"La Straniera"

Stéphanie Vermot-Outhenin : secrets et chuchotements

Avec La Straniera ( La Grande Ourse), Stéphanie Vermot-Outhenin réussit à tisser un récit sur fond de lourde histoire familiale avec une grâce presque joyeuse. Derrière les non-dits qui se révèlent peu à peu, c'est la vie que célèbre cette jeune écrivaine qui s'impose dès son premier livre avec une grande maîtrise. Rencontre.

Portrait de Stéphanie Vermot-Outhenin. Photo : La Grande Ourse

Stéphanie Vermot-Outhenin a l'air presque fragile, avec ses yeux bleus candides et son air de petite fille sage. Ne pas se fier aux apparences. Comme son livre, La Straniera, cette délicate personne cache des trésors de tourments, qu'elle a transmutés en écriture. L'alchimie du verbe vient bouleverser les mots, nous entraîner dans une valse grave et joyeuse à la fois,traversant une histoire familiale hantée par un lourd secret. Nous sommes heureux de rencontrer celle qui fait son entrée fracassante dans le monde des lettres en ce début d'année 2016 avec ce premier texte. Emouvant d'assiter à la naissance d'un écrivain. Presque intimidant de chercher à en comprendre la genèse. Nous rencontrons avec émotion cette docteure en philosophie qui a laissé de côté l'abstraction de la pensée pour se jeter à âme perdue dans l'écriture sensible. 

Genèse d'un texte
 

-Viabooks : La Straniera est votre premier roman. On le sent particulièrement abouti, comme s'il avait longtemps mûri en vous. Comment est né ce projet ? 

-Stéphanie Vermot-Outhenin : Effectivement, je portais La Straniera en moi depuis plusieurs années ou plutôt, le personnage de Marianne, et une partie de son histoire (sa rupture et son besoin de retrouver ses racines après le choc affectif). Indépendamment de ce thème, encore très flou, j’avais aussi en tête des morceaux de l’histoire de Lorette et de Dominique. Aussi bien d’un point de vue littéraire que philosophique, le thème de la culpabilité, de la faute, m’interroge énormément. Quand j’ai compris que l’histoire de Marianne et celle de Dominique et de Lorette étaient liées entre elles par ce thème, j’ai eu le déclic et commencé aussitôt à écrire. Malgré ma formation philosophique, l’écriture de fiction est une évidence ; j’écrivais déjà des histoires bien avant de découvrir et d’étudier la philosophie... La philosophie m’apparaît comme une démarche analytique, qui se tient à distance de la vie pour mieux l’observer, tandis que l’écriture de fiction est instinctive, s’efforce d’aller au cœur de la vie même, d’en rendre le son.

Que diriez-vous si vous deviez résumer votre livre en quelques phrases ?

-S.V-O : Comment survit-on – se reconstruit-on – après avoir commis l’irréparable ?

Que signifie votre titre "La Straniera" ?

-S.V-O :  La Straniera, en italien, c’est l’Étrangère, celle qui vient d’ailleurs. Marianne est étrangère en Italie, mais elle se sent également, à ce moment de sa vie, profondément étrangère à elle-même. La métaphore de l’étrangeté se retrouve tout au long de son histoire : sa mère et son mari se comportent vis-à-vis d’elle comme si elle leur était devenue une parfaite étrangère, elle-même se comporte en étrangère vis-à-vis de son propre fils... même si c’est pour des raisons bien déterminées. J’ai emprunté mon titre à l’italien (même s’il existe deux mots différents dans cette langue pour traduire ce double sens d’étrangère) car Marianne vivant en Italie, elle se pense fondamentalement comme « straniera » plutôt que comme « étrangère ».

Écriture
 

"La Straniera" parle de culpabilité et de transmission, notamment par les femmes. Le "charme" s'arrête justement alors que l'héroïne a un fils, comme si désormais la charge de ce silence ne pouvait plus que revenir en arrière comme un boomerang...

-S.V-O :  Quand j’ai pensé à l’enfant de Marianne, j’ai su, instinctivement, qu’il fallait que ce soit un garçon. Symboliquement, en effet, pour mettre un terme au « charme » dont vous parlez, rompre le cercle... Mais aussi, en quelque sorte, pour rendre aux hommes leur place dans l’histoire, dans la continuité de l’avenir.

La culpabilité s'accompagne surtout et avant tout du secret. Avez-vous lu "Un secret" de Philippe Grimbert ? Finalement le "secret" n'est-il pas en soi extrêmement "littéraire" ? Reconstituer le "passage" manquant, chercher les mots là où il y a le silence... Est-ce ainsi que vous avez construit votre propre écriture ? Comme un espace qui occupe le manque, l'absence...

-S.V-O : Je n’ai pas lu l’ouvrage de Philippe Grimbert que vous mentionnez, mais je pense, comme vous, que le secret (qu’il soit de famille ou non, d’ailleurs) a un rôle clé dans la littérature. Je lis beaucoup de romans policiers, qui sont tous construits sur des secrets dont il faut remonter le fil pour résoudre l’énigme... Il me semble que le mécanisme du roman policier évoque assez fidèlement  celui de la reconstruction de soi dans les périodes de crise où, après le silence fracassant suivant l’explosion, il faut combler le vide, les vides (qui peuvent être les non-dits, les absences, les abandons...)

Votre style est très personnel : donner de la légèreté au récit alors que son sujet central est complexe. Jamais vous ne tombez dans un exhibitionnisme démonstratif. C'est comme si vous écriviez la vie, avant d'écrire une histoire. C'était important pour vous de rechercher cette grâce qui pétille malgré les larmes enfouies ?

-S.V-O : Merci pour ce que vous me dites de mon style ! Le danger, quand on raconte une histoire comme celle de la Straniera, c’est justement de tomber rapidement dans le pathos, le dramatique... ce que je voulais éviter à tout prix. La vie est toujours là, même quand on s’en sent à mille lieues, et c’est précisément d’elle que je voulais parler ! Marianne souffre parce qu’elle se sent éjectée de sa propre vie, parce qu’elle a perdu sa musique intérieure. Se ressaisir d’elle-même, c’est rentrer à nouveau dans la vie, retrouver cette grâce dont vous parlez...

-Quelques citations

-« Qu’est-ce qui reste ? Des fragments de verre brisé dans la lumière du soleil au pied d’un mur effondré de Pompéi peut-être ; sa première vraie photo – qui avait été publiée des années plus tard dans un magazine d’art. Ou alors du sang qui coule derrière ses paupières, une scène entièrement teintée de rouge, comme dans un film de Hitchcock ; la lumière du gyrophare perçant le voile rouge de ses éclats bleus – sa dernière image. » ( p.15)
-« Jusqu’à ce que ça passe, bien sûr. Jusqu’à ce que les larmes se durcissent et se figent comme une pierre dans sa gorge, jusqu’à ce mur d’indifférence qu’elle finit par ériger, au fil des années, entre Dominique et elle. » (p.25)

Confluences
 

Vous vivez entre la France et l'Italie et vous jouez de ces deux cultures. Que vous apportent l'un et l'autre de ces pays ?

-S.V-O :  Quand on vit depuis longtemps entre deux pays, on finit par se sentir un peu « hybride » ! Toutes mes racines culturelles et familiales sont en France, mais c’est en Italie que je vis la plupart du temps. Que je revienne pour quelque temps en France ou que je retourne en Italie, j’ai, dans les deux cas, le sentiment de rentrer chez moi. Je ressens une sorte de continuité intérieure, désormais, entre ces deux pays, entre ma vie en France, ma vie en Italie.

Vous êtes philosophe et devenez romancière. Une double appartenance là-aussi ?

-S.V-O :  La Straniera est mon premier roman, c’est-à-dire mon premier texte ayant abouti à une publication... mais il a été précédé de nombreuses autres histoires, dont les premières remontent à mon enfance, et dont j’ai un tiroir plein ! Chronologiquement parlant, c’est donc plutôt la philosophie qui est venue se greffer sur l’écriture. À une époque où me disait qu’écrire n’est pas un métier, et où il me fallait décider de mon avenir d’étudiante, j’ai eu la chance de découvrir la philosophie, qui m’a permis d’aborder, sous un angle complètement différent de celui de la littérature, toutes les questions qui me tenaient à cœur.

Références
 

Dans votre panthéon personnel, on trouve...

-S.V-O : : Pêle-mêle : toutes les œuvres de Simone de Beauvoir, Mrs Dalloway de Virginia Woolf, les Misérables de Victor Hugo, A l’Est d’Eden de John Steinbeck... Les nouvelles de Katherine Mansfield, les poésies de Paul Eluard, la philosophie de Kierkegaard... Mais aussi Joyce Carol Oates, Françoise Sagan, Iris Murdoch...

Que pensez-vous de la polémique actuelle sur la sous-représentation des femmes dans le monde artistique, littéraire en particulier ?

-S.V-O : On vit dans un monde qui, malgré les apparences, est resté très macho, dans le sens primitif du terme. Les femmes sont tolérées, acceptées, parfois même reconnues, mais elles continuent à être traitées comme une minorité, avec tout ce que cela implique (rien que le fait de devoir parler de la « reconnaissance » des femmes en dit long). Le monde artistique, qui a longtemps été l’apanage presque exclusif des hommes, ne fait pas exception à la règle ! Je crois que le problème, c’est que pour beaucoup, l’expression artistique masculine continue à avoir une connotation universelle, alors que les œuvres produites par les femmes resteraient l’expression d’un genre, d’une sensibilité. Ce n’est pas gênant en soi (même si c’est sans doute discutable) mais cela a pour conséquence de réserver une place à part aux femmes dans le domaine artistique, ce qui débouche, inévitablement, vers leur sous-représentation.

Avenir
 

 Les lecteurs qui vous découvrent avec La Straniera ont envie de connaître la suite. Comment vous sentez-vous aujourd'hui : un écrivain ? Un auteur ? Comment imaginez-vous votre avenir : un futur dé-composé, composé, posé ... ?!

-Avant d’être un projet concret, l’écriture est pour moi un processus vital : j’ai toujours l’impression que je ne vis ou ne ressens pas complètement les choses, dans leur plénitude, si je ne les couche pas sur le papier. Au fil de mes notes, il arrive toujours un moment où une petite voix commence à parler, des personnages à se dessiner et, petit à petit, à vivre une existence autonome... et c’est le début d’une nouvelle histoire ! J’ai donc un autre texte en chantier, mais comme je ne sais pas exactement ce qu’il va devenir, c’est encore difficile d’en parler. Tout ce que je peux dire, c’est que l’histoire se passe en Italie en Sud, dans la région où je vis actuellement, et qu’il s’agit d’un récit à deux voix.

>Stéphanie Vermot-Outhenin, La Straniera, La Grande Ourse

En savoir plus

>Lire un extrait de La Straniera :

 

 

À lire aussi

>Visionner une vidéo dans laquelle l'auteure présente son livre

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