Vera Michalski est à la tête du groupe d'édition indépendant Libella, qui comprend notamment Buchet-Chastel, Libretto, Phébus et Noir sur blanc. Elle est aussi à l'origine d'une Fondation, qui à Montricher en Suisse est en train de créer "une utopie culturelle", qui est déjà une réalité, avec la constitution d'un pôle de soutien aux écrivains et aux livres, unique en Europe. Alors qu'une de "ses" auteures vient d'être récompensée par le Goncourt de la nouvelle - Marie-Hélène Lafon pour Histoires (Buchet-Chastel)-, nous allons à la rencontre d'une éditrice et mécène comblée, qui a bâti en 25 ans une maison d'ennvergure internationale. Et qui ose croire encore en la beauté des textes et en la puissance de la littérature.
Au départ, c'est une histoire d'amour. L'amour de la littérature, mais aussi et peut-être surtout, l'histoire d'un couple, Vera et Jan Michalski, à eux deux mêlant origines suisses, polonaises, russes et autrichiennes, qui fomente le projet un peu fou à la fin des années 1980 : favoriser les échanges éditoriaux entre l'Est (notamment la Pologne) et l'Ouest.
En 1987, le couple publie la traduction de Proust contre la déchéance de Josef Czapski, un texte qui impose la force des mots par-delà l'horreur. La littérature , c'est ce qui reste lorsque tout est aboli. Et, petit à petit, le couple crée une maison d'édition, puis deux, puis un groupe d'édition, Libella, qui "s’est progressivement constitué autour de maisons d’édition porteuses de sens."
Présent au niveau européen, le groupe rassemble aujourd’hui les éditions Buchet/Chastel, les Éditions Noir sur Blanc, Favre, Phébus, Libretto, Les Cahiers dessinés, Delpire éditeur, les éditions Photosynthèses, Le Temps Apprivoisé, ainsi que la Librairie polonaise de Paris située boulevard Saint-Germain.
Implanté dans plusieurs villes d'Europe, le groupe témoigne d'un engagement éditorial fort en faveur des échanges interculturels. C'est à ce titre que Vera Michalski est devenue présidente du Bureau international de l’édition française (BIEF) et poursuit sa mission d'éditrice indépendante et exigeante, qui tient à accompagner les auteurs dans la durée. Une politique qui est couronnée de succès, puisque des auteurs contemporains comme Michel Quint sont souvent sous les feux de la rampe ou encore Marie-Hélène Lafon qui vient de recevoir le Goncourt de la nouvelle pour Histoires (Buchet-Chastel), sans parler des classiques qui font l'objet de nouvelles éditions ou des auteurs étrangers que la maison a fait découvrir au public français comme Oya Baydar, auteure de Et ne reste que des cendres (Phébus). Outre "Les cahiers dessinés", Vera Michalski a plus récemment élargi la vocation de son groupe en s'investissant dans l'univers de la photo au sein des maisons Photosynthèses et Delpire éditeur, ainsi qu’à travers la reprise d'une galerie qui permet d'exposer les œuvres présentes dans les projets éditoriaux en cours.
Depuis la mort de son mari, Vera Michalski s'est lancé un nouveau défi en tant que mécène privé : la création d'une fondation, la Fondation Jan Michalski pour l'écriture et la littérature à Montricher, en Suisse, qui a pour ambition de constituer ce que Vera Michalsky appelle une "utopie culturelle" : la fondation se définit comme un lieu de recherche et de rencontre, une bibliothèque, un espace de résidence d'écrivains, ainsi qu' un lieu d'exposition et d'événements. La Fondation remet aussi un Prix et aide au financement de projets.
L'ensemble de ces actions n'a pas fait perdre à Vera Michalski les valeurs auxquelles elle est attachée. Elle souhaite toujours garder son cap, sans jamais céder aux sirènes de la notoriété médiatique - même si elle a accepté la Légion d'honneur qui lui a été remise récemment par l'Académicien Jean-Christophe Rufin. Au contraire, elle aime se montrer discrète, là où doit se tenir un éditeur : au milieu des livres. C'est bien là que nous venons la retrouver.
Vera Michalski nous reçoit dans ses locaux parisiens, situés dans une maison paisible et discrète de Saint-Germain des Prés, qui se découvre après avoir traversé une cour pavée. Son bureau se situe dans une petite pièce non ostententatoire, remplie de livres et de dessins. Un lieu pour penser et écrire, posé en étoile au coeur de ses équipes. Un lieu qui nous accueille en toute simplicité, comme si le seul fait de partager l'amour de la littérature suffisait à faire partie de la même famille.
Vera Michalski : Notre groupe est unique par sa totale indépendance financière et la diversité de sa production éditoriale : littérature française et étrangère, récits de voyage, essais, documents, musique, écologie, livres illustrés et loisirs créatifs. Priorité est donnée à la qualité, en particulier à la qualité de l’écriture. Créer un style, découvrir et lancer des auteurs qui portent un regard engagé sur le monde et sont respectueux des valeurs de la culture universelle, telle est notre ambition. Nous tenons tout particulièrement à être une passerelle entre les pays francophones, ceux de l'Est, de l’Europe et le monde entier, avec ses horizons prometteurs et ses talents à faire découvrir.
Vera Michalski : Comment pourrait-il en être autrement ? Nous sommes façonnés par le passé. La littérature est aussi une mémoire. Trait d’union entre hier et demain, notre groupe tient compte des auteurs qui ont fait sa renommée dans le passé. Nous avons d'ailleurs récemment redonné naissance chez Buchet-Chastel à notre collection "Les auteurs de ma vie", qui met en "scène" la rencontre entre un écrivain classique et un écrivain contemporain, avec un choix de textes orchestré par l'auteur qui devient lecteur-auteur. Les textes de Victor Hugo sélectionnés par Michel Butor ou encore ceux de La Fontaine par Jacques Réda sont un vrai bonheur. Mais le temps, n'est pas seulement une affaire d'époque. C'est aussi la question de l'inscription dans la durée, celle de l'accompagnement des auteurs. Notre métier est d'aider les écrivains à ce qu'ils construisent une oeuvre, pas simplement à publier un livre par-ci, par-là. Alors cela passe par une confiance, y compris lorsque certains livres ont des chiffres de vente qui demeurent modestes. Et c'est ainsi que nos catalogues s'enrichissent avec cohérence et constance.
Vera Michalski : Nos différentes maisons d'édition sont indépendantes et jouent chacune leur rôle. Le Temps apprivoisé et Libretto sont les plus profitables. Les traductions coûtent cher, mais c'est aussi notre vocation et nous y tenons. Il y a aussi nos actions en Pologne qui sont très positives, car faire connaître des auteurs français à l'étranger est une de nos forces. Certains de nos auteurs polonais sont des bestsellers. On craignait l'érosion du livre et finalement les derniers chiffres montrent bien que la tendance est bonne. Les goûts des lecteurs évoluent, les livres se doivent de soigner davantage leur fonction d'"objet", mais je suis très optimiste quant à la pérennité de l'édition. Nous observons aussi que les rencontres avec les auteurs ont un succès grandissant. Les livres porteurs de sens sont un refuge pour notre monde en pleine mutation. Nos choix éditoriaux nous ont toujours placés du côté de la qualité. Et finalement c'est la qualité qui résiste aussi.
Vera Michalski : Je suis attachée à l'objet-livre papier, comme de nombreux lecteurs je pense. Mais l'édition numérique est un complément. Nous avons été parmi les premiers à sortir tous nos livres dans les deux formats. Nous avons soutenu à la Fondation le projet d'un chercheur sur les humanités digitales et toute la question de l'interactivité dans le récit. Chez Buchet-Chastel nous avons accompagné une expérience inédite parrallèlement à la parution du dernier roman, Le Démantèlement du cœur, de Daniel de Roulet, qui donne la touche finale à « La Simulation Humaine » commencée en 1990. Ces dix romans indépendants constituent une saga familiale qui raconte l’histoire du nucléaire civil et militaire d’Hiroshima à Fukushima. Afin de donner une nouvelle vie et une nouvelle forme à cette série, Daniel de Roulet a travaillé étroitement avec l’EPFL (École Polytechnique Fédérale de Lausanne) particulièrement avec Cyril Bornet, doctorant au Laboratoire d’Humanités Digitales dans le cadre d’une thèse. De cette collaboration est née une œuvre numérique gratuite disponible au format web sur simulationhumaine.com, via une application iPhone/iPad (téléchargeable ici ), et via une application Androïd (téléchargeable ici). Le récit est reconstruit et permet des interactions avec le lecteur. C'est tout à fait passionnant. Ces évolutions sont à suivre. Elles restent cependant encore marginales.
Vera Michalski : Très heureuse bien sûr. Son travail est remarquable et il montre combien la littérature est à comprendre dans un sens large. Où commence-t-elle et où s'arrête-t-elle ? Quelle est la frontière entre la fiction et le témoignage ? L'Histoire est en marche et l'écrivain travaille en quelque sorte, si on peut oser ce jeu de mots, "à livre ouvert" avec la réalité. J'aimerais beaucoup pouvoir inviter Svetlana Alexievitch à notre Fondation.
Vera Michalski : La Fondation Jan Michalski pour l’écriture et la littérature à Montricher en Suisse, un lieu placé au centre de l'Europe, est entièrement dédiée à la littérature. Pensé comme un petit campus, ses bâtiments forment un ensemble à l’architecture remarquable : résidences pour écrivains, bibliothèque, auditorium, salle d'exposition, salle à manger et bureaux de la Fondation sont rassemblés à l’abri d’une canopée. Actuellement la bibliothèque, l’auditorium,la salle d'exposition et les bureaux sont terminés. Les cabanes d'écrivains suspendues à la canopée sont en voie d’achèvement... La Fondation a créé un prix littéraire dont le lauréat a été en 2015 Mark Thompson pour Birth Certificate: The Story of Danilo Kiš. Ce projet est l'aboutissement d'une longue réflexion, initiée avec mon mari, et que j'ai poursuivie. Il nous a semblé important de donner une visibilité aux écrivains et de créer un carrefour d’échange, d'expression et d'écriture. C'est un projet certes ambitieux, mais très exaltant
>>A partir du 19 juin 2016 une exposition autour des oeuvres et des livres d’artistes d’Antonio Saura. >>Durant tout l'été de nombreuses rencontres avec des écrivains.
Le prochain invité sera Philippe Djian pour Dipersez-vous, ralliez-vous! ( 29 mai 2016 à 16h) .
>>Plus d'informations sur le site de la Fondation
>Visionner une vidéo qui présente le projet de la Fondation
>Visionner une vidéo dans laquelle Véra Michalski parle des cabanes d'écrivains dans la Fondation
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