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Rencontre avec Ida, dessinatrice de «Kamalari»: l'histoire d'Urmila Chaudhary, l'ancienne enfant esclave au Népal devenue ambassadrice

Le 21 octobre dernier, la Népalaise Urmila Chaudhary a reçu des mains du secrétaire d'État américain Antony J. Blinken, le Global Anti-Racism Championship Award 2024. L’ancienne enfant esclave est devenue une personnalité de premier plan pour son engagement en faveur de l'abolition de l'esclavage. Ce destin exceptionnel a inspiré Nicolas Antona et Ida, qui en ont fait l'héroïne d'un des romans graphiques les plus marquants de l'année : «Kamalari» (Michel Lafon). Ida, invitée au 41ème Festival bd BOUM de Blois les 22, 23 et 24 novembre 2024, a répondu à nos questions.

«Kamalari», l'histoire d'une ancienne enfant esclave devenue ambassadrice

Vendue par ses parents à l'âge de 6 ans pour combler la dette des frais de santé de son père, Urmila Chaudhary est restée kamalari, esclave domestique, jusqu'à ses 17 ans. La jeune femme népalaise milite depuis contre ce système officiellement aboli, mais qui perdure dans son pays. Ambassadrice de l'ONG Plan International, elle a cofondé le Freed Kamalari Development Forum et créé 42 coopératives pour accompagner les enfants victimes du kamalari.

Un système d'esclavage officiellement aboli mais encore pratiqué

Dans le cadre de ce système, pratiqué dans le Teraï occidental du Népal, les filles et les jeunes femmes étaient vendues par leurs parents à des acheteurs plus riches et d'une caste supérieure pour une période d'un an. En 2006, la Cour suprême du Népal a déclaré cette pratique illégale et demandé une compensation de l'État pour éduquer et réhabiliter les anciens kamalari. Le gouvernement du Népal n'a pas respecté cet arrêt et la pratique a continué. La mort suspecte de Srijana Chaudhary, une jeune fille kamalari de 12 ans, en mars 2013, a ravivé le mouvement et donné lieu à des manifestations de masse pour exiger l'abolition effective de la pratique.

Esclavage et enfance volée : une cruelle vérité

Le roman graphique signé Nicolas Antona pour le scénario  et Ida pour le dessin et les couleurs plonge dans la vie d'Urmila avec une profonde empathie, la vraie pudeur d’une vérité crue et la fausse naïveté d'une enfance volée. Engagement, tendresse et détermination sont au rendez-vous de ce Kamalari. Sa dessinatrice a bien voulu répondre à nos questions.

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Viabooks : Ida, votre trait pour Kamalari est à la fois tendre et incisif, associant enfance et réalisme. C'est un écrin parfait pour l'histoire d'Urmila Chaudhary, comment l'avez-vous travaillé ?

Ida : J’ai d’abord fait beaucoup de recherches sur le Népal, sur ses habitants, son architecture afin de ne pas tomber dans les stéréotypes. Kamalari étant presque un huis-clos, Urmila est souvent seule dans des endroits restreints dédiés à ses tâches. J’ai dû user de stratagèmes pour ramener le Népal à l’intérieur. Aujourd’hui, tout le monde a les mêmes meubles, les mêmes vêtements dans le monde entier. J’ai donc fait rentrer des tableaux de temples dans les salons, des vieux meubles typiquement népalais stockés en cuisine par exemple. Et j’ai sauté sur l’occasion de travailler les décors pendant ses rares sorties.

Après les recherches documentaires, j'ai commencé par dessiner librement le Népal, les visages qui m’inspirent, Urmila évidemment… De façon à voir ce qui s'invite sur le papier, car mon crayon a son propre libre arbitre et je dois faire preuve de compromis avec lui. Une fois le trait et la matière choisis - ici des lavis d’encre de Chine plus ou moins forts pour l’ambiance, rehaussés d’aquarelle sépia pour garder de la douceur - le marathon dessiné peut commencer.

Quelles sources graphiques vous ont inspirée ?

Ida : Ma bibliothèque est assez variée, mais je me suis notamment plongée dans la lumière d’Emmanuel Lepage (NDLR : dessinateur, illustrateur et auteur de BD, connu et primé pour ses récits du réel en BD, ses croquis et carnets de voyage), le presque monochrome de Fabrice Meddour (NDLR : autre dessinateur français au trait fin et incisif qui excelle à tisser des histoires sombres dans de superbes et puissants décors), la douceur de Cyril Bonin (NDLR : le dessin de Cyril Bonin, précis et élégant, voyage au gré des récits et passions qu’il pénètre et distille) parmi tant d’autres…

D'autres influences ?

Ida : C’est vaste et pas uniquement sur papier. Le cinéma et les séries sont une vraie source d’inspiration, la mode, les musées, la photo… J’essaie aussi de visiter des galeries BD le plus souvent possible pour nourrir mes yeux. Tout cela forme une influence sans cesse en mutation. Avant, j’étais très attirée par la couleur et dernièrement, j’apprécie de plus en plus les noirs et blancs puissants de Chabouté, Riff, Cuzor…

Pudeur, loyauté et détermination : cette quête de liberté, d'égalité parle encore, malheureusement, au monde d'aujourd'hui. Qu'avez-vous souhaité mettre en avant de ce destin pour votre lecteur ? Et vous, à titre personnel, que vous inspire-t-il ?

Ida : Le scénario de Nicolas (Antona) met en avant sa force de caractère, son endurance son intelligence. Il faut beaucoup de courage pour aller contre une société entière, alors même qu’on est une jeune femme dans sa situation. Cela ne peut inspirer que le respect et l’admiration. Travaillant aussi en tant que professeur de dessin dans tous les milieux sociaux, je vois ici aussi des filles se censurer, parce que fille, parce que pauvre, des familles privilégier l'avenir de leurs garçons… même si nous sommes loin de la situation du Népal. Les droits et la reconnaissance des filles et des femmes restent plus que fragiles. Nous avons encore beaucoup de chemin à accomplir. Coté graphique, j’ai essayé de ne pas tomber dans le drame, cela aurait été très sombre, trop. J’ai finalement préféré la douceur à la fois pour ménager le lecteur et en même temps pour respecter l’impression que j’ai d’Urmila : une grande douceur.

Urmila milite aujourd'hui encore sur le terrain au Népal. Ici, votre BD se fait chambre d'écho à sa lutte : vous-même la portez auprès de vos lecteurs, de jeunes collégiens et lycéens. Quels retours ont-ils sur le sort encore réservé à certains enfants ?

Ida : Beaucoup de jeunes lecteurs sont venus me dire qu’ils n’imaginaient pas que des enfants bien plus jeunes qu’eux subissaient l’esclavage et prennent du coup un peu de recul avec leur propre quotidien. J’ai effectivement l’occasion lors de salons, comme ces 22,23 et 24 novembre par exemple au 41ème bd Boum de Blois et d'ateliers scolaires de parler différence fille garçons, droit à la scolarité. C’est l’opportunité pour moi de faire vivre le livre d’une manière différente. Et le temps d’un atelier, pour des collégiens et lycéens, de s’attarder sur la situation des autres jeunes du monde.

>Kamalari» de Nicolas Antona et Ida, Michel Lafon, 80 pages- 23,95 € >> Pour acheter le livre, cliquer sur ce lien

 

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