ? Quand j’essaye moi-même de me prendre en photo, on dirait Quasimodo. Je ne comprends rien à cette technologie moderne qui nous empêche d’aller pisser en toute sérénité. Big Brother est partout. Le stylo et le papier, rien de tel. Dans le mot stylo, il y a style. Dans le mot numérique, il y a numéro. Bien vu. Nous sommes des numéros.

2. Vous êtes écrivain, depuis quand et pourquoi? A quels extrêmes de la joie ou du malheur vous a conduit cette nécessité intérieure ?

Je suis écrivain depuis toujours. Si je n’avais pas été écrivain, j’aurais été militaire ou médecin. La nécessité intérieure est extérieure. Je ris de me voir si beau en ce miroir ! Sabre au clair !

3. La chose la plus folle que vous avez faite par amour de la littérature - la vôtre et/ou celle des autres ?

La suite des « Misérables ». J’aurais mieux fait de me retenir. L’exercice a été considéré comme périlleux, ce qui est vrai, et comme prétentieux, ce qui est faux. Prétentieux, ce serait de faire la suite de « La recherche » ou du « Voyage »… Moi, je suis resté dans le romanesque. J’ai ressuscité Javert ! Roman de cape et d’appétit ! 

En fait, la folie, c’est l’exercice. L’exercice se suffit à lui-même Gros égotisme. Un Chateaubriand du radis-beurre. Prendre de bons produits, bien tartiner, bien présenter, se la croquer tranquille… Quoi qu’il en soit, on fait une suite (plutôt une fuite), on essaye de le faire bien, de rendre hommage, de faire comme tous ceux qui l’ont fait depuis la nuit des temps, de reprendre un héros créé par un autre (comme La Fontaine avec Esope, Nimier avec Dumas, Joyce avec Homère, Tournier avec DeFoe, etc.), et on se fait aligner par des aigrefins qui s’érigent en gardiens du temple. Patatras ! On se ramasse. Mon Hugo est surdimensionné, je les emmerde !

4. Votre premier livre, déjà ?

« Le cimetière des grands enfants. » Louangé par Simone de Beauvoir, Jacques Laurent, Louis Nucera, Alphonse Boudard, Claude Roy, Jean-François Josselin, Gérard Guégan, Jérôme Garcin, Patrice Delbourg… C’est bon, un peu d’autosatisfaction… Aujourd’hui il y a Ruquier, Cauet, Hanouna… Cromacouille de mes deux gnons !.. Rigolade. Un cimetière, c’est bien ça. Qui connaît encore Laurent, Roy, Boudard, Nucera, Josselin ? Des aventuriers de l’âme perdue.

5. Pourriez-vous nous dire vos intentions lorsque vous avez commencé d'écrire  « Mon ami, cet inconnu »

Pars après moi, c’est tout. Faire souffrir, c’est toujours se tromper. On ne passe son temps qu’à se tromper. 

6. La première phrase ? 

 « Cette année-là, il n’y a pas à dire, le prof d’anglais m’avait bien coincé. »

7. La dernière phrase ?

« Sa dernière vantardise avant l’inconnu. »

8. La quatrième de couverture ?

« Pour toi, les paillettes. La fiesta à tous crins. L’oubli. La démesure. Le délire. La peinture à coups de bite. Seulement notre disponibilité n’était plus la même. Ça te déplaisait. La famille. L’embourgeoisement. Tu as rué dans les brancards. Face à la solitude, tu n’osais pas réveiller l’émotion qui dort. L’insolence l’emportait. Tu t’es enfermé dans la posture. Je peux te le dire maintenant. On s’est trompés. On croyait que tu aimais tellement la vie. L’autre jour, Jacquot m’a dit que dans nos cœurs, il y a le cœur de nos disparus. Cela ne suffit pas. Je le sais. « Ne t’en va pas, ma force, ma faiblesse, ne t’en va pas. » Tu connais ça, hein ? L’un court, l’autre a des ailes. Ce n’est pas du Dostoïevski. Quel idiot. Le ténébreux, le veuf, l’inconsolé. Non, c’est nous. Voilà où l’on en est. » Le portrait d’une jeunesse déjantée dans le Paris des années 70. L’histoire d’une amitié perdue retrouvée au fil de la vie. Et la descente aux enfers de Nanard. Le plus fragile des sept copains. Celui qui devait mourir. Un récit truculent, poétique et plein de larmes. Par l’auteur d’Antonello Léonard de Vinci et moi (Plon, 2011) et de La Vénus aux fleurs (Robert Laffont, 1990).

9. La  numérique, une opportunité pour l'auteur, ou une défaite ?

Je m’en fous.

10. Quel est l'état présent de votre esprit peu après la parution de « Mon ami, cet inconnu » ?

Etat stationnaire. Mon ami d’enfance est mort, il s’est pendu.

Et moi, je ne suis pas pendu aux gesticulations d’une presse qui ne bande qu’au romantisme de l’égout. L’égout surdimensionné (voir plus haut le jeu de mot employé une première fois, ce qui dénote chez moi un manque d’originalité inquiétant), voilà la bonne trique des médias audiovisuels.  Beurk !

(Propos recueillis par A.G.)

 

L'autoportrait de Viabooks. A l'initiative d'Olivia Phélip, directrice de Viabooks, la romancière, critique et journaliste Annick Geille propose l'exercice de l’autoportrait par le texte et l’image. Un passionnant jeu de miroirs entre l'auteur et lui-même. L'ensemble des autoportraits réalisés par Annick Geille compose en quelque sorte le premier cercle littéraire virtuel des écrivains d'aujourd'hui.(Photo: Maurice Rougemont-Opale/Fayard).

 

 

 

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