Récit fiction "Que font les rennes après Noël?" d'Olivia Rosenthal réfléchit sur l'étonnante énigme des rapports entre les humains et le monde animal. L'ouvrage, paru en août dernier, vient de recevoir le Prix du Livre Inter 2011, remis par un jury présidé par Amin Maalouf.
Cette expérience littéraire propose une série de correspondances avec d'autres disciplines. L'écriture permet ainsi à des mondes au demeurant totalement étrangers de se fréquenter. Rencontre avec une femme-écrivain qui a plus d'une corde à son arc.
Olivia Rosenthal: Depuis longtemps, j'avais envie d'écrire un livre sur les animaux. J'avais un projet sur les rats que je n'arrivais pas à mettre sur pied. Puis, en 2009, dans le cadre de la biennale artistique Estuaire, l'artiste Stephane Thidet a invité une meute de loups à prendre leurs quartiers dans la ville de Nantes. Il a demandé à six écrivains des textes pour un recueil de nouvelles qui s'est appelé La Meute. Pour ma part, j'ai choisi de m'intéresser à l'aspect logistique permettant de faire venir des loups dans une ville. De textes de lois en réglementations en passant par les conseils de sécurité, les codes, décrets et autres arrêtés, j'ai tout épluché et interrogé différentes personnes dont le dresseur de loups. A travers ces entretiens et ces différentes lectures, j'ai intégré tout un univers qui mettait en étroite relation le sauvage et l'humain. Ce texte et ces rencontres sont la matière de Que font les Rennes après Noël et m'ont permis de mener à bien ce livre.
O.R: Oui, j'aime de plus en plus travailler de cette manière avec une série d'entretiens qui me permettent de considérer le réel autrement. Il me semble que la littérature a beaucoup à apprendre de ceux dont on connaît mal les métiers. Pour ce livre, j'ai croisé le chemin de personnes dont j'ai beaucoup appris. A travers les rencontres, il me semble que le réel se développe et devient plus dense. Intégrer ce réel dans la fiction m'intéresse car ceci permet d'assembler ces deux voix qui se font écho. La fiction est toujours façonnée de réel et inversement. L'entretien est encore important dans mon travail car il est un peu comme le début de l'écriture. Les gens que j'interroge me racontent des choses que je transmets à travers mes mots.
O.R- J'ai fait une liste de métiers. Puis, j'ai réalisé une dizaine d'entretiens avec un dresseur, un soigneur, un éleveur, un boucher, des chercheurs en laboratoire, un vétérinaire. Ces rencontres sont la matière de préparation du livre qui se mêlent à des lieux particuliers où je suis allée parmi lesquels des zoos, des animaleries, des laboratoires de recherche publics ou encore des abattoirs. Il s'agissait pour moi de sortir de mon cadre habituel et d'aller taper à la porte du vivant. L'écriture peut servir à faire des ponts entre différents univers. Ces entretiens mettent en jeu la parole de certains que je réinvestis. Les paroles des autres permettent enfin de découvrir des choses sur le monde et sur sa propre personne.
O.R- Ce titre est une question à laquelle le livre ne donne pas de réponse. J'ai une fois de plus souhaité jouer sur le principe du double sens. Dans cette interrogation, se déploie toute une part d'imaginaire nourrie des relations au conte de fée et à la mythologie autour du Père Noël mais aussi un aspect beaucoup plus concret, simplement: comment vivent les rennes après Noël. Là s'exprime le principe de réalité. Les rennes sont aussi des êtres vivants qui vont et viennent. Comment se portent-ils aujourd'hui? Comment et où se situe encore leur part sauvage? Ce titre est une question enfantine. Il renvoie à la part animale de l'enfant. Qu'est-ce que c'est qu'un enfant? Quelqu'un de sauvage qui va peu à peu être domestiqué par la société et l'éducation.
O.R-J'ai voulu mettre en parallèle l'histoire d'une petite fille qui grandit au fil des pages de 0, même avant 0 à 35 ans et des professionnels qui décrivent leurs relations au monde animal. Les êtres humains et les animaux se croisent et s'envoient des échos. Leur lien: l'apparente liberté de l'homme et la soumission de l'animal. Or, les choses ne sont pas si simples. La symétrie entre l'homme et l'animal est troublante. L'homme a l'illusion de la liberté. La petite fille est en effet soumise, dépendante de sa mère puis de son mari. J'ai choisi de parler de détails d'une vie et de l'idée d'imprégnation qui renvoie au principe d'éducation. La petite fille recherche l'émancipation. Elle souhaite posséder un animal. Mais son désir ne sera pas exaucé. J'ai souhaité souligner ici le caractère du principe d'éducation qui engendre un écart entre le désir et sa réalisation. L'éducation est un passage obligé, un certain confort pour vivre en communauté mais comment être éduqué et libre à la fois?
O.R- En effet, il faut savoir par exemple que ceux qui torturent les animaux peuvent aussi beaucoup les aimer mais cela peu de gens le disent. Même en rendant les choses de la manière la plus anonyme possible, le fait de donner la mort n'est jamais anodin. Les choses sont sans cesse doubles. J'ai souhaité questionner les frontières pour interroger l'humanité . D'autre part on partage sans cesse son territoire avec les animaux. Le parallèle entre l'enfant et l'animal se lit encore à travers le fait que les deux sont dominés par les instincts. Or que faire de ses instincts, faut-il les réprimer ou les suivre?
O.R- Oui, j'ai souhaité nourrir le fil du récit de phrases que je me suis amusée à scander en variations et avec lesquelles j'ai joué: "l'homme est un loup pour le loup", ou "l'homme est un homme pour l'homme". J'ai cherché un rythme comme un flux de pensée. Dans les entretiens que je fais, j'écoute et je réécoute les personnes interrogées. Ce sont leur intonation, leur souffle qui ont donné le rythme au texte. J'ai construit mon texte sur l'alternance entre un récit à la première personne du professionnel des animaux et un autre à la seconde personne du pluriel relatant l'évolution de la petite fille.
J'ai toujours beaucoup aimé aller au cinéma. Plus jeune, je pratiquais avec beaucoup d'assiduité les salles obscures. Ce qui me passionne avec le cinéma s'inscrit dans la question de l'identification. Pourquoi s'identifie-t-on tant aux personnages de cinéma? Bien davantage qu'en littérature, on entre dans la peau de tel ou tel acteur. C'est très curieux. J'ai par ailleurs écrit le film Les Larmes qui questionne le fait que je ne peux m'empêcher de pleurer lorsque je voie Les Parapluies de Cherbourg.
O.R- L'écriture me permet encore de tisser des liens avec d'autres disciplines. Ainsi, j'ai monté une performance autour du film de Jacques Tourneur, La Féline en Octobre 2009 avec Laurent Larivière, intitulée La Peur où je m'interroge sur les raisons de la peur que ce film provoque en moi. Je trouve intéressant de créer des liens entre la performance, le cinéma et la littérature car cette dernière n'est pas réductible à un espace particulier. La Féline de Jacques Tourneur, King Kong mais aussi Rosemary's Baby de Roman Polanski sont des repères dans l'évolution du personnage féminin et son émancipation. D'autre part, toujours dans cette volonté de tisser des ponts entre les disciplines, j'ai participé à un événement qui s'est déroulé en Seine Saint Denis, à Bobigny où j'investissais l'espace avec des mots. J'ai travaillé avec le plasticien Philippe Bretelle. J'aime l'idée de réfléchir sur la ville comme sur un tissu d'histoires, de mots, de paroles de ceux qui y habitent ou qui y travaillent. Pour ce projet, j'ai là aussi réalisé toute une série d'entretiens avec les habitants sur le mode d'occupation de la ville. C'était pasionnant. La ville pendant un moment est traversée de mots et de paroles qui deviennent visibles.
O.R- En effet, je n'aime pas donner de nom à mes personnages. Je trouve que c'est un peu réducteur. Je préfère identifier une personnalité davantage par son phrasé que par son nom. Le fait de rester dans l'anonymat permet encore de déplacer l'imaginaire et de donner de la fluidité au texte. D'autre part, l'utilisation du Vous dans le texte me permet de prendre de la distance, de ne jamais à aucun moment laisser le texte se prendre au sérieux. Je trouve intéressant le fait que mes textes intègrent aussi une part d'humour et de ludique
O.R- J'aime que le lecteur soit actif et permette au texte d'aller dans un sens ou dans un autre. Il n'y a pas un lecteur que j'ai rencontré qui a lu le même livre. Le lecteur est la pièce essentielle du texte. Pour ma part, j'aime les livres où le lecteur est en situation d'activité. J'interpelle le lecteur afin qu'il fasse un effort et qu'il reconstruise le puzzle de mon propre cheminement dans le texte.
Olivia Rosenthal, Que font les rennes après Noël ?, Verticales.
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