Rencontre

Philippe Lefait : Des mots et des livres

Avec son émission, Des mots de Minuit, Philippe Lefait est l’hôte courtois d’une des rares émissions culturelles de la télévision publique, qui reçoit les artistes sans les brusquer, en créant de véritables moments de grâce. Un rendez-vous hebdomadaire qui  donne à découvrir de nombreux auteurs, tout en accordant sa pleine valeur à leurs textes, lus par la comédienne Alexandra LeMasson. Philippe Lefait a accepté de nous dévoiler les coulisses de son émission. Il nous a reçus dans son bureau tapissé de bibliothèques remplies de livres, de souvenirs et de pages en suspension…

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Viabooks : Avec  votre émission Des mots de Minuit vous considérez-vous comme un découvreur ou un passeur ?

Philippe Lefait : Un découvreur certainement. Un passeur, je l’espère. Je revendique l’éclectisme, la liberté dans nos choix d’invités. Viennent souvent sur notre plateau des écrivains ou des artistes qui passent très rarement ou jamais à la télévision. Ce qui ne nous empêche pas de recevoir des personnalités plus présentes sur les plateaux de télévision. 

VB : Votre émission est l’une des rares à recréer une vraie intimité de plateau. C’est important pour vous cette atmosphère ?

P.L : Essentiel. Nous réalisons l’émission dans les conditions du direct. Nous ne créons pas d’effets d’accélération de rythme artificiels. Chacun écoute l’autre. Nous laissons même une place au silence. Quelques secondes de silence créent une grande intensité, c’est un luxe aujourd’hui à l’antenne. Cette atmosphère particulière est devenue une spécificité, car nous allons à contre -courant du brouhaha et d’une forme d’hystérie dans le divertissement. Nous ne cherchons pas la polémique et laissons le temps à chacun de s’exprimer. Plus un invité se sent à l’aise, meilleure sera la part qu’il prendra à la conversation.

VB : Quel est votre critère pour le choix de vos invités ? [image:2,,m,d]

P.L : Les affinités électives. Notre logique n’est pas de susciter le débat mais de questionner la création. Avec mon équipe, nous essayons d’avoir le choix le plus large, en fonction  des sensibilités et de l’expertise de chacun des membres de l’équipe. Si l’actualité nous guide, la promotion n’est pas une contrainte. Notre registre subjectif nous permet d’inviter aussi bien Charlotte de Turkheim que Jean Echenoz, Daniel Pennac que Claude-Louis Combet ou Charles Juliet.

Des affinités pour un dialogue ?

P.L : Une émission comme la nôtre essaie de favoriser le dialogue, entre les personnes, et entre les disciplines: littérature, musique, arts plastiques… La transversalité est une merveilleuse voie de circulation des énergies, des idées, des émotions…

Pour vous, c’est important de donner envie de lire ?

P.L : Oui, essentiel. Etre à la télévision et parler des livres est une responsabilité et un challenge. Plus généralement, le but est toujours de découvrir chez les invités les ressorts de la création. Comment créent-ils ? Pourquoi créent-ils ? D’où créent-ils ? L’ambition reste modeste : susciter chez le téléspectateur une rencontre avec l’auteur, et lui donner envie de prolonger cette émotion par la lecture du livre ou la vision d’un film, d’une exposition ou d’une pièce de théâtre.

V.B : 
Vous êtes le seul à faire lire des textes par une comédienne ?

P.L : Il s’agit de «sacraliser » le texte par la lecture. Ce que fait Alexandra Lemasson. Ce moment est toujours très fort, car il contribue à la qualité de l’écoute et fédère nos invités. Nos téléspectateurs sont très sensibles à cette proposition. Ils le disent dans leur courrier

V.B.: Avez-vous des souvenirs de grands moments d’émotion en direct ? 

P.L : Pour une émission il y a quelques années, nous étions allés chez Roland Dubillard, très malade. Nous avions réunis autour de lui ses amis, écrivains ou comédiens. Au début de l’émission, tous les invités terminaient systématiquement les phrases que sa maladie lui interdisait de prononcer correctement. Finalement, j’ai essayé de lui donner le temps de sa parole.  Je me souviendrai aussi de la venue d’Albert Cossery, de sa longue silhouette d’oiseau. Une opération de la gorge l’empêchait de parler autrement que dans un souffle. C’est son éditrice, qui le connaissait bien, qui assurait de fait une traduction simultanée du murmure sorti de ses lèvres. Vient le moment où elle ne le comprend pas. Silence… on lui tend un papier et un crayon ; puis il écrit ce petit mot que depuis je garde dans mon bureau : «  Le monde vit sous la pression d’idées reçues que je trouve abominables ». Un plan séquence sans paroles de deux bonnes minutes et un « moment de télévision » réjouissant. Je me souviens aussi d’une rencontre entre Pierre Michon et Jean Echenoz : ils étaient tellement lumineux ensemble, que je me suis  presque dit : «  Je les laisse et je m’en vais ! »

Philippe Lefait se lève et me montre ce petit papier griffonné à l’encre noire avec une écriture élégante un peu désuète

V.B : Quelques récents coups de cœur de lecture ?

P.L : Je viens de terminer Keremma de François Lunel, un texte très court sur la relation amoureuse ; Voyager jusqu’à mourir de Jacqueline Merville que j’avais reçue il ya quelques années années pour un texte écrit après le tsunami de 2004 . J’aime suivre certains auteurs et les accompagner dans leur évolution. Par exemple, j’ai aimé  Celles qui attendent de Fatou Diome. Le récit tendu de l’attente aux pays des mères d’émigrants.  Elle a débarrassé  son texte d’une revendication politique beaucoup plus présente dans  Le ventre de l’Atlantique. Elle a gagné en romanesque. Je dirai de même pour Linda Lê . Son dernier livre Cronos ( NDLR : couronné par le Prix Wepler) est peut être le premier qui ne soit pas directement autobiographique.

V.B : Que pensez-vous des « livres de demain », numériques ou autres formats à venir ?

P.L : J’aime l’objet livre. Mais, j’ai découvert le plaisir d’écouter un livre audio. Avec le livre numérique, on gagne, sur un support très froid, la possibilité de lire un peu partout parce qu’on emportera avec soi sa bibliothèque. Ma crainte concerne l’économie. Si on ne numérise que ce qui est rentable, où ira ce qui ne l’est pas ? Si on vend à bas prix les livres numériques, l’écrivain risque-t- il d’être lésé ? Quelle sera la fonction de l’éditeur ? A l’inverse, nous allons assister à de nouvelles formes de créations littéraires, plus sophistiquées, multimédias.

V.B. : Craignez-vous une logique de masse qui place le lecteur face à un choix impossible ?

P.L : En réalité, quand vous avez 500 chaînes de télévision, vous organisez plus une segmentation de marché que vous n’offrez un véritable choix. Je crains qu’il ne se passe la même chose pour les livres. Qu’on aille au plus facilement lisible.  Reste un incontournable, le temps de la lecture. C’est un acte du temps long et du plaisir. Le contraire du zapping…

V.B: Vous êtes aussi auteur. Quel est votre prochain livre ?

P.L : Je prépare un « Lexique amoureux de la télévision » qui sortira prochainement chez Stock.

En savoir plus

Des Mots de Minuit sur France 2 , une émission culturelle hebdomadaire les Mercredis ou Jeudis, autour de une heure du matin. Présentée par Philippe Lefait.

Le site  de l'émission : 

http://desmotsdeminuit.france2.fr/

Blog :

http://blog.france2.fr/des-mots-de-minuit/

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